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La mainmise des Etats dans l’élaboration de la politique régionale communautaire

Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 2. L’émergence et l’inscription de la thématique transfrontalière en Europe

C. La mainmise des Etats dans l’élaboration de la politique régionale communautaire

Pour comprendre la logique des programmes INTERREG, il convient de remonter aux

sources de la politique régionale communautaire, afin de resituer les conditions de leur émergence. La mise en place du Fonds européen de développement régional (FEDER)

correspond, selon l’hypothèse retenue, à une prise de conscience de la part des Etats membres des effets limités du marché pour réduire les disparités régionales européennes (1.) ; le FEDER

est donc conçu dans une perspective de guichet, destinée notamment aux nouveaux entrants dans la Communauté (2.).

1. La mise en place par les Etats du FEDER en 1975, conséquence d’une « main invisible » du marché commun imperceptible

La mise en place du FEDER est la conséquence de la constatation par les Etats des effets

réduits du Traité de Rome261. En 1957, le Traité de Rome a notamment pour objectif de contribuer à « réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées, y compris les zones rurales »262 mais il n’envisage pas la mise en place d’une politique publique spécialisée en la matière263. L’esprit du Traité repose sur une logique macro-économique d’inspiration libérale, par laquelle le marché s’auto- régulerait : la libéralisation des mouvements des facteurs de production se traduirait par une

261 MARCHAND-TONEL, Xavier et SIMOULIN, Vincent, « Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées : une gouvernance… », op. cit., p. 3.

262 Traité de Rome, 1957, art. 130A, alinéa 2. – V. : http://europa.eu.int/abc/obj/treaties/fr/frtr6d14.htm#140

263 PASCALLON, Pierre (1990), « Historique de la politique communautaire d’aménagement du territoire. Du Traité de Rome à l’Acte unique », Revue d’économie régionale et urbaine, n° 5. – Xavier Marchand-Tonel remarque que le seul instrument mis en place concernait celui « d’une banque à vocation régionale (la Banque européenne d’investissement) » (p. 3). Notons qu’il existait, antérieurement à la création du FEDER, dès 1957, le Fonds social européen (FSE) destiné à promouvoir l'emploi et à favoriser la mobilité des travailleurs au sein du territoire communautaire, et le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) conçu dans le but de soutenir la production agricole dans la Communauté.

diminution des écarts régionaux. Dans ce cadre, seuls les Etats membres sont en charge de la politique d’aménagement du territoire : ils doivent simplement respecter les principes du droit communautaire relatifs à la concurrence. Mais les effets attendus par la « main invisible » du marché, inscrits dans le Traité de Rome, n’apparaissent pas sur le territoire de la Communauté. Au contraire, le fossé entre régions européennes riches et pauvres se creuse.

Plusieurs hypothèses peuvent être retenues pour expliquer ces disparités entre régions. D’abord, les élargissements communautaires successifs s’effectuent avec des Etats situés à la périphérie économique de l’Europe de la « banane bleue ». En outre, des régions qui cumulent une faible croissance économique et un taux de natalité important induisent un taux de chômage conséquent qui frappe notamment une classe d’âge jeune, incitée à émigrer vers des régions plus dynamiques. Enfin, les conditions structurelles d’un développement économique - des investissements dans des réseaux de transports, dans des réseaux de télécommunications, dans du personnel qualifié, etc. - sont limitées par la concurrence avec des territoires européens plus compétitifs264.

Lors du Conseil européen de Paris du 22 octobre 1972, les États-membres indique qu’ils sont favorables à la création du FEDER pour promouvoir la cohésion économique et sociale du

territoire européen. Les fondements du FEDER sont établis au cours de négociations qui s’espacèrent jusqu’en 1975 et dans lesquelles les gouvernements nationaux, notamment français et allemand, jouèrent un rôle déterminant265. Le FEDER voit donc le jour en 1975 et sert dans un premier temps à la reconversion des régions en déclin industriel du Royaume Uni, et à compenser, notamment pour cet État membre, le peu de « retour » qu'il reçoit de la politique agricole commune (PAC).

2. Le FEDER, une politique conçue dans une logique de guichet

De 1975 à 1979, les règles de gestion du FEDER ne laissent aucune autonomie à la

Commission pour mettre en place une politique spécifiquement communautaire

264 BALME, Richard, op. cit., p. 242-243.

265 SMITH, Andy, L’Europe politique au miroir du local. Les fonds structurels et les zones rurales en France, en Espagne et au Royaume-Uni, Paris, l’Harmattan, 1995 - cité par MARCHAND-TONEL, Xavier et SIMOULIN, Vincent, « Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées : une gouvernance… », op. cit., p. 3.

d’aménagement du territoire. Les sommes pouvant être versées aux différents États sont déterminées par des quotas nationaux fixés par le Conseil européen. En outre, la distribution des subventions ne peut bénéficier qu’à des régions déjà aidées par les États eux-mêmes et se trouvait placée sous le contrôle des administrations nationales. La Commission est donc étroitement contrainte dans ses décisions par les politiques de chaque Etat-membre. « Une situation s’est très vite développée où les agents des administrations nationales, et encore plus les ministres, ont considéré que la partie [du FEDER] qui leur était allouée devenait ‘leur

argent’ »266; à cette époque le système des aides régionales de la CEE obéit donc clairement à une logique de guichet.

La réforme des fonds structurels de 1988 occasionne le développement majeur de la politique régionale communautaire. En effet, les interventions communautaires obéissent jusque là à une logique de saupoudrage qu’il faut corriger, si l’on veut permettre aux Etats les plus vulnérables économiquement d’intégrer le Marché Unique. Le Marché Unique place les Etats et les territoires les plus faibles dans un ensemble qui fragilise leur économie. Pour atténuer ces effets, la réforme prévoit le doublement des fonds entre 1987 et 1993. Cinq objectifs président à l’orientation de ces fonds267. Le concept de « partenariat » émerge et implique des procédures de concertation réunissant la Commission, l’Etat-membre concerné et les autorités et groupes désignés par l’Etat au niveau régional ou local268.

Pour la période couvrant 1994-1999, les fonds structurels sont reconduits après la signature du Traité de Maastricht. Les grandes lignes de la réforme de 1988 sont suivies, hormis quelques exceptions269. Les Etats ne limitent pas leur influence à l’élaboration de la

266 SMITH, Andy, L’Europe politique au miroir du local. Les fonds structurels et les zones rurales en France, en Espagne et au Royaume-Uni, Paris, l’Harmattan, 1995 — cité par MARCHAND-TONEL, Xavier et SIMOULIN, Vincent, « Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées : une gouvernance… », op. cit., p. 4.

267 Objectif 1 : ajustement structurel des économies régionales marquées par un retard de développement ; objectif 2 : reconversion des régions industrielles en déclin ; objectif 3 : lutte contre le chômage de longue durée ; objectif 4 : insertion professionnelle des jeunes ; objectif 5 : modernisation agricole et développement des zones rurales.

268 BALME, Richard, « Les politiques de la subsidiarité : l’Europe des régions’ comme catégorie générique du territoire européen », in BALME, Richard, GARRAUD, Philippe et al., Le territoire pour politiques : variations européennes, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 248.

269 Richard Balme en remarque deux essentiellement : d’abord, le zonage tient compte du nouveau contexte politique, postérieur à 1989, en intégrant les Länder d’ex-Allemagne de l’Est et Berlin-Est dans l’objectif 1 ; par ailleurs, un redécoupage fonctionnel intervient. Mais, pour les quatre Etats-membres concernés par le nouvel instrument de cohésion (Espagne, Grèce, Irlande et Portugal), la donne reste inchangée : un doublement des crédits européens vient les soutenir - le deuxième doublement depuis l’introduction de la réforme en 1988. BALME, Richard, « Les politiques de la subsidiarité… », op. cit., p. 248-250.

politique régionale communautaire : la mise en œuvre de cette politique, notamment dans des régions transfrontalières, implique un rôle non négligeable des Etats.

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