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Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 2. L’émergence et l’inscription de la thématique transfrontalière en Europe

B. Un acteur marginal surestimé : l’instrumentalisation du rôle du Conseil de l’Europe en faveur de la

1. La Convention de Madrid : un tigre de papier

La Conférence Européenne des Ministres chargés de l’Aménagement du Territoire (CEMAT), organe consultatif du Conseil de l’Europe fondé en 1970, publie une Stratégie d’aménagement du territoire européen qui est un des premiers documents proposant une

208 http://www.structurae.info/fr/structures/data/s0001819/index.cfm

209 V. par exemple TAMBOU, Olivia, La coopération transfrontalière européenne à l’échelle de la Catalogne, Barcelone, Institut Universitari d’Estudis Europeus (coll. Documents de débat), 2000 ; FINCK, Olivier, La coopération décentralisée…, op. cit.., p. 157 ou NAULT, Michel, « La coopération transfrontalière, rocher de Sisyphe », in “ Le rural. Une chance pour l'Europe ? ”, Actes des Ateliers Ruraux d’Automne. Communautés rurales. Communauté européenne. Saint-Maximin (Var) — Décembre 1988. Publiés avec l'aide de la Commission des Communautés Européennes, G.R.E.P, Groupe de Recherche pour l'Éducation et la Prospective, Paris (v. infra).

stratégie de coopération transfrontalière exhumé des archives du Conseil de l’Europe et dont le développement se poursuit dans l’enceinte de cette organisation internationale jusque dans les années 1980210. Ce développement atteint son apogée dans la Convention-cadre européenne

sur la coopération transfrontalière, signée à Madrid le 21 mai 1980 et entrée en vigueur le 22

décembre 1981, (dite « Convention de Madrid »211) qui constitue une structure juridique à l'échelon européen pour les relations transfrontalières des autorités territoriales. Des modèles et schémas d'accords, de statuts et de contrats sur divers thèmes y sont annexés; ils n'ont qu'un caractère indicatif et aucune valeur conventionnelle. Cette Convention constitue moins un instrument juridique convaincant qu’un moyen d’inscrire collectivement la problématique transfrontalière dans les esprits des gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe, qui représente un espace relativement consensuel. Les clauses sont en effet trop générales pour être applicables, et les modèles et schémas d’accords constituent de simples exemples212.

Cette absence de valeur contraignante est accentuée par les réserves émises par plusieurs Etats signataires (a.), corrigées tardivement par un premier Protocole additionnel (b.).

a. Les réserves à la Convention émises notamment par la France et l’Espagne : un obstacle à la coopération transfrontalière en Europe ?

Ainsi, des réserves émises par certains Etats comme la France ou l’Espagne limitent la portée de la Convention213. Selon Pierre Eckly, « Au moment d'exprimer leur consentement à être lié par la Convention-cadre, plusieurs Etats ont déclaré subordonner "l'application de celle-ci à la conclusion d'accords interétatiques" (D'après la déclaration française dont le texte a inspiré pour partie les déclarations italienne et espagnole, journal officiel de la République française, Lois et Décrets, 9 juin 1984, page 1804). Ainsi, en même temps qu'ils s'étaient engagés à appliquer la Convention-cadre, lesdits Etats avaient déclaré ne pas s'engager à

210 ARFE, LACE, Aspects institutionnels de la coopération transfrontalière, Gronau, (Document de travail), sept. 1988, p. 4. 211 Pour avoir accès au texte de la Convention, veuillez consulter cette URL : http://conventions.coe.int/treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=106&CM=1&CL=FRE.

212 ECKLY, Pierre, « Le droit de la coopération transfrontalière », in RISCH, Paul (coord.), Guide juridique de la coopération culturelle transfrontalière, Strasbourg, PUS, 1995, pp. 9-50.

213 En ce sens, ECKLY, Pierre, ibid., p. 45.

l'appliquer immédiatement. » Ces réserves seraient formulées à tort, pour plusieurs motifs d’ordre juridique rappelés214 par Pierre Eckly215 : « Une réelle analyse juridique se doit pourtant de mettre en évidence [cette incohérence juridique – i.e. les réserves des Etats] en cernant les griefs qui motivent l'invalidité des déclarations en cause. » Ainsi, « les Etats auteurs de ces déclarations ont tout d'abord méconnu une importante règle du droit international public qui interdit aux parties à une convention internationale d'assortir leur engagement de réserves incompatibles avec l'objet et le but de la convention. » En second lieu, des réserves formulées par des Etats ne peuvent viser à « exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions d’un traité et non du traité dans son ensemble »216. Or en l’espèce, les réserves portent sur l’ensemble de la convention-cadre. Enfin, « (…) il aurait été possible [au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe], en s'appuyant sur les responsa- bilités juridiques que lui confère son rôle de dépositaire, de faire remarquer à l'adresse des Etats en infraction qu'ils privaient les autres Etats de leur droit à s’engager à appliquer la convention-cadre. Quand, par exemple, la France exige qu’un accord étatique soit conclu avec la République fédérale d’Allemagne pour que la convention-cadre s’applique à leurs relations mutuelles, elle empêche partiellement la RFA d’honorer l’engagement allemand à appliquer la convention-cadre même en l’absence d’accord inter-étatique. »217

Par la suite, une enquête menée en 1990-1991 par le Secrétariat général du Conseil de l’Europe montre que de sérieux obstacles juridiques freinent la mise en œuvre effective de la Convention. La Conférence Permanente des Pouvoirs locaux et régionaux d’Europe (CPLRE) souligne également ces limites, au point 17 de sa Résolution 227 (adoptée en mars 1991) :

a) la Convention-cadre ne contient aucun engagement précis de la part des Etats, qui sont simplement invités à "faciliter", "promouvoir" ou "favoriser" les initiatives des collectivités ou autorités territoriales. Aucun droit de ces collectivités ou autorités de conclure des accords de coopération transfrontalière n'est vraiment reconnu;

214 Pierre Eckly décèle une absence de critiques parmi certains auteurs : « L'incohérence juridique de ce comportement étatique a pu échapper à l'attention de ceux qui se contentent de décrire les “ circonstances dans lesquelles s' « ébauche “ un... droit ”. » (NAULT, Michel, « La coopération transfrontalière, rocher de Sisyphe », in "Le rural. Une chance pour l'Europe ?", Actes des Ateliers Ruraux d’Automne. Communautés rurales. Communauté européenne. Saint-Maximin (Var) — Décembre 1988. Publiés avec l'aide de la Commission des Communautés Européennes, G.R.E.P, Groupe de Recherche pour l'Éducation et la Prospective, Paris, p. 57). – V. aussi ARFE, LACE, Aspects institutionnels de la coopération…, op. cit., p. 5 : « Bien que plus de 20 pays l’aient signée, elle ne s’est avérée utile que lors de sa mise en œuvre par le biais de traités spécifiques entre Etats. ». - ECKLY, Pierre, ibid., p. 45.

215 V. ECKLY, Pierre, ibid., pp. 45-46.

216 Article 2. I. d. de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 – cité par Pierre Eckly (ibid., p. 46). 217 ECKLY, Pierre, ibid., pp. 46-47.

b) la Convention-cadre n'apporte pas de précisions juridiques suffisantes dans le droit national des Parties Contractantes pour régler les problèmes soulevés par la coopération transfrontalière tels que:

i) la mise en oeuvre d'une coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales dans un cadre de droit public;

ii) la valeur juridique, dans le droit interne de chaque Etat, des actes accomplis dans le cadre de la coopération transfrontalière par les collectivités ou autorités territoriales;

iii) la personnalité juridique et le statut de droit public ou privé reconnus aux organismes de coopération transfrontalière que peuvent créer les collectivités ou autorités territoriales. 218

Grâce à ces restrictions, les Etats comme la France et l’Espagne imposent à leurs collectivités, mais également à d’éventuels Etats cosignataires, de passer par une voie conventionnelle internationale spécifique. Ce mode d’action renforce l’Etat français et l’Etat espagnol dans leur domination face à des régions qui souhaitent s’émanciper dans le concert européen, notamment par le biais de la coopération transfrontalière. Conscient de ces limites, le Conseil de l’Europe mandate tardivement un comité restreint d’experts en vue d’élaborer un protocole additionnel à la Convention.

b. Des réserves corrigées tardivement par le Protocole additionnel n°1

Ce protocole219, signé à Strasbourg le 9 novembre 1995, est entré en vigueur le 1er décembre 1998220. Le protocole additionnel vise à renforcer la Convention-cadre en reconnaissant expressément, sous certaines conditions, le droit des collectivités territoriales à conclure des accords de coopération transfrontalière : toutefois, ces conditions imposent des contraintes liées à la validité en droit national des actes et décisions pris dans le cadre des accords de coopération transfrontalière et de la personnalité juridique des organismes de coopération transfrontalière, créés en vertu d'un accord. L’Etat espagnol n’a pas signé ce protocole.

Dans les cas transfrontaliers que nous étudions, l’Etat français et l’Etat espagnol ont su contourner les mesures incitatives du Conseil de l’Europe et les obligations à venir contenues

218 Conseil de l’Europe, Rapport explicatif au Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, 1995.

219 Un autre protocole adopté le 17 mars 1998, le Protocole n° 2, ne concerne pas le champ de cette étude : il fixe en effet la base juridique de la coopération entre autorités territoriales non contiguës.

220 Pour consulter le texte du protocole et les pièces juridiques qui lui sont attachées, v. le site du Conseil de l’Europe : www.coe.int

dans le Protocole n°1. Trois accords interétatiques ont en effet été signés à partir du milieu des années 1970, sur la coopération transfrontalière intéressant notamment les acteurs du Rhin supérieur et de l’Eurorégion méditerranéenne.

2. L a marque de la politique transfrontalière étatique : les accords interétatiques de Bonn,

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