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Les cadrages associatifs et militants, un retour paysager et environnementaliste de l’arbre en agriculture (1970 / 1990)

Introduction Partie

5.2. Les cadrages associatifs et militants, un retour paysager et environnementaliste de l’arbre en agriculture (1970 / 1990)

La préservation du paysage est à l’origine de la mobilisation de nombreuses associations locales, créées après le choc des premiers remembrements. Le terme de paysage n’est évidemment pas nouveau, pourtant il est celui qui va cristalliser les oppositions à cette politique d’arrachage, en structurant un courant de pensée adverse.

« Il existait déjà, en réalité. Les membres des premières associations en faveur de la protection des paysages avaient commencé à dénoncer les effets du remembrement, mais ce courant était au demeurant assez marginal et son argumentaire essentiellement esthétique. Comme pouvait l’être le discours de la SPPEF (Société pour la protection du paysage et de l’esthétique de la France), fondée en 1901 par Charles Bauquier. (…) Jusqu’à la fin des années 1960, ce discours est le seul qui reste associé à la protection des paysages. Mais il s’est construit sur une nostalgie esthétisante de la tradition, en droite ligne des conceptions de la France Pittoresque du XIXe siècle. Il se cantonne à une approche formelle et ne repose pas sur l’élaboration d’un système de pensée du paysage conjuguant des arguments d’ordre écologique, social ou économique. »

(Toublanc et Luginbühl 2007, 3)

Cette opposition esthétique à l’action modernisatrice est donc radicale, à la mesure de cette politique de table rase, aussi massive en agriculture que dans les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire en général. C’est donc dans ce contraste qu’apparait à la fin des années 1960 une nouvelle affirmation du cadrage par le paysage. Ce milieu restreint, qui

130 rassemble initialement quelques scientifiques, plasticiens et paysagistes, n’est plus seul pour défendre les paysages. Parallèlement, le milieu associatif, sur la lancée des mobilisations que nous avons décrites plus haut, favorise l’ouverture du cadrage paysagé initial aux questions environnementales, arguant par exemple des impacts négatifs de l’agriculture sur les territoires ruraux et pour se faire impute une responsabilité aux remembrements.

Ainsi, les premiers arguments paysagers en faveur de la préservation du bocage reposent sur l’idée qu’un paysage ouvert est moins qualitatif que le bocage. La présence de l’arbre est ici positive et symbolise la nature. Les associations locales se sont souvent constituées sur ces arguments esthétique et symbolique du paysage, mais elles construisent parallèlement un discours politique qui assigne les paysages de champs ouverts à une agriculture supposée productiviste et liée aux grands marchés agroalimentaires. A l’inverse, le paysage arboré est associé à une agriculture de plus petite échelle, avec des productions plus qualitatives et durables. Ces associations ont défendu la réhabilitation des feuillus locaux, ainsi que des savoirs paysans traditionnels, comme la confection des talus et de la taille des haies.

L’association « Arbre et Paysage 32 », dès sa création en 1990 par des agriculteurs, s’est par exemple investie pour la défense d’objectifs environnementaux dans le prolongement de son approche paysagère.

« D’abord structure militante, elle a été rapidement sollicitée pour apporter des solutions techniques en matière « d’arbrement » non forestier, et plus largement dans le domaine de l’aménagement et de la gestion des territoires. C’est ainsi que l’association s’est professionnalisée, a diversifié et adapté ses services et ses compétences à une demande croissante ; elle s’est dotée de salariés permanents qui ont peu à peu fondé les bases d’un nouveau métier : le conseil et l’accompagnement de projets et de réalisations à base d’arbres et de compositions champêtres, pour l’équipement et l’aménagement d’espaces ordinaires. Ceci distingue sensiblement notre activité de celles des naturalistes, des paysagistes ou des forestiers. Si ces dernières sont orientées vers la conservation, le paysagement ou la production, notre activité, sans ignorer ces aspects, est orientée vers la protection de notre environnement, au sens large, ce qui signifie se préoccuper de la nature, mais encore et surtout du renouvellement des ressources vitales et de la pérennisation des activités économiques qui fondent la richesse de nos territoires. Car l’arbre n’est pas une simple question de “décor“. Aujourd’hui, notre structure s’est développée et bénéficie d’une reconnaissance certaine. D’abord parce qu’elle a comblé un manque, en redéfinissant et en modernisant les pratiques et les savoirs à l’origine « paysans », qui se transmettaient empiriquement entre agriculteurs, “cantonniers“ ou autres gestionnaires, sans aucune formation instituée. Ensuite parce que l’arbre, laissé pour compte pendant quelques décennies ou trop absent de nombreux territoires, devient une préoccupation grandissante et partagée par de nombreux acteurs-gestionnaires, propriétaires, usagers- et par la population en général. »(Arbre et Paysage 32 2018)

Les associations départementales qui ont été créées dans les années 1990 ont en effet insisté sur l’élargissement de la gamme des fonctions d’une haie. En les reconnectant aux réseaux bocagers, ces associations ont contribué à un changement d’échelle du champ vers le territoire.

131 Ainsi, elles ont porté une vision plus intégrée des programmes de plantations de haies, comme en témoigne l’emploi du maître mot « multifonctionnalité ». On citera aussi l’expérience conduite par l’association « Mission Bocage » née en décembre 1991 à l’initiative du Comité Régional de Développement Agricole des Mauges (CRDAM rattaché à la Chambre d’Agriculture de Maine et Loire) et du Carrefour des Mauges (aujourd’hui CPIE Loire Anjou).

« L’objectif initial était de faire un état des lieux quantitatif, qualitatif et géographique du bocage des Mauges.Au fil de cette démarche, un certain nombre de demandes de replantations de haies ont été formulées, un service technique d’accompagnement s’est mis en place. Puis, plusieurs services se sont développés pour aujourd’hui répondre aux attentes les plus larges sur ce sujet. Les collectivités locales se sont soudées à ces préoccupations et font désormais partie des partenaires essentiels de Mission Bocage. L’association est désormais impliquée dans les travaux d’aménagement du territoire et dans la réalisation de plans locaux d’urbanisme (PLU). Un nombre croissant de particuliers, mais aussi des entreprises font désormais appel à nos services. Depuis 1991, Mission Bocage a planté plus de 1 000 000 d’arbres dans les Mauges et le Choletais, et contribue activement à la valorisation de l’arbre champêtre sur le territoire. »(« Mission bocage » 2018)

À travers l’histoire de ces deux associations représentatives du réseau des opérateurs locaux de l’arbre champêtre, on comprend qu’elles ont contribué à la complexification du cadrage de la haie et du bocage. En effet, il ne s’agit plus de planter des kilomètres de haies sans cohérence d’ensemble, mais d’intégrer les plantations dans une compréhension du territoire fonctionnel, afin de tenter de résoudre les problèmes créés par l’agriculture intensive. Il s’agit bien d’un raisonnement global qui intègre le fonctionnement écologique dans la gestion territoriale d’une exploitation agricole, à l’échelle d’une communauté de communes, d’un département ou encore d’un petit bassin versant.

5.3. Les cadrages scientifiques du bocage à l’agroforesterie intra-parcellaire

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