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Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 1. L’élaboration des agendas transfrontaliers : éclairages conceptuels et logiques de mise en œuvre

B. Des problèmes produits politiquement

1. Les agendas transfrontaliers nourris de politiques antérieures

Rejoignant Philippe Garraud, « il ne faut pas concevoir la relation problèmes-solutions de manière linéaire et rigide. Des solutions peuvent devenir des problèmes et l’action publique est elle-même génératrice de problèmes par réaction ou rétroaction »109. Cela se vérifie particulièrement dans les différents agendas transfrontaliers qui sont conçus, dans le droit fil de la politique régionale communautaire, comme un moyen de rééquilibrage du territoire européen, parallèlement à l’intégration régionale110 : pour Richard Balme, « par-delà la poursuite de ses finalités explicites, la politique régionale est surtout un site institutionnel, un terrain de concessions mutuelles qui en fait un moyen plutôt qu’un objectif de l’intégration transfrontalières, avec des projets concrets et les modalités d'une concertation spécifique. » URL consultée en février 2004 : http://www.scoters.org/franco_allemand.asp

109 GARRAUD, Philippe, ibid., p. 23.

110 BALME, Richard, « La politique régionale communautaire comme construction institutionnelle », in MENY, Yves, MULLER, Pierre et QUERMONNE, Jean-Louis (dir.), Politiques publiques en Europe, L’Harmattan, Paris, 1995, pp. 287-304.

européenne. »111 Dans ce cadre de concessions mutuelles, les politiques régionales communautaires tendent à stigmatiser certaines régions, en leur attribuant des critères d’éligibilité, établissant ainsi une « [hiérarchisation dynamique du] territoire par un processus de qualification et de disqualification. »112 L’essor des politiques communautaires régionales transfrontalières, au tournant des années 1980-1990, obéit à cette stigmatisation qui avait laissé jusque là les régions périphériques des Etats membres sans subsides communautaires113. Or l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen, en 1987, puis celle du Marché unique européen en 1993 associée à la création du Comité des Régions par le Traité de Maastricht donnent aux Etats et à la Commission Européenne des justifications alimentant des politiques d’intégration de régions, voire d’Etats114.

Certains problèmes transfrontaliers naissent de la mise en œuvre de projets à vocation transfrontalière, qui mettent en évidence des lacunes ou des vides en matière juridique ou administrative. Ce fut le cas par exemple de la création du Groupement Local de Coopération Transfrontalière (GLCT), destiné à combler le vide relatif qui existait en matière juridique115,

dans le but de créer une structure transfrontalière disposant de la personnalité juridique pour

111 BALME, Richard, ibid., p. 293.

112 BALME, Richard, ibid., pp. 295-296. - Selon le site de la Commission Européenne, la politique régionale communautaire s’explique particulièrement en fonction du critère économique : « L'Union européenne est une des zones d'activités les plus prospères du monde. Mais les disparités entre ses États membres sont frappantes, et elles le sont encore plus entre ses quelque deux cent cinquante régions. Mesurer ces disparités, c'est tout d'abord mesurer et comparer les niveaux de la richesse produite par chacun, à savoir le produit intérieur brut (PIB). A titre d'exemple, en Grèce, au Portugal et en Espagne, le PIB moyen par habitant n'atteint pas 80% de la moyenne communautaire. Le Luxembourg dépasse cette moyenne de plus de 60 points. Les dix régions les plus dynamiques de l'Union ont un PIB près de trois fois plus élevé que les dix régions les

moins développées. » URL du site consulté en février 2004 :

http://europa.eu.int/comm/regional_policy/intro/regions3_fr.htm

113 Dans le même ordre d’idées, les objectifs généraux de l’initiative Interreg III sont triples : « i) renforcer la cohésion économique et sociale dans l'Union européenne grâce à la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale. ii) Interreg III vise aussi à favoriser le développement équilibré du territoire de l'Union européenne. iii) Une attention particulière sera accordée aux frontières extérieures de l'Union européenne, notamment dans la perspective de l'élargissement, et à la coopération concernant les régions ultrapériphériques de l'Union. » URL du site consulté en février 2004 :

http://europa.eu.int/comm/regional_policy/interreg3/foire/faq1_fr.htm

114 BALME, Richard, ibid., p. 293-294. Selon Richard Balme, « il est (…) permis de douter de la vocation spécifiquement régionale de ces interventions, puisque la concentration des zones d’éligibilité en fait pour des cas limites (Grèce, Portugal, Irlande), des politiques d’intégration nationale à peine déguisées. » V. sur ce point : DELFAUX, P., « La perception des disparités régionales dans la Communauté économique européenne », Revue d’économie régionale et urbaine, 1989, n° 1, pp. 41-70.

115 A côté de toutes les approches informelles de coopération qui ont fait et font encore aujourd’hui leurs preuves, il existe plusieurs outils juridiques – indubitablement imparfaits – qui permettent d’institutionnaliser des relations transfrontalières : association, consorcio, GEIE, GIP ou SEML. V. en ce qui concerne des méthodes informelles utilisées pour tisser des relations qui se passent d’outils juridiques : HAMMAN, Philippe, « Les jumelages de communes, miroir de la construction européenne ‘par le bas’ », Revue des sciences sociales (Strasbourg), 2003, n° 30, p. 158-165.

des acteurs publics116. Son utilisation étonnamment limitée117 met également en évidence la pauvreté de la culture juridique des partenaires transfrontaliers118. Pour des acteurs privés, il n’existe pas de statut d’association européenne, ce qui peut poser des difficultés quand il s’agit d’associations de frontaliers souhaitant défendre leurs droits ; en attendant un texte durablement hypothétique119, des associations recourent à des artifices juridiques qui contournent symboliquement mais inefficacement ces limites : ainsi, une association de journalistes alsaciens et badois a recouru à la création d’une association française où se sont inscrits les journalistes français et à la création d’une Verhein allemande à laquelle se sont affiliés les journalistes allemands ; chaque association a adhéré symboliquement à l’autre120.

Contrairement aux modèles rationnels de décision et d’organisation, on s’aperçoit que les agendas sont fonction de « relations entre problèmes, solutions, opportunités et inscription à l’ordre du jour de l’activité gouvernementale (…) susceptibles de prendre des configurations fort diverses. »121 Le « modèle de la poubelle »122 ou des « anarchies organisées » correspond à cette perspective d’analyse de l’agenda : l’inscription de problèmes sur des agendas peut

116 « Accord du 23 Janvier 1996 sur la Coopération Transfrontalière entre les collectivités territoriales et les Organismes Publics Locaux », signé entre la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse pour certains de ses cantons. L’objet de cet accord est de proposer des solutions pour permettre aux organismes publics de s’associer plus facilement, soit dans des formes dotées de la personnalité juridique, soit dépourvues de personnalité juridique. Les articles 11 à 15 sont relatifs au

GLCT.

117 En 1997, année de l’entrée en vigueur de l’Accord de Karlsruhe, la création d’un GLCT est envisagée dans la perspective de la construction d’un pont pour piétons entre Hartheim et Fessenheim. Le premier est créé en 1998, sous la dénomination de Centre Hardt-Rhin supérieur. Par ailleurs, pour des projets ad hoc (un projet de parc industriel et un autre de pont sur le Rhin) entre la communauté de communes des Trois Frontières et Weil-am-Rhein, les responsables politiques disent envisager la création de GLCT. Ce pont, entre Huningue et Weil-am-Rhein, dont la construction a été lancée officiellement en décembre 2003, a finalement bénéficié d’une convention de coopération transfrontalière entre les deux communes. En 1999, l’espace Pamina se constitue en GLCT. En 2000, le GEIE EuroInstitut se transforme en GLCT. En mai 2004, naît à Lahr le GLCT

Zweckerband. Pour le projet d’Eurodistrict Strasbourg-Kehl, un GLCT serait envisagé. - Cette liste de GLCT ne se veut pas exhaustive.

118 Bien que nous en soyons peu convaincus, Birte Wassenberg avance d’autres hypothèses pour expliquer l’utilisation encore rare du GLCT, comme la lourdeur juridique de la mise en œuvre du GLCT ou le choix d’autres options juridiques institutionnelles. V. WASSENBERG, Birte, ibid., p. 502 et suiv. – En revanche, le manque d’expertise juridique dans les collectivités territoriales peut expliquer cette difficulté de mettre en œuvre un texte. En outre, l’utilisation du GLCT dans un objectif fonctionnel précis et limité, qui correspond à l’esprit du texte de Karlsruhe, ne semble pas avoir été comprise par tous : les cas de Pamina et de l’Eurodistrict Strasbourg-Kehl nous laissent dubitatifs. Il semble plutôt que les élus et agents cèdent aux sirènes des médias locaux et régionaux, grâce auxquelles la visibilité de leur action sera immédiate s’ils créent un

GLCT, même si ce dernier s’avère peu adéquat en pratique.

119 L’intérêt des Etats-membres et de la Commission n’irait pas dans le sens de créer un outil juridique comme l’association européenne, que pourraient ensuite utiliser des organisations comme Attac, contestatrices du projet d’intégration européenne d’inspiration néolibérale. Hypothèse avancée par Pierre Eckly, au cours d’une discussion informelle, au premier semestre 2004.

120 Dernières Nouvelles d’Alsace, « Pamina : 10 ans de coopération transfrontalière », N° 10 - Vendredi 12 Janvier 2001, cahier Région ; « Des journalistes transfrontaliers », N° 160 - Dimanche 8 Juillet 2001, cahier Région ; « Médias français et allemands », N° 125 - Jeudi 30 Mai 2002, cahier Wissembourg.

121 GARRAUD, Philippe, ibid., p. 27.

provenir notamment de politiques antérieures ou de l’apparition conjecturale d’une opportunité. La théorie des « anarchies organisées » semble rentrer dans notre champ d’analyse du transfrontalier, mais elle n’offre qu’une explication partielle de l’inscription sur plusieurs agendas des problématiques transfrontalières.

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