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Le modèle de l’offre politique confronté à un champ politique transfrontalier vidé de clivages

Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 1. L’élaboration des agendas transfrontaliers : éclairages conceptuels et logiques de mise en œuvre

A. La propension des acteurs à inscrire un problème sur l’agenda : la typologie de Cobb, Ross & Ross

3. Le modèle de l’offre politique confronté à un champ politique transfrontalier vidé de clivages

Selon Philippe Garraud, ce modèle « repose essentiellement sur l'action des organisations politiques. Certaines formations politiques proposent ou se saisissent d'un thème parce qu'elles en pressentent la rentabilité politique et en escomptent des gains pour leur crédit

140 Dernières Nouvelles d’Alsace, « L'heure de la réconciliation », N° 152 - Mardi 1er Juillet 2003, cahier Strasbourg. On lit notamment : « Un des premiers résultats concrets du comité de pilotage pour l'Eurodistrict, réuni hier soir à l'Hôtel de Ville de Strasbourg, a été la fin de la brouille qui a opposé depuis plus de deux mois Fabienne KELLER [maire de Strasbourg] et Robert GROSSMANN [président de la CUS] à Günther PETRY [maire de Kehl-am-Rhein] (...) Au sortir de la séance de travail présidée par Noëlle LENOIR et Hans-Martin BURY, ministres délégués aux affaires européennes de France et d'Allemagne, le maire de Kehl a confirmé qu'il avait serré la main du président de la CUS : « Nous avons passé un contrat verbal selon lequel nous allons nous efforcer de travailler ensemble dans le respect mutuel pour le succès de la Landesgartenschau », a déclaré Günther PETRY sous les applaudissements de ses collègues élus (…) ».

141 GARRAUD, Philippe, ibid., pp. 31-32.

politique. Dans ce but, elles politisent certains thèmes afin d'agir sur le « marché politique » et la compétition électorale. L'offre politique joue dans ce modèle un rôle essentiel, un rôle moteur. »142 Néanmoins, ce modèle semble peut exploitable dans une région transfrontalière comme le Rhin supérieur où les initiatives transfrontalières dépassent les clivages partisans, et où existe un consensus large sur les enjeux européens. De ce fait, hormis des inscriptions en fin de programmes électoraux régionaux et locaux rappelant les investissements d’élus dans le transfrontalier, ainsi que l’enjeu du transfrontalier en tant que biais pour vivre l’Europe à proximité, le transfrontalier n’est pas un moyen électoral en principe exploitable. Les budgets en faveur de projets transfrontaliers sont votés régulièrement à l’unanimité. Néanmoins, on voit que cela peut le devenir exceptionnellement et de manière implicite. Ainsi, Pascal Mangin, adjoint au maire de Strasbourg et chargé des affaires européennes, tente de montrer que l’équipe précédente était absente du transfrontalier :

« Strasbourg avait jusqu'alors plutôt tendance à tourner le dos au fleuve. Ce projet marque ainsi, pour la ville et pour la Communauté Urbaine, la reconquête des rives du Rhin. L'aménagement de ces rives, d'une grande qualité, permet de souligner l'unité du fleuve, une unité urbanistique et symbolique qui augure d'un développement de plus en plus harmonieux de part et d'autre de la frontière. »143

De la même manière, Roland Ries entaille au cours d’un entretien la politique du « couple Keller-Grossmann », en mettant en avant l’expérience qu’il a acquise par rapport à des néophytes :

« Donc il faut secouer sans arrêt, pour faire avancer le jeu. Et je crois que mes successeurs, quand ils sont arrivés, ont trouvé tous les projets évidemment un peu suspects [inaud.] est-ce que ça va coûter de l’argent [inaud.] Mais ils ont assez vite compris que s’ils faisaient ça, ils allaient se mettre à dos une partie de la population de Strasbourg - qui est, je crois, très attachée à la coopération transfrontalière (...). Quel est le bénéfice électoral qu’on peut tirer de la coopération transfrontalière? Je pense que le bénéfice direct est probablement faible, mais l’échec de la coopération transfrontalière et la tension entre les deux côtés de la frontière, elle, serait très défavorable. Je pense que c’est ce que Keller et Grossmann ont compris, il y a quelques mois. »144

En revanche, en Allemagne, il semble y avoir un consensus large qui évite des anicroches partisanes, en matière de coopération transfrontalière. La mairie de Kehl vit à l’heure de la

142 GARRAUD, Philippe, ibid., p. 33.

143MOT, Rubrique « Point de vue avec Pascal Mangin », in L’actualité transfrontalière, n° 5, juin 2004, p. 1. 144 Entretien avec Roland Ries, 28 avril 2003, annexe du rectorat, 14h40-15h30.

cohabitation : le maire est SPD tandis que la majorité municipale est CDU. Roland Ries

confirme cet état de fait :

« Alors, ça, c’est une caractéristique allemande : le maire est élu sur son nom, et c’est tout, et il est élu en dehors du conseil municipal [inaud.]. Et on trouve à Kehl ce qu’on trouve dans beaucoup de villes allemandes, à savoir que le président de l’exécutif n’a pas la même couleur politique que la majorité de son conseil. C’est un peu étonnant pour nous, mais ça fonctionne. Il négocie avec son conseil municipal [inaud.]. Sur le transfrontalier, je crois sincèrement que le SPD et la CDU sont sur la même longueur d’ondes. Je n’ai jamais senti de tension particulière, à l’intérieur des délégations où il y avait chacun de ces camps politiques (…) »145

En revanche, des clivages internes à chaque parti en France sont mis en évidence par l’ancien maire de Strasbourg, clivages où peut accessoirement être inscrite la coopération transfrontalière :

« Oui, le PS qui rassemble des courants, des pensées différentes, et en matière transfrontalière, la question principale qui est posée, c’est la question du rôle de l’instance d’Etat par rapport à des décisions qui sont prises au niveau local. Et donc il y a un courant à gauche qui reste très jacobin, et l’autre courant dont je fais partie, qui est plus décentralisateur, plus girondiste. Les Girondins ont, je crois, bien progressé à gauche, dans le PS, [inaud.]. Et maintenant je crois à un équilibre entre ces deux courants. Il est évident que le courant girondin ou girondiste est plus favorable à la coopération transfrontalière. [inaud.] Je pense que sur l’Eurodistrict, cette question, quand on arrivera au vif du sujet, va diviser les formations politiques - je ne sais pas jusqu’à quel point - mais le même débat entre Jacobins et Girondins [inaud.]. L’ex-RPR a une forte tendance jacobine, et du côté de l’UDF, il y a une tendance plus libérale, plus régionale. Je suppose que la question se posera quand on mettra du contenu concret dans l’Eurodistrict, que, éventuellement, on demandera un statut spécifique, avec un abandon de souveraineté. (…) » - « (…) Ce débat, disons, ancien, qui remonte aux origines de la gauche - le régionalisme disons -, a existé dans la fédération du Bas-Rhin du Parti Socialiste dans les années 1970. Mme Trautmann était plus jacobine que moi-même. On a eu un débat sur l’identité régionale. Elle était un petit peu en retrait par rapport à tout ce qui était spécificité régionale à défendre. Elle considérait ça comme des thèmes de droite. Moi, j’ai toujours été, dès les années 70, et bien évidemment à l’époque où j’étais maire de Strasbourg, j’ai toujours été sur l’idée que l’identité régionale n’était pas un thème étalonné à droite. C’est une certaine conception de l’identité régionale qui est à droite, voire l’extrême-droite, que l’extrême-droite revendique, Alsace d’abord, qui défend une certaine idée de l’identité régionale - ce n’est pas la mienne. Mais la défense des langues régionales, du bilinguisme [inaud.], je pense que c’est inscrit dans une conception ouverte de l’identité. Donc, ce qui était vrai dans ce domaine-là l’était aussi dans la question transfrontalière. »146

145 Entretien avec Roland Ries, ibid. 146 Entretien avec Roland Ries, ibid.

Dans l’Eurorégion méditerranéenne, à l’exception du trouble politique durable produit par l’élection régionale de J.-M. Blanc avec des voix Front National, le dépassement des clivages partisans modérés évacue la possibilité d’utiliser ce modèle. Un second cadre théorique permettant d’appréhender la mise sur agenda des politiques transfrontalières mobilise l’expertise en termes de ressources.

B. L’utilisation de ressources d’expertise pour inscrire un problème sur l’agenda : le

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