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Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 1. Logiques sociales de la coopération transfrontalière

A. Une coopération qui intéresse des ensembles limités d’institutions et d’acteurs

1. Des acteurs transfrontaliers faiblement dotés en ressources matérielles

Ainsi, si l’on examine le nombre de personnes attachées à des dossiers transfrontaliers328, au sein d’autorités et de collectivités territoriales, les chiffres expriment une faiblesse marquante de ressources, aussi bien par rapport à d’autres directions de leur institution que par rapport à l’ensemble de leur institution. Le Conseil Régional d’Alsace (CRA) occupe sur le

transfrontalier, en 2001, un directeur-adjoint, trois chargés de mission, une secrétaire, ce personnel étant principalement chargé de dossiers du Secrétariat Commun du Programme « INTERREG - Rhin supérieur Centre-Sud », du Conseil Rhénan, et d’activités annexes. Ce

personnel appartient à la Direction de la Coopération et des Relations Internationales (DCRI),

une des 16 directions du CRA, comptant 14 personnes, sur un nombre total d’agents

administratifs de 303 personnes329, soit 5% des salariés, tandis que la Direction de l’Education et de la Formation (DEF) compte à la même période 46 personnes330. Les chiffres

communiqués par téléphone par les services du personnel donnent un nombre total d’agents employés évalué à 370 pour 2003, et à 410 pour 2004331. Le personnel de la

DCRI n’a, quant à

lui, pas évolué sur un plan quantitatif, ce qui fait chuter sa part relative à 3,4 % par rapport à l’ensemble du personnel en 2004. Seul le personnel au sein du Secrétariat commun a connu une rotation importante entre 1999 et 2003, puisque les 3 chargés de mission présents en 1999 ont tous été remplacés en 2003332. Le Conseil Général du Bas-Rhin dispose en 2004 d’un directeur, de deux chargés de mission, d’une assistante, d’une secrétaire et d’une personne détachée à l’Infobest Kehl-Strasbourg sur les questions transfrontalières ; cela représente 6 personnes sur un total de 1500 agents environ333, soit 0,4 %. Le Regierungspräsidium de Freiburg, qui dispose d’une délégation du Land de BW afin d’agir en son nom en matière de

328 Nos investigations en termes budgétaires se heurtent à des découpages comptables qui rendent pratiquement impossible d’évaluer le poids relatif d’une direction ou d’un service par rapport à un autre ou par rapport à l’ensemble. Nous avons par conséquent préféré une approche privilégiant l’importance du personnel, qui révèle l’investissement de l’entité dans chaque thématique traitée.

329 Chiffre obtenu en additionnant le nombre de personnes recensées dans l’ « Index alphabétique du personnel administratif », in Région Alsace, Qui fait quoi ? Les services de la Région Alsace – 2001, Strasbourg, Région Alsace, 2001, p. 120-128.

330 Région Alsace, Qui fait quoi ? Les services de la Région Alsace – 2001, Strasbourg, Région Alsace, 2001.

331 Entretien téléphonique avec une agent de la direction des ressources humaines de la Région Alsace, juillet 2004. 332 Nous reviendrons sur les détails de cette évolution, infra.

333 Entretien téléphonique avec une agent de la direction des ressources humaines du Conseil Général du Bas-Rhin, juillet 2004.

coopération transfrontalière, est divisé en 5 directions (Abteilung) à côté desquels figure, non pas une sixième Abteilung, mais la Stabstelle für Grenzüberschreitende Zusammenarbeit (que l’on pourrait traduire approximativement par « Bureau de la coopération transfrontalière »). Cette différence sémantique s’explique notamment par le fait que l’ensemble des personnes concernées par les affaires transfrontalières n’est pas suffisant pour avoir le titre d’Abteilung, mais il figure à côté des cinq autres directions, ce qui implique qu’il soit aussi visible qu’une

Abteilung. Ce « bureau » compte 12 personnes parmi les 550 qu’emploie au total le

Regierungspräsidium, soit 2,2 % du personnel : un directeur, un adjoint, deux agents détachés à Infobest Kehl-Strasbourg, un agent détaché à Infobest Breisach-Vogelgrün, deux détachés au secrétariat commun de la Conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur, et trois détachés à la Geschäftstelle der Internationale Bodenseekonferenz (IBK)334. La Regio Basiliensis,

qui est une association ayant délégation des cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne pour agir en leur nom sur la plupart des dossiers transfrontaliers, compte 11 salariés : un secrétaire général, un adjoint, deux assistantes, une directrice des services administratifs, deux secrétaires, un collaborateur technique, un collaborateur détaché au Conseil de la RegioTriRhena, une déléguée au secrétariat commun de la Conférence du Rhin supérieur et un collaborateur à l’Infobest Palmrain335.

Le personnel politique investi dans la coopération transfrontalière est lui aussi réduit. Pour des motifs attachés à l’histoire de chaque institution et à l’importation de coutumes empruntées aux Etats dans leurs relations internationales, les dossiers transfrontaliers sont, au début de leur expansion institutionnelle, à la fin des années 1980, du ressort du président de chaque entité. Cela est le cas à la Région Alsace, ainsi que l’affirmait Patrick Goeggel, directeur-adjoint de la DCRI : au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la coopération transfrontalière est embryonnaire, et même encore assez récemment, la coopération transfrontalière est conçue par les autorités politiques locales qui la mettent en œuvre comme un attribut direct du pouvoir de l’élu-président ; ainsi, la coopération transfrontalière est constituée d’un bureau ou une personne directement rattachée au bureau du président de la collectivité, cela autant en Allemagne qu’en France. De là est héritée la structure actuelle, composée de généralistes. Avec INTERREG, cette configuration évolue : la coopération

334 Données récoltées sur le site Internet du Regierungspräsidium de Freiburg, juillet 2004.

transfrontalière devient plus technique, et logiquement chaque direction spécialisée est chargée de la mise en œuvre de certains programmes (transports, tourisme, etc.) ; le problème est le complément de formation de ce personnel technique qui ne possède pas de compétences dans le domaine transfrontalier, ni ne maîtrise la langue du voisin. On est donc en présence de services généralistes de relations internationales chargés de coordonner les programmes de coopération transfrontalière, mais incapables de les mettre en œuvre ; alors que chaque direction pourrait appliquer ces programmes, car la seule nuance est le territoire où ils sont réalisés. Mais selon Patrick Goeggel, cela ne serait qu’une « question de formation de ce personnel technique, de temps, de génération ».

On y voit là un héritage du monarque-président qui administre les affaires internationales, souligné par le fait que l’absence d’encadrement juridique et de compétences définies strictement dans certains Etats européens, dont la France jusqu’à peu, incite le chef de l’exécutif de la collectivité à assumer ces fonctions avec un nombre restreint de fonctionnaires, d’abord directement intégrés au sein de son cabinet, puis en développant petit à petit un service spécialisé dans la coopération décentralisée. Néanmoins, cela ne se limite pas à la Région Alsace : sur les dossiers transfrontaliers jugés plus prioritaires ou des réunions techniques, les chefs d’exécutif de collectivités et d’entités territoriales délèguent un ou plusieurs élus – de préférence de rang hiérarchique élevé – afin de marquer symboliquement l’intérêt de la collectivité. Cela est le cas pour Jean-Paul Heider, vice-président du CRA, chargé des affaires transfrontalières derrière le président, Adrien Zeller. En revanche, les réunions ou les manifestations jugées emblématiques du transfrontalier sont réservées aux chefs d’exécutif.

En matière budgétaire, l’exemple offert par la Région Alsace confirme la marginalité des questions transfrontalières : dans les « autorisations de programme et crédits de paiement 2004 » concernant le budget primitif 2004, le libellé « coopération et relations internationales » donne à voir un total d’autorisations de programme de 4.001.831,43 euros et des crédits de paiement de 770.000,00 euros336. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec le total des autorisations de programme de 1.132.328.338,18 euros et un total de crédits de paiement de 271.701.876,32 euros. La part de la coopération et relations internationales est

335 Données recueillies sur le site Internet de la Regio Basiliensis, juillet 2004.

donc proportionnellement insignifiante : 0,35 % des autorisations de programme et 0,28 % de crédits de paiements. Pour donner quelques points de comparaison de domaines d’action les mieux dotés, l’ « éducation-formation » totalise 30,87 % des autorisations de programme et les transports 45,81% ; par ailleurs, la « culture et le patrimoine » sont 4 fois mieux dotés que la coopération, les « technologies de l’information et de la communication » 2,5 fois mieux ; enfin, le « sport » est aussi bien doté que la coopération337. Le détail de ce libellé « coopération et relations internationales » permet de se rendre compte de la part écrasante du transfrontalier par rapport aux deux autres formes de coopération : les autorisations de programme pour la coopération au développement (« Relations Nord-Sud ») s’élèvent à 128.215,71 euros, celles pour la coopération interrégionale à 128.970 euros et celles pour la coopération transfrontalière à 3.624.645,72 euros. Le transfrontalier représente 90,57 % des autorisations de programme pour le libellé « coopération et les relations internationales »338.

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