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Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Chapitre 2. Logiques de la coopération transfrontalière et modes d’action collective

Comment envisager l’action collective transfrontalière dans une sociologie de l’action collective qui est « peu unifié[e], constamment alimenté[e] par des concepts issus de paradigmes extérieurs (interactionnisme, cognitivisme…), et dans [laquelle] sont constamment ‘redécouverts’ tous les problèmes classiques et centraux rencontrés dans les sciences sociales (relation entre niveaux ‘micro’ et ‘macro’, statut des intérêts, objectivisme, degré d’extension des chaînes explicatives, prise en compte du ‘contexte’, etc. »314 ? Johanna Siméant propose de faire un détour plus général par les sciences sociales, dans lesquelles des oppositions fondamentales peuvent clarifier notre approche : l’une de ces oppositions réside dans le clivage entre « une conception explicative de l’action sociale donnant la priorité aux dispositions, aux valeurs et aux normes intégrées, [et] une conception qui privilégie les intentions, les choix et les évaluations des coûts d’opportunité des acteurs. »315 En réduisant singulièrement cette opposition à la sociologie de l’action collective, on peut y voir « une conception socialisée des rapports humains opposée à une conception économique des mêmes rapports. »316 On distingue ainsi, avec Jean Cohen317, deux courants : le premier, celui « de la mobilisation des ressources » est en majorité nord-américain, et comprend principalement Mancur Olson318, Mayer Zald & John McCarthy319, Anthony Obershall320 et

314 SIMEANT, Johanna, La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences-Po, 1998, p. 47. 315 SIMEANT, Johanna, La cause…, ibid.

316 SIMEANT, Johanna, La cause…, op. cit., p. 48.

317 COHEN, Jean, « Strategy or Identity: New Theoretical Paradigms and Contemporary Social Movements », Social Research, 52 (4), 1985, p. 663-716. Cité par SIMEANT, Johanna, La cause…, op. cit., p. 49, note 1.

318 Olson pose le postulat de rationalités individuelles et instrumentales orientées vers la satisfaction individuelle (ou self interest). V. OLSON, Mancur, Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1978. - V. infra pour une analyse plus détaillée. 319 Zald & McCarthy mettent à profit les recherches d’Olson pour étudier, dans une orientation économiste / entrepreneuriale, les ressources mobilisées par les individus afin de parvenir à leurs fins. V. ZALD, Mayer & McCARTHY, John, The Dynamics of Social Movements : Resource Mobilizations, Social Control and Tactics, Cambridge (Mass.), Winthrop., 1979.

320 Obershall focalise davantage ses recherches dans une perspective sociale, en tenant compte du poids des groupes d’appartenance. V. OBERSHALL, Anthony, Social Conflict and Social Movements, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1973.

Charles Tilly321 ; le second, plus européen, est fondé sur une approche plus structurale qui met l’accent sur la question des identités. Néanmoins, Johanna Siméant constate une évolution de ce clivage grossier322 entre un courant américain qui résonnerait en termes de stratégie et un courant européen favorisant une approche identitaire, par des études qui tentent de dépasser cette opposition323.

Gardant à l’esprit ces dernières contributions, notre point d’appui théorique se limitera néanmoins à une double grille d’analyse, fondée sur le courant de la « mobilisation des ressources ». En premier lieu, l’approche de la « mobilisation des ressources » centrée sur une perspective économiste des rapports sociaux replace les calculs individuels dans l’action collective. L’intérêt d’étudier sous cet angle les individus et institutions investis dans la coopération transfrontalière réside dans la possibilité de replacer ces stratégies dans un contexte social324 ; par ailleurs, la théorie d’Olson325 relative au paradoxe du free rider nous aide à questionner des mobilisations transfrontalières qui, voici quelques années, étaient exceptionnelles et qui, aujourd’hui, alternent entre des formes individuelles et collectives326. Comment expliquer la mobilisation transfrontalière d’un ensemble d’entités et de collectivités territoriales, alors que l’intérêt de coopérer est pour elles minime, et que leurs compétences

321 Tilly s’intéresse à des variables telles que la nationalisation du champ politique et les répertoires d’action. V. TILLY, Charles, La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.

322 Jon Elster reconnaît par exemple les limites du modèle de la rationalité individuelle sur lequel il se fonde, en élaborant une théorie des normes sociales. V. ELSTER, Jon, The Ciment of Society. A Study of Social Order, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. Cité par SIMEANT, Johanna, La cause…, op. cit., p. 48.

323 On compte par exemple dans les nouvelles approches qui dépassent cette opposition l’analyse de l’institutionnalisation de mouvements sociaux (V. LARAÑA, Enrique, JOHNSTON, Hank, GUSFIELD, Joseph (Eds), New Social Movements. From ideology to identity, Philadelphia, Temple University Press, 1994) ou l’analyse en termes de « processus politique » (V. LIPSKY, Michael, Protest in City Politics. Rent Strikes, Housing and the Power of the Poor, Chicago, Rand MacNally & Company, American Politics Research Series, 1970 – ou v. encore : McADAM, Doug, Political Process and the Development of Black Insurgency 1930-1970, Chicago & London, The University of Chicago Press, 1982).

324 OBERSHALL, Anthony, Social Conflict…, op. cit., p. 114-115.

325 La théorie d’Olson consiste à poser le principe que si l’action d’un groupe d’intérêt ou d’un individu réussit, cette action bénéficiera à l’ensemble des groupes ou à l’ensemble des individus. Il en résulte qu’une telle action a la nature d’un bien collectif, dont bénéficient tous les individus, qu’ils aient ou non participé à l’action collective ayant généré la production du bien collectif. Dans ce cadre d’analyse, si la participation d’un individu n’est pas intentionnelle ou obligatoire, chaque membre, rationnellement, est dissuadé de s’engager dans cette action collective, autrement dit à ne pas payer le coût d’une participation à une action du groupe. Des individus seront donc incités à adopter la stratégie du free rider ou ticket gratuit, consistant à ne pas s’investir tout en récoltant les bénéfices du bien collectif. En conséquence, si l’on pousse cette logique jusqu’à l’extrême, aucun individu ne s’investirait et le groupe serait inactif. Comment résoudre ce paradoxe, sachant qu’un bien collectif demande l’investissement d’individus pour sa production ? Olson donne la solution suivante : seuls des bénéfices immédiats et restreints au seul groupe ou à chaque membre du groupe peuvent résoudre ce paradoxe et inciter à l’action collective. On le note particulièrement dans le champ transfrontalier, où des conditions spécifiques résolvent le paradoxe d’Olson.

326 L’oscillation de l’action collective dans des formes individuelles et collectives nous est rappelée par J. Siméant. SIMEANT, Johanna, La cause…, op. cit., p. 52.

hétérogènes, issues d’environnements politiques nationaux inégaux, les dissuade a priori de coopérer ? (Section 1)

La deuxième grille d’analyse empruntée au courant de la mobilisation des ressources focalise son attention sur les « entrepreneurs ». En effet, le rôle des entités infra-nationales et des entrepreneurs est central pour plusieurs motifs : non seulement certaines ressources doivent être capitalisées pour passer à l’action collective, mais il faut aussi tenir compte des organisations et des entrepreneurs qui ne sont pas démunis pour investir l’arène internationale, mais dont la nature les handicape gravement, dans un espace réservé en principe aux seuls Etats. MacCarthy & Zald, principaux théoriciens de ce modèle, ont également mis l’accent sur les motivations idéologiques de certains militants. En choisissant ce modèle, nous pourrons distinguer les entrepreneurs de leurs soutiens dans des réseaux transfrontaliers. (Section 2)

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