• Aucun résultat trouvé

L’agroécologie, une configuration sociale pluraliste dans un secteur traditionnellement corporatiste et monopolistique ?

Introduction Partie

7.5. L’agroécologie, une configuration sociale pluraliste dans un secteur traditionnellement corporatiste et monopolistique ?

7.5.1. Le plan de développement d’agroforesterie, une mobilisation des acteurs du réseau agroforestier

Après avoir présenté les acteurs qui ont porté l’agroforesterie à l’agenda politique, il nous semble maintenant important de souligner les conditions de sa mise en politique. Le premier acte commence avec le rapport du CGAER106 en 2015, suivi du plan 107 de

développement d’agroforesterie présenté le 17 décembre 2015. Ils sont tous les deux constitués avec la participation active des membres du réseau par la multiplication de contributions et de temps de négociations. Ce sont deux étapes marquantes de l’intervention de l’État, qui intègre de cette façon l’agroforesterie au cœur de son « Projet agro-écologique pour la France ». L’implication du MAAF dans le développement de la pratique est destinée à la fois à casser l’image « effet de mode » de l’agroforesterie, tout en augmentant l’audience de la pratique. En effet, nous observons une augmentation de la médiatisation de l’agroforesterie au cours de sa mise en politique par le MAAF en 2014 et 2015. Sujet anonyme dans les années 1990 et 2000 avec une médiatisation qui ne dépasse pas la presse locale ou les revues spécialisées, l’amorçage médiatique commence en 2010 avec la mise en ligne de nombreuses vidéos et témoignages d’agroforestiers sur YouTube. Cette dynamique médiatique se déploie avec la reconnaissance du ministère combiné au volontarisme de « bons clients »108 pour permettre à l’agroforesterie

d’atteindre les médias nationaux (JT TF1, JT France 2 et France 3, l’émission « Des racines et

106 Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux n°14094, Promotion des systèmes

agroforestiers, Propositions pour un plan d’actions en faveur de l'arbre et de la haie associés aux productions agricoles. (Philippe Balny Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, Denis Domallain Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, Michel de Galbert Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts) Février 2015 (Balny P., 2015)

107 Plan de développement de l’agroforesterie : Pour le développement et la gestion durable de tous les systèmes

agroforestiers, Ministère de l’agriculture de l’agro-alimentaire et de la forêt, Décembre 2015. (MAAF 2015b)

108 Le terme est emprunté directement au jargon journalistique, et fait référence à un interviewé qui sait délivrer

198 des ailes », Arte reportage, Libération, Le Monde, Le Figaro…). Nous recensons, dans la base de données de l’AFAF, 360 références d’articles et reportages.

Voici l’évolution des références à l’agroforesterie dans la presse par année :

Année Nombre de références 1991 1 2000 1 2003 6 2004 3 2005 8 2006 4 2007 6 2008 7 2009 4 2010 17 2011 15 2012 24 2013 34 2014 91 2015 100 2016 58 2017 43 2018 44

Tableau 5 : Références à l’agroforesterie dans la presse par année. Source : (AFAF 2017a)

L’autre atout du portage politique du MAAF a été de mobiliser l’administration et les acteurs du développement agricole en charge de cette question, comme on le comprend dans ce témoignage :

« Le Plan donne une feuille de route aux DDT. Je suis en région, je suis autorité de gestion j'ai

une feuille de route, idem pour les DRAAF. Ah oui en plus l'agroforesterie est dans l'enseignement agricole, ah oui il faut que les lycées soient dans les référencements... Moi j'avais besoin, enfin nous avons besoin d'un cadre officiel on ne peut pas travailler comme ça sur une idée qui serait bonne, mais qui n'a pas de légitimité ! Sinon il faut convaincre les préfets de région, c'est long, après le préfet de département, après il faut convaincre le président du conseil départemental et de la région, puis les responsables des DREAL et DDT... enfin vous imaginez.

Question : Le plan national peut avoir une influence sur tous ces acteurs ?

Nécessairement, l'autre jour j'étais à la DRAAF, je leur ai dit : je ne vous fais pas l'affront de vous amener le plan de développement ? Ils m'ont dit : non non, on l'a reçu merci, on a vu ce

199

qu'il y a dedans, ça tient la route ! Mais oui c'est un document-cadre, il y a une loi d'orientation agricole dans laquelle l'agroécologie et nos métiers sont reconnus ! Voilà arrêtez de dire que c'est une mode et qu'il y a d'autres façons de faire, après que vous n'y alliez pas on s'en fout, ce que l'on veut simplement c'est que vous regardiez ce qui se fait et que vous laissiez entrer cette pratique dans les lycées agricoles, dans les écoles d'agronomie et dans la sphère des structures d'accompagnement de l'agriculture en France. » - "Elu AFAF, entretien n°1"

S’il est clair que cette mise en politique de l’agroforesterie par le MAAF a eu pour objectif de mobiliser l’administration et le droit commun pour lever les freins de son développement, il apparait également que l’enjeu pour le ministère était d’alimenter le projet agro-écologique d’une expertise et de réseaux alternatifs susceptibles de porter ces innovations sur le terrain auprès des agriculteurs.

En 2014, les trois hauts fonctionnaires rapporteurs pour le CGAER sont allés à la rencontre de la plupart des acteurs associatifs et institutionnels de l’agroforesterie, afin d’établir un diagnostic de fond identifiant les freins et les leviers au développement de la pratique. Dans tous les domaines, des constats sont faits et dans le prolongement, des préconisations sont établies. Sans développer ici tous les aspects, nous pouvons dire que ce rapport fixe la définition française de l’agroforesterie sur celle internationale, en axant son analyse aussi bien sur l’intra- parcellaire que sur le bocage, ce qui représente une rupture avec le précédent cadrage du ministère.

Parmi les nombreuses préconisations, ces experts proposent d’unifier les deux associations nationales. Ceci retient notre attention, car de la même façon qu’ils ont réintégré le bocage dans la définition de l’agroforesterie, nous observons par cette initiative une volonté d’améliorer la cohérence et la visibilité d’un acteur associatif, qui fédèrerait les deux mouvances dans une représentation unique. Dans un jeu d’acteur où l’AFAF avait pris une forme d’avance en donnant une visibilité à l’agroforesterie au plan européen puis national, l’État opère par l’intermédiaire du CGAAER un rééquilibrage en reconnaissant sur le même plan l’AFAC- Agroforesteries et l’AFAF. S’il semblait exister une forme de déséquilibre de ressources entre ces deux associations dans l’arène politique, liée à l’hégémonie notamment médiatique de l’AFAF, cette initiative démontre la légitimité politique qu’un ministère accorde à un groupe d’intérêt catégoriel (réseau d’opérateurs AFAC-Agroforesteries).

Ce rapport ouvre une initiative de médiation qui sera prolongée dans le cadre des négociations du plan national, avec pour objectif d’améliorer l’efficience du réseau. Malgré une volonté affichée des deux associations d’opérer cette unification, de nombreuses réunions de travail organisées par le ministère en 2015 et 2016 ainsi qu’une enquête diffusée auprès de l’ensemble des adhérents et l’insistance du ministre ne seront pas parvenues à la réaliser. Si le changement d’échelle – du local au national – et la structuration du réseau agroforestier a permis une stabilisation du cadrage de l’agroforesterie et l’accès à de nouvelles scènes de débat, ces éléments n’ont atténué que momentanément les contradictions internes, dont certaines rivalités, comme on l’observe dans l’échec de la réunification des deux associations nationales. Cette

Outline

Documents relatifs