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Un total d’un an d’observation participante à la DCRI du CRA pour discerner des pratiques

Section 2. L’enquête qualitative complétée par des travaux de seconde main

A. Un total d’un an d’observation participante à la DCRI du CRA pour discerner des pratiques

De juillet à décembre 1999 et d’avril à septembre 2001, nous avons effectué deux vacations à la Direction de la Coopération et des Relations Internationales (DCRI) du Conseil Régional

d’Alsace (CRA). Au cours de la première série de six mois, Patrice Herrmann, alors chargé d’études au sein de la cellule du Secrétariat commun du programme INTERREG II Rhin

supérieur Centre-Sud, nous a proposé de nous immerger au sein de la DCRI, tout en réalisant le site Internet du programme. Au cours de la seconde période, nous avons participé à la réalisation du site actuellement en fonctionnement66 et affiné nos observations. Au cours de ces deux moments, nous avons pu profiter d’une position privilégiée pour étudier la coopération transfrontalière (1.), tout en courant certains risques liés à notre choix d’enquête (2.) ; cela a eu des conséquences sur la manière de rédiger et d’utiliser les notes de terrain (3.).

62 DURKHEIM, Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1986 (1897).

63 WEBER, Max, « Le métier et la vocation du savant », in Le savant et le politique, Paris, Union générale d'éditions, 1963 (1919).

64 ELIAS, Norbert, Engagement et distanciation : contributions à la sociologie de la connaissance, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1993.

65 V. à ce sujet la controverse qui opposa Pierre Bourdieu à Nonna Mayer et Gérard Grunberg. Pierre Bourdieu formule ainsi la proposition suivante : « Si la relation d’enquête se distingue de la plupart des échanges de l’existence ordinaire en ce qu’elle donne des fins de pure connaissance, elle reste, quoi qu’on en fasse, une relation sociale qui exerce des effets […] sur les résultats obtenus. », in BOURDIEU, Pierre (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 904.

1. L’observation d’acteurs du Rhin supérieur depuis une position privilégiée

Dans le cadre de ces deux observations participantes, j’ai souhaité être clair dès le début : chacun savait à la DCRI que je préparais une thèse sur la coopération transfrontalière ; mes

questionnements fréquents sur le sujet dépassaient d’ailleurs largement le cadre de la fonction d’informaticien qui m’avait été assignée, et ne pouvaient donc laisser subsister aucun doute. Pour effectuer ces observations, j’ai bénéficié de marges de manœuvres différentes en 1999 et en 2001, liées surtout à la personne qui m’encadrait : en 1999, j’ai eu la chance d’avoir Patrice Herrmann comme supérieur hiérarchique direct, conscient de la nature de mon travail, puisque lui-même travaillait sur une thèse en droit public sur le Rhin supérieur ; de ce fait, il m’a permis d’assister à toutes les réunions extérieures qui concernaient ma thèse ; la manière dont j’étais présenté aux autres acteurs était limpide : « doctorant travaillant sur la coopération transfrontalière, il réalise notre site ». Les déjeuners qui encadraient ces réunions ont permis d’avoir, dans un cadre informel et détendu, des échanges stimulants avec des Allemands et des Suisses, ainsi que des débats franco-germano-suisses sur des thèmes spécifiques. La tentation est de prêter aux propos de ces enquêtés une valeur subjective, qui doit être plutôt comprise dans l’instant qui les place « en représentation » lorsqu’ils évoquent leur expérience professionnelle, a fortiori devant un jeune et face à leurs homologues. Par le biais du secrétariat commun, j’ai pu avoir accès à de nombreux acteurs impliqués dans les programmes INTERREG Rhin supérieur Centre-Sud et Pamina, et gravitant autour des autres structures transfrontalières du Rhin supérieur, ainsi qu’aux « bruits de couloir » qui stigmatisent une institution ou un acteur.

En 2001, la rotation du personnel au sein de la DCRI a eu pour conséquence que ma

supérieure hiérarchique devienne Stéphanie Klipfel, sans doute moins sensibilisée à un travail de doctorat, si bien que mes participations à des réunions ont été conditionnées par l’objet de ma fonction officielle, la réalisation du site Internet.67 Ce changement d’attitude n’a pas été sans effets, puisqu’il est arrivé que des membres de la DCRI,faisant d’abord appel à moi, en cas

de problème informatique mineur, avant d’appeler la Direction informatique située dans un

66 V. : www.interreg-dfch.org ; ce site a également permis d’étudier les limites de la transparence affichée par le réseau d’acteurs transfrontalier — v. infra.

autre bâtiment, croient en définitive que j’étais réellement informaticien. Préparé à cette schizophrénie très résiduelle, le problème majeur que j’ai rencontré, dans le cadre de ces deux semestres d’observation participante, était bien différent : il a semblé exactement inverse à celui rencontré par Magali Boumaza, avec ses jeunes frontistes.

2. Les risques de l’observation ethnographique : devenir prisonnier de son objet

Magali Boumaza explique, dans le chapitre relatif à son enquête de terrain en milieu frontiste, qu’en se présentant avec franchise à ses futurs enquêtés, elle a dû par moments afficher son « ethnocentrisme » et faire « de la résistance contre la violence symbolique des interviewés ».68 Son terrain de recherche, « a priori hostile »69, diffère sensiblement du nôtre. En effet, nos enquêtés sont des acteurs moins jeunes (25 à 55 ans), investis dans la coopération transfrontalière, dont les icônes sont des démocrates européens, et s’inscrivant dans un spectre partisan modéré. Ce profil correspond également à celui de l’enquêteur, qui a dû, au contraire, résister contre ces représentations partagées avec les enquêtés. Ce statut de prisonnier de son propre objet de recherche constitue un piège classique mais redoutablement efficace dans le cadre de l’enquête qualitative. Des méthodes ont permis toutefois de se défaire de cette proximité de vues avec les enquêtés. Cela nous a fait prendre conscience du même coup de la difficulté qu’ont les enquêtés de pouvoir neutraliser l’objet de leur activité professionnelle, surtout quand cette neutralité est insinuée en recourant à des concepts et à des problématiques connues en sciences sociales.

La rupture avec ces représentations s’est faite graduellement : d’abord, la prise de notes régulière a permis de faire un premier effort de distanciation par rapport au discours de nos enquêtés ; ensuite, la connaissance plus approfondie (à la fois personnelle et par recoupement d’informations) de nos enquêtés a permis d’observer des attitudes et des situations en contradiction avec ces représentations ; enfin, la mesure de distanciation la plus radicale est

67 A titre exceptionnel, j’ai assisté à la tenue d’une réunion préparatoire à une réunion du Groupe de travail Centre-Sud pour laquelle j’étais concerné, entre Jean-Paul Heider et Stéphanie Klipfel.

68 BOUMAZA, Magali, Le Front national et les jeunes de 1972 à nos jours. Hétérodoxie d’un engagement partisan juvénile. Pratiques, socialisations, carrières militantes et politiques à partir d’observations directes et d’entretiens semi-directifs, Thèse de doctorat en science politique sous la direction du Professeur Renaud Dorandeu, Strasbourg III, 2 vol., p. 117-121.

69 BOUMAZA, Magali, Le Front national et les jeunes…, op. cit., p. 104.

apparue postérieurement à ces deux semestres d’observation participante, en voyageant à Barcelone pour recueillir des donnés, en effectuant des entretiens semi-directifs complémentaires, et en confrontant nos hypothèses au matériau accumulé.

3. Rédaction et usages des notes de terrain

Pour Daniel Céfaï, l’enquêteur se trouve au croisement de « trois types de cadres de pertinence (relevance frames) », dans la mesure où il est en même temps une personne ordinaire, un acteur social et un chercheur scientifique.70 En tant que personne ordinaire, l’enquêteur est soumis à des préoccupations matérielles, existentielles ou familiales ; en tant qu’acteur social, il est pris dans les toiles d’interactions des groupes, collectifs et institutions que son action contribue à faire exister, tout en devant se positionner dans le noeud de relations sociales ; en tant que chercheur scientifique, il est a amené à participer à la production d’un ensemble de « connaissances objectives et impartiales »71, tout en focalisant son attention sur des objets soumis à des débats où il est impliqué, tandis que son enquête détermine de près ou de loin sa carrière. Soumis à ces impératifs, l’enquêteur passe d’un cadre de pertinence à l’autre tout en devant comprendre les transactions qui s’opèrent sous ses yeux et en rendre compte. En considérant que cette compréhension a été progressive et dialectique, nous avons rencontré surtout des difficultés lors de l’utilisation de ce matériau, glané pendant plusieurs mois : la rédaction des notes de terrain ne s’est pas révélée problématique, mais leur utilisation ultérieure a dû être précautionneuse, voire emprunter des biais indirects.

Au cours de nos vacations à la DCRI, il a été possible de se réserver quotidiennement quelques minutes afin de prendre des notes lapidaires de nos observations. Ces notes ont été complétées le soir même ou, au plus tard, le lendemain. De même, en réunion internes ou extérieures, la prise de notes personnelle étant effectuée par toutes les personnes présentes, notre propre prise de notes n’était pas suspecte, mais témoignait au contraire de la marque d’un habitus professionnel commun.

70 CEFAI, Daniel (dir.), L’enquête de terrain, Paris, La Découverte-MAUSS, 2003, p. 535. 71 CEFAI, Daniel (dir.), L’enquête de terrain, op. cit., p. 536.

Nous avons donc bénéficié d’une assez grande liberté sur ce plan, tempérée par les contrats de travail que nous avions signés, contenant une clause de confidentialité classique, qui a représenté le principal obstacle à un usage intensif de ces notes de terrain. Nous n’avons par conséquent utilisé ces notes que de manière secondaire et complémentaire par rapport à d’autres sources. La sollicitation d’entretiens semi-directifs auprès d’acteurs que nous avions rencontrés au cours de nos vacations —tout comme des lectures dans des documents d’archives et de seconde main— a constitué un moyen de faire émerger officiellement des données accumulées dans nos notes de terrain.

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