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Imageries de la Liménienne

2.2. Promenades, déplacements et moyens de transport

2.2.2. Lieux de loisir : Chorrillos et Amancaes

À l’est de la ville, près du Rimac, se trouve deux lieux de promenade et de loisir très importants pour la population liménienne : les arènes d’Acho et la promenade d’Amancaes.

Les arènes d’Acho ont été construites en 1768 et peuvent accueillir 9,000 spectateurs. Aller à la corrida est une obligation sociale : « la mujer de alegre vida mandaba al usurero una alhaja o un vestido y lo que parece mentira más de una hembra de esa clase vendió su colchón para ir a toros » (Fuentes 108). La population fait tout pour acheter des entrées et assister à la corrida, même s’il faut voler ou demander l’aumône. La preuve du caractère très populaire des corridas est que les heures des cérémonies religieuses sont modifiées pour permettre d’assister au spectacle qui suscite un très grand engouement. Des cantinières s’installent à proximité pour la vente de plats et de chicha.

La pampa d’Amancaes, une fois que l’on a traversé le Rimac et que l’on se trouve dans le quartier Abajo el Puente, a été ainsi nommée à cause d’une fleur qui tapisse toute la plaine d’Amancaes en hiver. Juan de Arona écrit au sujet d’amancay : « flor abundante en los cerros de las cercanías de Lima que constituyen el paseo denominado de Amancaes. Es una especie de narciso amarillo » (Arona 68). Les habitants de Lima allait à Amancaes pour célébrer la fête de la Saint-Jean (24 juin). C’est un loisir très populaire : on savoure à cette occasion des plats traditionnels, la chicha coule à flot, les couples dansent la zamacueca au son de la guitare et du cajón. Les chants et la musique créole sont à l’honneur au lieu de la culture mondaine influencée par la mode européenne. Les maîtres de danse et les musiciens les plus célèbres sont afro-péruviens et donnent des leçons aux jeunes filles de bonne famille.

groupe très aisé a comme lieu de villégiature la station de Chorrillos. Au XVIIe siècle, d’après Gálvez, c’est là que le vice-roi comte de Lemos organisait des banquets, mais à l’époque c’était un lieu d’excursion et non pas de résidence. Chorrillos était un hameau de pêcheurs qui s’est peu à peu rempli de propriétés entourées de jardins à l’italienne :

Su promoción a la calidad de balneario vino con la boga de los baños de mar a principios del siglo XIX. Santa Cruz, Presidente interino del Perú, veraneaba en Chorrillos cuando lo depuso el golpe de Estado de enero de 1827. (Gálvez 152)

Au milieu du siècle, avant la guerre de 79, Chorrillos est la station balnéaire la plus cotée de l’Amérique du sud. L’essor de Chorrillos correspond à la période 1840-1880. Chorillos devient un lieu de villégiature de décembre à avril pour la grande bourgeoisie de Lima qui habitent des villas appelées

ranchos. Les réunions mondaines cessent d’avoir lieu à Lima pour se dérouler

à Chorrillos pendant l’été. Le président Ramón Castilla fait construire une promenade où les dames peuvent se promener tandis que les hommes jouent. On y organise aussi des bals costumés et des excursions jusqu’à Villa, à San Juan et au Salto del Fraile. Deux dates sont particulièrement importantes à Chorrillos : la Semaine Sainte et la fête de Saint Pierre et Saint Paul (29 juin).

Les jeux de hasard et les paris finissent par l’emporter sur les réunions sociales ; l’intérêt pour l’argent l’emporte sur la sociabilité d’après le témoignage de José Gálvez : « Hoy ya nadie visita. Todos son unos chunchos73. No es como antes, que había tanta sociabilidad, cuando los jóvenes de Lima eran tan amigos de visitar y de hacer tertulia » (Gálvez 164). Les réunions et les bals chez soi finissent par disparaître au profit des réjouissances organisées dans les clubs.

Chorrillos a été un symbole de l’opulence, du gaspillage même : certains paris et certaines fêtes ont ruiné des familles entières. La destruction de Chorrillos a pour conséquence la fin des pratiques qui s’y déroulaient : « Y con el purificador incendio de esta villa de placer, el Perú liquidó, un símbolo amargo y viviente, toda una época de prodigalidad, imprevisión y molicie » (Gálvez 154). De nombreux intellectuels ont remarqué que le sort de Chorrillos a changé avec la destruction causée par la guerre ; les excès ont

73 Juan de Arona écrit en Diccionario pour «chuncho»: « se dice de los indios salvajes de la Montaña del Perú » (173).

disparu ; l’oisiveté et le faste n’ont plus été possibles.

Atanasio Fuentes critique sévèrement la mode du jeu à Chorrillos :

Es porque allí tiene establecidos sus templos la diosa fortuna; es porque el mayor número de las casas son otros tantos campos de batalla en que luchan todo el día y toda la noche los genios prósperos y adversos de los hombres; es porque de Chorrillos se trae una fortuna adquirida en uno o dos días, o se saca la pérdida de las economías de todo el año o de toda la vida. (Lima 113)

Alors que le guano était exporté, les importations augmentaient et les habitants de Lima, hommes et femmes, achetaient des produits étrangers et vivaient en dépensant sans compter, pour montrer leurs richesses, tout en étant attentifs à la vie politique et aux rumeurs propagées dans la vie mondaine. Chorrillos est l’espace emblématique de tous ces débordements :

El juego cuyas influencias se ejercen más directamente sobre el cerebro y el corazón, es uno de los vicios que más víctimas sacrifica a su furor; a sus consecuencias sociales, tan funestas como no pueden serlo más, desde que ellas son frecuentemente nada menos que la disolución de los vínculos de la familia y de la amistad, se unen los estragos que ocasionan en la parte física del individuo. El juego trae consigo el desvelo y emociones morales de una intensidad indefinible; ver la mesa en donde se espera ganar una fortuna, y en donde, tal vez se va a dejar el único peso que pudiera satisfacer el hambre de sus hijos; ver esa mesa, decimos, rodeada de hombres ávidos de ganancia, sin otro Dios ni otro amor, por el momento, que el oro, cuyo deseo absorbe todas las potencias; ver esos ojos fijos en el movimiento caprichoso de los dados, o en las manos del que maneja las cartas, es ver al ser más perfecto de la creación en uno de esos desgraciados momentos en que parece haber renunciado a la nobleza de su origen. (Fuentes 1866 : 60)

Chorrillos n’est pas le seul lieu de villégiature des Liméniens. Barranco est une petite station où la bourgeoisie aime à se retrouver, et Miraflores est apprécié pour sa tranquillité. Ces trois villes ont le privilège d’être tournées vers la mer et de se trouver au sud de Lima.

La différence entre les loisirs de l’élite, en particulier les réceptions et les spectacles de théâtre74 et les distractions qui attirent tous les publics, comme la corrida et la promenade d’Amancaes, est évidente. Dans les fêtes populaires, les distances sociales sont maintenues et les espaces distincts. La démocratisation progresse cependant à l’occasion de ces échanges caractérisés par le métissage des cultures avec lesquelles toutes les classes

74 Le Théâtre de Lima a d’abord été la propriété de la Beneficiencia de Lima avant d’être administré par l’État puis par la mairie ; il peut accueillir 1500 spectateurs.

sociales s’identifient.