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Les collectivités territoriales européennes, alliées recherchées de la Commission

Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 2. L’émergence et l’inscription de la thématique transfrontalière en Europe

A. Les collectivités territoriales européennes, alliées recherchées de la Commission

La Commission utilise deux instruments apparemment contradictoires en direction des acteurs infraétatiques : elle s’efforce de faire converger les intérêts communs des acteurs infraétatiques (1.) et laisse les stratégies et intérêts particuliers des acteurs se déployer localement dans le cadre de sa politique régionale (2.).

1. Une stratégie de mise en relief des intérêts infraétatiques

Parmi les quatre canaux repérés par Ingeborg Tömmel306, par lesquels passe le dialogue Commission-collectivités territoriales, nous en retiendrons deux, rappelés par Xavier Marchand-Tonel et Vincent Simoulin307 : à partir de 1993, la programmation des politiques régionale communautaires mobilise les partenaires économiques et sociaux au niveau régional ; par ailleurs, les politiques communautaires font appel aux acteurs infraétatiques, en passant par différentes arènes institutionnalisées (ARFE, ARE, Conseil rhénan, CTP) où sont représentés leurs intérêts.

Bien que les administrations des Etats conservent une position clef —notamment en France et en Espagne—, il existe une troisième voie de dialogue entre la Commission et les acteurs régionaux et locaux pour s’entendre en matière de coopération transfrontalière : les évaluations et rapports, établis au cours de chaque programme INTERREG, entretiennent le

dialogue et la possibilité de trouver des points de convergence entre leurs intérêts. En 1995 et 1996 une évaluation « ex post » des programmes opérationnels d’INTERREG I a été réalisée

pour la DG XVI. Elle portait sur l’impact socio-économique, institutionnel et culturel des 31

programmes opérationnels et des 2 500 projets mis en œuvre. L’analyse de cette étude globale montre que les thèmes principaux de la coopération transfrontalière ont été l’activité touristique durable et la protection des ressources de l’environnement. La création d’emplois, préoccupation majeure d’INTERREG I, a été appréciable au niveau local. Un autre effet positif

306 TÖMMEL, Ingeborg « Transformation of Governance: the European Commission Strategy for Creating a ‘Europe of the Regions’ », Regional and federal studies, Vol. 8, n° 2, 1998, p. 52-80.

307

MARCHAND-TONEL, Xavier et SIMOULIN, Vincent, « Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées : une gouvernance… », op. cit., p. 6-7.

du PIC a été la naissance ou le renforcement de partenariats. Certains points plus mitigés ont

fait l’objet de recommandations. Ainsi, la Commission a souligné la nécessité d’un développement des outils et des procédures utiles à la coopération et d’un calendrier mieux équilibré pour le déroulement du programme, l’acceptation tardive de celui-ci précipitant la création de structures, aux dépens d’une réelle analyse du projet et de sa mise en œuvre. Elle a également émis le souhait d’un élargissement des champs d’intervention (à la culture, aux affaires sociales et au développement urbain notamment) afin de mieux coller aux réalités locales et d’accroître la valeur culturelle du programme. On peut cependant souligner que les mesures financées ont couvert presque toutes les zones d’activité, depuis les transports et les communications (28% des crédits) jusqu’aux affaires et au tourisme (28% des crédits), en passant par l’environnement (10% des crédits), le développement rural (6% des crédits) et la formation (11% des crédits).

Pour ce qui concerne le programme opérationnel France-Espagne, un bilan plus détaillé permet de dresser un tableau mitigé. En 1994, les résultats sur le terrain paraissent moyens. Pour preuve, l’état d’avancement des opérations dépasse à peine 60% des dépenses programmées, et les paiements relatifs aux trois fonds communautaires versés aux maîtres d’ouvrage s’élèvent à un peu plus de 50%. Sur l’ensemble du massif, 149 initiatives ont été programmées et subventionnées, à hauteur de 15,61 Mécus pour chaque pays. La consommation des crédits sur le programme est présentée dans le tableau suivant.

Tableau N°2 - Consommation des crédits INTERREG I par département, en 1994.

Département Enveloppe en Francs % de l’enveloppe

totale Niveau interrégional 4 978 323 19 Ariège 3 668 238 14 Haute-Garonne 1 572 102 6 Pyrénées-Atlantiques 5 764 374 22 Hautes-Pyrénées 5 240 340 20 Pyrénées-Orientales 4 978 323 19

Source : Agnès Sarasa, à partir des données chiffrées de la Préfecture des Pyrénées-Atlantiques.

Pourtant, peu d’actions affichent un véritable caractère transfrontalier et peu de projets ont été cofinancés. Tous les efforts ne peuvent effacer les différences dans les organisations administratives des deux pays, et l’éloignement des moyens de communication ne facilite pas les contacts entre partenaires. On constate, au terme d’INTERREG I, des manquements réels

dans la coopération transfrontalière au niveau de la programmation et du suivi des opérations. Conscients de ces difficultés, les différents intervenants du programme appellent de leurs vœux une aide au renforcement des relations afin de donner au dispositif de sélection des dossiers et d’attribution des subventions un véritable caractère transfrontalier. L’idée d’un comité technique de programmation réunissant partenaires français et espagnols émerge donc, pour donner naissance aux Groupes de Travail Transfrontalier (GTT). Ceux-ci vont

avoir pour rôle de donner un avis sur les listes de projets proposés à la programmation au niveau local, leurs observations étant transmises par la suite au comité de programmation. De même, on tente (sans succès) de faire redéfinir le rôle du comité de suivi qui n’intervient pas dans le processus de programmation, sa tâche se limitant à une fonction de contrôle. Enfin, des questions s’élèvent quant à la pertinence d’une plus grande implication d’organismes qui interviennent déjà en matière de coopération transfrontalière et dont l’expérience pourrait être mise à profit en les associant aux groupes de travail. L’eurorégion associant la Catalogne, les Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon, celle en émergence entre l’Aquitaine, la Navarre et le Pays Basque espagnol, ou la Communauté de Travail des Pyrénées (CTP)308, association regroupant les quatre Communautés Autonomes espagnoles et les trois régions françaises du massif ainsi que la Principauté d’Andorre, bénéficient d’une reconnaissance variable auprès des autorités responsables d’INTERREG mais sont toutes demandeuses d’une

plus grande implication dans la mise ne œuvre du programme. Pourtant, aucune mesure particulière n’apparaîtra en leur faveur dans le Programme Opérationnel INTERREG II A.

En 1996, un second bilan dressé par le SGAR affiche des résultats plus positifs. Soulignant le

retard dans le démarrage des opérations, il considère que la mise en œuvre du programme est satisfaisante, bien que très progressive du fait de la nouveauté de l’initiative communautaire sur la zone pyrénéenne et des tâches supplémentaires engendrées par la coordination d’opérateurs relevant de trois Régions Administratives françaises et de quatre Communautés

308 Selon Richard Balme, « la CTP […] s’est plainte publiquement par la voix de son président de n’avoir pas été formellement

Autonomes espagnoles. Si l’on considère que la programmation n’a véritablement débuté qu’au second semestre 1993, obligeant à programmer en moins d’un an les deux tranches 1992 et 1993, on peut admettre comme un résultat plus que correct un taux de programmation de l’ordre de 90% et un taux de réalisation des actions supérieur à 90%. De plus, il souligne que l’expérience a été un révélateur pour les institutions et organismes français et espagnols qui ont pris conscience de l’intérêt que présente une coopération transfrontalière institutionnalisée. Le sentiment de la Commission est quant à lui résumé par ces conclusions du directeur général des politiques régionales, Eneko Landaburu en 1993 :

« J’ai noté un fort consensus dans le sens d’une évaluation positive de la coopération interrégionale, dans le cadre de l’initiative INTERREG ainsi que des projets pilotes du FEDER. La coopération interrégionale a fait une contribution positive à l’approche "bottom-up" ; la subsidiarité est possible et elle fonctionne en réalité. Les activités qui se déroulent au niveau le plus proche des gens sont visibles et compréhensibles et les initiatives de développement local sont les partenaires eficaces de la décentralisation. En augmentant les ressources financières pour la coopération interrégionale et transfrontalière, nous devons veiller à ce que nous ayons une dimension stratégique, en évitant la prolifération des projets individuels et parfois isolés »309.

Grâce à l’approche par la gouvernance multinivelée, un cadre d’analyse peut être donné aux relations des acteurs investis dans la coopération transfrontalière. Toutefois, cette approche semble limitée pour distinguer les rapports de force entre les partenaires.310

2. L’influence à géométrie variable des acteurs

La politique communautaire transfrontalière n’écarte pas les acteurs étatiques, dont l’importance est relative selon la configuration régionale. Dans le Rhin supérieur, les relations entre l’Etat et la Commission passent moins par la DATAR que par le SGARE de la préfecture de

région. De la même façon, dans l’Eurorégion méditerranéenne, la DATAR et le MOPU ont un rôle déterminant. La place essentielle des relais déconcentrés de l’Etat avec la Commission a conduit la DATAR à se réinvestir dans le transfrontalier, en créant à la fin des années 1990 la associée à l’élaboration du PO transfrontalier », in BALME, Richard, « Les politiques de la subsidiarité… », op. cit., p. 261. 309 Communication de la Sous-préfecture de Bayonne à la Préfecture des Pyrénées-Atlantiques concernant la conférence sur la coopération interrégionale et transfrontalière de janvier 1993 à Bruxelles.

310

MARCHAND-TONEL, Xavier et SIMOULIN, Vincent, « Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées : une gouvernance… », op. cit., p. 7.

Mission Opérationnelle Transfrontalière (MOT) et en constituant un appareil statistique

informatique, imposé aux régions frontalières françaises pour INTERREG III A. Par ailleurs, la

concurrence existe également entre acteurs infraétatiques pour assurer des responsabilités dans la gestion d’INTERREG. Cela est révélateur entre régions et départements ;

exceptionnellement, dans le Rhin supérieur, cette rivalité est neutralisée en raison de l’existence de deux programmes où les collectivités disposent de leur pré carré ; néanmoins, cette concurrence ne disparaît pas : elle est transférée dans d’autres arènes politiques et sur d’autres dossiers. Enfin, la Commission a un pouvoir inégal selon les régions transfrontalières, qui varie en fonction de facteurs externes (réticences émanant d’acteurs étatiques ou infraétatiques) ou de facteurs internes (manque de cohérence au sein de la Commission) : ainsi, dans le Rhin supérieur, la présence d’un fonctionnaire différent dans chaque programme a facilité, jusqu’au début d’INTERREG III A, le jeu des collectivités

territoriales, parfois présentes dans chaque organe transfrontalier et qui communiquent entre elles par le biais des agents et des élus, afin de présenter une interprétation du droit communautaire plus conforme à leurs intérêts. Au début d’INTERREG III A, un même représentant intervient enfin, autant dans Pamina que dans Centre-Sud, ce qui permet à la Commission de limiter le pouvoir des partenaires régionaux et surtout de diffuser une politique convergente. Dans les Pyrénées, la volonté de la Commission Européenne de passer d’une organisation lache, sous INTERREG II A, à une structure plus intégrée à compter d’INTERREG III A, en créant notamment un secrétariat commun, permet aussi de mener une

action publique transfrontalière moins différenciée sur chaque territoire national de l’espace transfrontalier : dans cet espace transfrontalier, la place des administrations nationales a été atténuée par ce dispositif.

Dans ce cadre, les programmes communautaires transfrontaliers sont soumis à l’influence croissante des collectivités territoriales, une influence limitée par les Etats et la Commission.

B. La mobilisation collective des autorités et collectivités territoriales : le recours à

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