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Un contexte transfrontalier favorable, soutenu par des configurations d’acteurs spécifiques

Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 1. L’élaboration des agendas transfrontaliers : éclairages conceptuels et logiques de mise en œuvre

B. Des problèmes produits politiquement

2. Un contexte transfrontalier favorable, soutenu par des configurations d’acteurs spécifiques

Pour compléter cette approche, il faut tenir compte, par ailleurs, d’une configuration d’acteurs particulière. Cette dernière peut être décrite par trois traits fondamentaux. D’abord, le rôle de l’institution en présence, la compétition politique dans laquelle elle se trouve immergée et la conjoncture politique, économique et idéologique appellent une sensibilité particulière à des problèmes existants ou émergents. La coopération transfrontalière n’aurait pas trouvé d’écho aussi favorable au sein du Conseil de l’Europe dans les années 1970 et au début des années 1980 si ce dernier ne s’était pas retrouvé concurrencé de manière croissante par les Communautés européennes dans son rôle symbolique de précurseur de l’intégration européenne ; l’exemplarité de l’Europe de l’Ouest, rendant plus perméable ses frontières pour le bien-être de ses citoyens, était également un outil idéologique face au bloc soviétique. Ensuite, les priorités accordées par les médias rendent la visibilité de certains sujets problématiques. Par exemple, les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) ont accordé une

importance croissante surprenante à la problématique transfrontalière dans le Rhin supérieur, depuis la fin des années 1990, alors que les confrères allemands et suisses diffusent depuis longtemps et plus largement des informations à caractère transfrontalier : le rédacteur en chef des DNA, Alain Howiller, nous confiait au début de 2000, que la coopération

transfrontalière n’était pas une priorité pour son quotidien, non seulement parce que le sujet - assez technique - intéressait très peu de lecteurs, mais aussi parce que la population bilingue en Alsace était en baisse – l’édition allemande des DNA connaissait un tirage décroissant ; le

changement d’attitude du responsable rédactionnel des DNA au cours des années suivantes –

prolongeant ainsi l’intérêt croissant d’élus locaux, régionaux et nationaux pour le

122 COHEN, M., MARCH, J. et OLSEN, J., « A Garbage Can Model of Organizational Choice », Administrative Science Quarterly, Vol. 17, n°1, March 1972, p. 3.

transfrontalier et sa dimension européenne — a été souligné par la parution d’un ouvrage récent axé sur l’Europe et le transfrontalier123 et la tenue du 9e Congrès Tripartite du Rhin supérieur consacré aux médias124. Enfin, l’influence d’événements catastrophiques ou dramatiques qui décuplent l’intensité et la portée des problèmes aide à les faire percevoir comme prioritaires : au cours d’une période historique récente, la concurrence entre Bruxelles et Strasbourg comme villes d’accueil « principales » des institutions européennes n’est pas étrangère à la posture des élus locaux et régionaux qui se disent ouvertement européens et participent à des mesures favorisant le maintien de Strasbourg comme siège du Parlement Européen pour les sessions parlementaires – la construction du nouveau siège du Parlement européen au cours des années 1990 en est un exemple frappant. Le corollaire de cette posture européenne est de s’afficher en tant qu’Européen de proximité, autrement dit en étant actif dans les activités de coopération transfrontalière. Sur un temps historique moins récent, la Deuxième guerre mondiale peut expliquer des « intimités dramatiques » héritées d’une histoire personnelle ou collective qui persistent dans le Rhin supérieur et presser de se retrouver sans se « comprendre »125, en raison d’histoires personnelles et collectives contradictoires et intériorisées ; cet empressement est donc un biais qui évite de se replonger dans une histoire trouble, où ces intimités dramatiques encore bouillonnantes sont transfigurées sur un mode d’amitié qui évite le dialogue sur un passé douloureux. L’amitié franco-allemande présentée symboliquement à travers l’entente amicale de De Gaulle et d’Adenauer est un modèle qui est largement à l’œuvre dans le Rhin supérieur, où chaque élu revendique régulièrement une amitié sur l’autre rive du Rhin, sans pour autant avoir fait un travail commun de digestion du passé : les commémorations des Guerres Mondiales en France sont ainsi des indices de la difficulté de repenser les conflits européens avec les ennemis d’hier126. On ne trouve pas, à l’inverse, de perception similaire sur la frontière franco-espagnole : la Guerre civile espagnole puis l’installation du régime franquiste ont

123 HOWILLER, Alain, L’Europe au cœur, La Nuée Bleue, Strasbourg, 2004.

124 Regio Basiliensis, 9ème Congrès Tripartite, Médias et Communication dans le Rhin supérieur, Bâle, 16 sept. 2004, organisé

par la Regio Basiliensis.

125 BOURDIEU, Pierre, « Comprendre », in Pierre Bourdieu (dir.), La misère du Monde, Seuil, 1993, pp. 903-939 ; nous empruntons l’expression « intimités dramatiques » à Willy Beauvallet, qui l’utilise pour expliquer la difficulté constante pour des Israéliens et des Palestiniens de parler entre eux de leurs drames individuels ou collectifs.

126 Si l’on fait exception des dernières commémorations du 6 juin 2004, au cours desquelles le chancelier Schroeder a accepté l’invitation qui lui était faite par le président Chirac. Toutefois, les témoignages d’anciens combattants (presque

plutôt produit une méfiance réciproque, d’ordre idéologique, qui s’est estompée à mesure que l’Espagne revenait dans le concert démocratique européen et que la France corrigeait ses préjugés à son égard. La coopération transfrontalière franco-espagnole n’a donc pas comme objet de solder symboliquement un passé lourd.

Nous retiendrons, avant d’examiner différentes classifications de mise sur agenda, la définition proposée par Philippe Garraud : « On peut définir assez largement l'agenda politique comme l'ensemble des problèmes faisant l'objet d'un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l'objet d'une ou plusieurs décisions, qu'il y ait controverse publique, médiatisation, mobilisation ou demande sociale et mise sur le « marché » politique ou non. »127 Néanmoins, il convient de noter qu’un agenda est toujours en mouvement, de nature provisoire, qu’il doit être fractionné pour servir à des études concrètes128, et qu’il suit une dynamique temporelle avec un rythme de fonctionnement propre129.

§2. Les critères de la mise sur agenda d’un problème transfrontalier

Plusieurs modèles offrent la possibilité de souligner des logiques dominantes et variables dans les processus de mise sur agenda. Ces modèles doivent être appréhendés comme des « types idéaux », servant de guide —mêmes imparfaits— exposant des critères de mise sur agenda, dans la perspective d’analyses empiriques transfrontalières. Ces différents modèles ne s’appliquent pas globalement à des agendas transfrontaliers majeurs (agenda des Etats ou de la Commission Européenne), mais ils peuvent servir de guides pour analyser des agendas systématiquement alliés) diffusés par les médias français sont parfois amers, même si beaucoup reconnaissent le lien d’amitié qui unit désormais le couple franco-allemand.

127 GARRAUD, Philippe, ibid., p. 29.

128 Cobb et Elder suggèrent ainsi de « de privilégier l'agenda formel tout en le fragmentant en différents agendas spécifiques : gouvernemental, législatif et administratif (propre aux divers ministères), mais aussi médiatique et électoral; agendas emboîtés de toute évidence mais pouvant obéir à des processus, des procédures, des routines, des logiques et des rythmes spécifiques et singuliers. » V. ibid, pp. 14-16, cité par GARRAUD, Philippe, ibid., p. 28.

129 Philippe Garraud (ibid., p. 29) donne un exemple emprunté à Light : « LIGHT, P. (The President's Agenda: domestic policy choices from Kennedy to Carter, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1982) considère que la première année d'exercice du pouvoir constitue une période favorable au renouvellement de l'agenda politique et qu'ensuite les initiatives gouvernementales diminuent progressivement au fur et à mesure que les élections approchent et que leurs contraintes sont prises en compte. »

périphériques. Nous exposerons dans un premier temps la typologie proposée par trois chercheurs Américains (A), qui sera complétée par deux autres modèles (B et C) et un ultime critère limitatif de l’inscription d’un problème sur un agenda (D).

A. La propension des acteurs à inscrire un problème sur l’agenda : la typologie de Cobb,

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