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Les limites juridiques de l’inscription d’un problème sur l’agenda : la délimitation des compétences

Chapitre I. La mise sur agenda des problématiques transfrontalières en Europe

Section 1. L’élaboration des agendas transfrontaliers : éclairages conceptuels et logiques de mise en œuvre

D. Les limites juridiques de l’inscription d’un problème sur l’agenda : la délimitation des compétences

Les acteurs sur les différentes scènes politiques doivent avoir les compétences nécessaires, non seulement individuellement, mais aussi collectivement pour investir un ou plusieurs agendas en matière transfrontalière. Or cette double limite juridique contraint singulièrement les possibilités d’inscrire des problèmes sur l’agenda.

Comme le note André-Jean Arnaud, la question de la souveraineté étatique est au centre de la problématique de la régulation par le droit152. Cependant, nous considérons que la souveraineté des Etats n’est pas aussi profondément remise en question que le diagnostic qui en est fait : en effet, selon ce dernier auteur, la régulation sociale contemporaine impose à l’Etat une triple redéfinition de la place du droit étatique. Le droit étatique serait d’abord relayé par des ententes régionales comme l’UE, le Mercosur ou l’ALENA, des organisations internationales, mais aussi par des instances privées qui opèreraient au niveau sub-étatique153, de même que par des instances locales et régionales. Les interventions de ces acteurs impliquent de la part des Etats des modes d’action relevant de la négociation, de la médiation ou de la conciliation154. En second lieu, le droit étatique serait suppléé par un certain nombre de politiques publiques qui appellent des réponses à l’échelon planétaire, comme les questions environnementales et de sécurité : la reconnaissance implicite que le droit ne répond pas aux problèmes climatiques et de sécurité qui se globalisent exigent la suppléance d’une régulation qui fasse état de cette inefficacité du droit155. Sur le thème de la sécurité globale, les différentes approches intègrent la question militaire, mais aussi les questions

151 Entretien avec Nicolas LOQUET, 18 mars 2003.

152 ARNAUD, André-Jean, « La régulation par le droit en contexte globalisé », in COMMAILLE, Jacques et JOBERT, Bruno (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, LGDJ, Paris, 1998, pp. 147-175.

153 V. à ce sujet : PAJAUD-GUEGUEN, Solange, Essai sur le pouvoir normatif des organismes de droit privé, Thèse en droit, Toulouse I, 1995 (dir. par Jean Arnaud MAZERES).

154 ARNAUD, André-Jean, ibid., pp. 150-151.

155 YOUNG, Oran Y., JDEMKO, George, RAMAKRISHNA, Kilaparti (Ed.), Global environmental change and international governance, Univ. Press of New England, Hanover, NH, 1996.

économiques, humanitaires et encore une fois environnementales ; cela conduit les Etats à traiter des problèmes qui étaient inconnus voici quelques décennies encore156. Enfin, le droit étatique serait supplanté « par d’autres types de régulation globale, en raison de l’émergence d’ordres spontanés qui échappent à la régulation étatique, ainsi qu’au titre de la menace qui pèse sur l’équilibre international »157. André-Jean Arnaud donne ici plusieurs exemples : l’émergence des marchés financiers, la diffusion progressive d’une démocratie à l’occidentale, ou la mise en œuvre de politiques environnementales qui cachent une forme de néo- colonialisme.

Cette étude dépasse notre champ d’analyse, car elle traite de questions non seulement transfrontalières, mais aussi transnationales ; néanmoins, certains constats peuvent s’avérer pertinents dans le cadre strictement transfrontalier : ainsi, les questions environnementales, économiques, ainsi que l’intégration régionale européenne sont des points qui pourraient être présents dans l’agenda transfrontalier. Toutefois, seuls des problèmes locaux et dénués d’enjeux pour des niveaux politiques plus élevés sont traités sur les territoires transfrontaliers : dans le Rhin supérieur, quelques projets environnementaux ont été traités au cours du programme INTERREG I, dans la première moitié des années 1990158, et au cours

d’INTERREG II, durant la deuxième moitié de la même décennie159. Ces projets peu ambitieux sont liés à trois considérations principales : i) les instances sub-étatiques qui ont pris en charge la maîtrise d’ouvrage de ces projets ont des compétences limitées en matière d’environnement – il faut donc penser ces projets comme des mesures d’affichage qui permettent aux acteurs du Rhin supérieur de se présenter comme sensibles aux questions environnementales ; ii) la thématique environnementale n’a été valorisée ni par la Commission Européenne ni par les acteurs locaux et régionaux, au profit d’autres questions de nature principalement économique ; iii) le développement économique dans le Rhin supérieur est très hétérogène et constitue un point d’achoppement entre les différentes

156 ARNAUD, André-Jean, ibid., p. 156. 157 ARNAUD, André-Jean, ibid., p. 157.

158 On citera à titre d’exemples le projet d’« Usine d'incinération des ordures ménagères de Strasbourg », piloté par la Communauté Urbaine de Strasbourg, le projet de « Plan de protection atmosphérique Strasbourg/Ortenau », mené par l’Umweltministerium Baden-Württemberg, la « Cartographie hydrogéologique du fossé rhénan » effectuée par la Région Alsace ou l’« Etude de droit comparé en matière d'environnement » réalisée par le Land Baden-Württemberg.

159 On signalera ici : une étude constituant l’ « Inventaire de la qualité des eaux souterraines dans la vallée du Supérieur », la création d’un « Centre régional et transfrontalier de l’environnement », des études portant sur un « Diagnostic de la santé de l’arbre en milieu urbain » et sur la « Reconnaissance de l’aquifère profond entre Fessenheim et Breisach ».

instances politiques pour lesquelles les questions d’emploi demeurent une priorité : développer l’emploi en Alsace par l’implantation classique d’industries lourdes le long de la frontière est facilité par l’existence de vents dominants Ouest-Est qui rejettent les émissions polluantes dans le Bade, région thermale et touristique. Pour tous ces motifs, les projets environnementaux transfrontaliers restent symboliques et n’incluent pas les écologistes du Rhin supérieur, jugés peu responsables160.

André-Jean Arnaud s’attache ici à observer la régulation opérée par le droit étatique de manière très générale, plutôt que sa mise en œuvre dans des cas particuliers, comme nous le faisons dans des espaces transfrontaliers. Dans ces territoires, aucun changement juridique n’est intervenu pour rapprocher les compétences des acteurs définies nationalement. La mise en œuvre des programmes INTERREG, depuis le début des années 1990, révèle sur ce point un investissement quasi inexistant des Etats pour faciliter la coopération transfrontalière sur le plan juridique. Des exceptions peuvent être toutefois mentionnées concernant l’investissement des Etats sur le plan international pour faciliter les coopérations transfrontalières : d’une part, les accords de Karlsruhe (1996) clarifient la question de la création d’entités transfrontalières dotées ou non de la personnalité juridique, créent le statut très lourd de GLCT (art. 5) ; d’autre part, le Traité de Bayonne (1995) apporte des clarifications au sujet de l’adhésion d’acteurs publics dans des entités existantes, dont l’objet serait transfrontalier. Par conséquent, cette pénurie de moyens juridiques et ces compétences incompatibles contribuent à faire perdurer les investissements symboliques des acteurs dans le transfrontalier.

Les principales logiques de la mise sur agenda de problèmes politiques permettent d’appréhender une multiplicité de configurations et d’arènes où se construisent et cohabitent plusieurs agendas. La thématique transfrontalière en Europe permet d’être étudiée dans ce contexte.

160 Entretien avec Jean-Paul Heider (2002), selon lequel le recours des écologistes allemands contre la décision de construire la passerelle Mimram sur le Rhin, au motif que des oiseaux protégés pourraient être gênés dans leur migration par les haubans de la passerelle, est jugé peu sérieux et fait perdre du temps au projet du Jardin des Deux Rives. Les Grünen ont été déboutés par le Tribunal de Mannheim en novembre 2002.

Section 2. L’émergence et l’inscription de la thématique

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