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Mercedes Cabello de Carbonera (1842-1909)

3.1. Itinéraire d’une vie

3.1.3. Enfermement et oubli

Pendant les années 1890, Mercedes Cabello se rapproche des intellectuels libres-penseurs comme Christian Dam et Federico Flores Galindo. Cette orientation lui vaut de sévères critiques de la part de ceux qui l’avaient initialement soutenue. C’est en 1898 que se produit la crise qui entraîne la rupture et l’éloignement du groupe des femmes auteurs préférées du grand public.

Le 9 janvier 1898 les examens publics du collège Fanning que dirige Elvira García y García se déroule comme à l’habitude, en présence de personnalités du monde intellectuel et des autorités scolaires. Mercedes Cabello de Carbonera est l’invitée d’honneur ; elle fait un discours qui suscite la polémique en se déclarant chargée de réformer l’éducation nationale et décidée à mettre fin à l’éducation pernicieuse entre les mains des religieuses et des prêtres.

Le lendemain, Elvira García y García fait état publiquement de ses divergences avec ce discours et elle réaffirme l’orientation catholique de la formation donnée dans le collège. Lastenia Larriva de Llona profite de ce contexte pour attaquer Cabello et pour défendre la religion catholique. Les seuls intellectuels qui soutiennent Cabello sont les membres de la Grande Loge du Pérou, éditeurs du journal El Librepensamiento.

À`la différence des femmes de lettres les plus connues de l’époque, Mercedes Cabello n’a pas voyagé jusque-là. Les livres et l’observation de la société péruvienne ont été les moyens qui ont servi à sa formation. Elle a fait un seul voyage à l’étranger. Comme membre de la Ligue des Libres-penseurs du Pérou, elle programme un long voyage de Buenos Aires aux États-Unis et en Europe pour recueillir des informations sur les nouvelles pratiques pédagogiques susceptibles d’être développées au Pérou. Son voyage est annoncé dans El Comercio le 5 janvier 1898, en indiquant que Cabello va recevoir un titre officiel de la ligue , comme sœur formée suivant la Religion de l’Humanité, afin de faciliter la visite des différents pays. Cependant, les

démarches vers les États-Unis n’en finissent pas, et elle décide de partir en Argentine en passant par le Chili.

Le 22 janvier 1898, les proches de Mercedes Cabello l’accompagnent au Callao pour son départ pour Buenos Aires, via Valparaiso et Santiago. De la capitale chilienne, elle envoie des lettres que publie parfois El Libre

Pensamiento. Ces lettres révèlent un changement dans l’expression. Cabello

devient emphatique, trop agressive et directe, ce qui est interprété comme une perte progressive de la raison. Mercedes Cabello revient au Pérou en décembre 1898.

Le 27 janvier 1900, les docteurs David Matto, frère de Clorinda Matto, et Corpancho, qui connaissent Mercedes Cabello de longue date, l’examinent et signent son internement à l’asile du Cercado de Lima. Cet internement survient après un geste pyromane auquel s’ajoutent des symptômes comme la folie des grandeurs et l’excès de travail qui l’ont amenée à tenir des raisonnements fantaisistes. Cependant, Pinto soupçonne l’existence d’intérêts économiques derrière cet enfermement, en particulier la volonté de Gustavo, l’un des frères de Mercedes Cabello de s’emparer des biens de l’écrivain qui n’avait pas d’héritier.

On ignore presque tout des années que Cabello a passées à l’asile. Ismael Pinto fait état d’une chronique journalistique sur une visite de l’asile. Selon le journaliste Carlos Sánchez Gutiérrez86, Cabello apparaît comme une visionnaire ou une pythonisse, barbue avec « un aspecto hombruno ». Le même chroniqueur observe :

una notable escritora peruana, sentada beatíficamente en un gran sillón de baqueta nos miró con el más profundo desdén. Quizá si nos reconoció del oficio y nos tuvo lástima, quizá si su gloria iluminó su cerebro por un segundo y nos halló pequeños, al verse ella de nuevo en el Ateneo y en el Libro, en la Revista y en el Diario; pero, ¡oh ironía amarga del destino: he allí una pensadora que ya no piensa, una antorcha que ya no da luz y que espera el último soplo de la Intrusa parca que se extinga su ultimo rayo!

Deux ans plus tôt, Pablo Patrón a décrit dans la Gaceta de los

86 La chronique est parue dans Ilustración Peruana le 17 juin 1909 sous le titre « Una visita al manicomio ».

Hospitales la romancière qu’il a vue à l’asile:

[...] por su elevado sitial, por su agrio gesto, por sus convulsiones febriles era como una pitonisa que recibía los negros mensajes de una divinidad caprichosa y cruel. De su rostro había desaparecido la dulzura y la gracia, una poblada barba y recios pelos entrecanos cubrían sus mejillas y sus labios, tenía aspecto hombruno, su voz era cascada y desapacible y sus ojos vagos, como todos, tenía no sé qué de varonil y duro. ¿Quién era? -Una escritora- nos dijo nuestro acompanante. -Es Mercedes Cabello de Carbonera.

Le travail d’Augusto Ruiz sur la folie, les hôpitaux et le traitement psychiatrique à Lima permet de mieux comprendre la situation dans laquelle s’est trouvée Mercedes Cabello. Comme le vocabulaire médical dépend lui aussi de la culture et de l’époque, Ruiz s’efforce d’expliquer ce que l’on considère à l’époque comme folie :

Los alienistas actuaron pensando que el encierro no solo era meritorio para quien alterase el orden público: era pasible de secuestro todo aquel que estuviera en contra del orden lógico, aquel cuya conducta o pensamientos manifestara discordancia con la racionalidad, gente con una conducta o ideas raras. (Ruiz 391)

L’historien indique qu’il est possible d’interner une personne sur la seule accusation de monomanie, c’est-à-dire le fait de souffrir une altération du jugement par rapport à un sujet particulier.

Mercedes Cabello meurt à l’asile le mardi 12 octobre 1909. Sa famille publie dans El Comercio un bref avis de décès. À Moquegua, La Reforma annonce la nouvelle. Quelques jours plus tard, le 29 octobre 1909, c’est Clorinda Matto de Turner qui meurt à Buenos Aires. Dans le cas de l’écrivain originaire du Cusco, qui a vécu de longues années en exil et avec une participation importante dans la vie culturelle, la presse de Lima, La Opinión

Nacional, Variedades informent de cette disparition ; la fin de l’article de Variedades fait état à cette occasion de la mort récente de Cabello de

3.2. La formation intellectuelle : une romancière