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Les romans traditionnels

5.1.3. Le premier amour d’Hortensia : la quête identitaire

Los amores de Hortensia est le roman le plus introspectif de Mercedes

Cabello. Un roman qui raconte son évolution par le monologue et la méditation. Nous allons analyser les différentes étapes de l’évolution de l’héroïne. Deux éléments la définissent tout au long de cette quête : ce sont les qualités intellectuelles qui sont supérieures à la beauté physique (le trait caractéristique d’Hortensia, c’est son goût des arts et des lettres, ainsi que sa passion de l’écriture). D’autre part, elle se distingue par sa solitude, une fois mariée comme avant le mariage, elle n’a pas d’autre confidente qu’elle-même. L’amour qui l’unit à Alfredo cherche à tendre un pont avec lui, mais cette tentative échoue par deux fois. La vie mondaine et les réunions qu’elle organise alors servent à masquer la solitude, cette solitude qui prépare la fin tragique.

Le mariage, la vie mondaine, la désillusion et la passion amoureuse correspondent à différents moments de l’existence d’Hortensia. Ces quatre étapes conduisent l’héroïne à se connaître elle-même ainsi qu’elle a été présentée dans le premier chapitre intitulé « Quién era Hortensia » : « una mujer de noble corazón, de recto juicio y elevados sentimientos128 » (7) Plusieurs facteurs vont l’amener à s’éloigner de ce modèle, mais finalement sa mort confirmera l’appréciation initiale de l’instance narrative, l’image d’Hortensia comme foncièrement romantique: « un carácter triste, melancólico, con el alma y el cuerpo enfermos » (7).

a. Le mariage

Dans sa jeunesse, Hortensia succombe à la farce du mariage, un sujet au cœur des préoccupations de Mercedes Cabello. L’essentiel des romans vise à dévoiler le piège du mariage si désavantageux pour les femmes. Le piège se trouve dans le fait que le mariage est choisi en escomptant un bénéfice

128 Nos citations renvoient à la version définitive, corrigée et augmentée publiée par Torres Aguirre en 1887.

économique. Le mariage de convenance révèle une société conservatrice qui trafique avec les relations amoureuses, soumet la jeune fille à la loi du père, et instaure une forme de prostitution légalisée. La fin de cette pratique dans la société industrielle et son remplacement par un mariage d’amour fondé sur la réciprocité dans le couple, suppose un changement de conditions pour les femmes, grâce à une instruction supérieure et pratique qui répond aux postulats du positivisme et non plus au modèle d’éducation religieuse dominant.

L’amour bourgeois n’est pas un amour libéré, mais sous surveillance, modelé par les règles que l’auteur partage avec sa génération et qu’elle évoque dans ses articles. Elle reproduit un message idéologique latent : l’uniformisation sociale avec le rêve de la nation blanche, la présence de l’ange du foyer comme figure maternelle procréatrice de la nation, du fait de la fonction reproductrice et d’éducatrice en charge de la morale familiale.

Hortensia essaie pendant les premières années de vie conjugale d’entrer dans ce moule. Elle fait tout son possible pour être une épouse et une mère dévouée129. Cependant, elle est vite déçue par cette vie. Son mari ne lui apporte ni amour, ni compagnie, ni respect. Dans la bonne société liménienne, il est fasciné par le jeu et la débauche ; en outre, Hortensia découvre que cet époux a un enfant de trois ans et elle commence à soutenir financièrement la mère abandonnée.

Balzac concevait le mariage comme un combat, un conflit où la victoire était la liberté. Dans le roman de Cabello, il n’y a pas de conflit direct ; l’héroïne ne lutte pas pour obtenir une séparation ; dans un premier temps, son idéal c’est de remplir le rôle qui lui revient, c’est-à-dire de se sacrifier. Toutefois, nous pouvons interpréter ce processus de connaissance de soi comme une forme de quête et de conquête de la liberté. Elle-même s’adjuge cette liberté, qui est indépendante de la séparation physique de son mari. À la différence des héroïnes de Sacrificio y recompensa et de Eleodora o Las

consecuencias, Hortensia ne se résigne pas et cherche toujours une vie en

accord avec ses passions ; c’est pourquoi, le personnage évolue

129 Par deux fois, Hortensia a une attitude maternelle, mais le texte ne présente pas d’autres références sur d’éventuels enfants. Au contraire, dans ses voyages et dans ses décisions, Hortensia est une femme seule. La comparaison avec Eleodora nous conduit à considérer Hortensia comme une héroïne sans enfant, ce qui la rapproche de Mercedes Cabello sans enfant et vouée au monde des lettres.

constamment :

Quiero ser feliz a despecho de la suerte y a pesar de mi horrible situación, dijo un día, hizose parroquiana de las mejores modistas y compró lujosos vestidos, fue al teatro y tomó abono para las funciones. Visitó a todas sus amistades hasta entonces olvidadas.(15)

b. La vie mondaine

Hortensia décide de prendre part à la pantomime qui se joue à Lima. Dans son milieu, elle était le type de la femme heureuse en mariage, avec une bonne position sociale, jolie et intelligente ; cette image était facile à entretenir en participant aux réunions mondaines, aux bals et aux fêtes. Sauver les apparences est ainsi beaucoup plus important pour la société liménienne que les drames personnels de femmes comme Hortensia. Au bout de quelques années, Hortensia comprend qu’elle a eu tort de se marier pour une vie en ville vouée au luxe et à l’ostentation ; c’était une erreur de jeunesse : « ¡Fui víctima de la fantasía e inexperiencia de mis pocos años ! » (9) À vingt-huit ans, âge de la maturité130, elle se rend compte de son erreur, de sa quête inutile des flatteries et des distractions pour trouver le bonheur. Blasée de l’amour et lassée d’une vie sociale agitée, elle est dominée par le sentiment de déception : « Y esperando que la metamorfosis de su espíritu fuera completa, dedicábase al estudio de obras científicas, olvidando por completo sus romanescas lecturas » (16).

c. Le temps de la désillusion

L’élan sentimental est remplacé par le raisonnement. C’est alors qu’apparaît le personnage d’Alfredo, au moment où Hortensia commence à organiser des réunions d’artistes, rassemblant en général plus d’hommes que de femmes. Dans la société liménienne, Hortensia est connue pour son goût

130 La chronologie du roman est fluctuante, certaines informations contradictoires. Lorsqu’ Hortensia connaît Alfredo, il est dit tantôt que dix années se sont écoulées depuis le mariage, tantôt huit. C’est à l’issue de cette période qu’Hortensia ressent du dégoût pour la vie mondaine.

de l’écriture. Alfredo la rencontre pour cela, pour lui demander un article pour une publication poétique et religieuse en faveur des pauvres. Alfredo dirige une revue d’une loge maçonnique, ce qui nous conduit à le rapprocher du groupe des libres penseurs.

La passion de l’intelligence est le point commun entre les deux personnages. Décrivant l’une des rencontres, l’instance narrative indique : « La conversación fue franca, amena, como es la de las personas inteligentes » (21). Désabusée par cette vie, Hortensia est indifférente, rationnelle et dure à l’égard d’Alfredo amoureux. Il lui rend visite tous les soirs et elle trouve toujours un prétexte pour ne pas le recevoir. Elle refuse aussi de contribuer à sa publication et lors des quelques rendez-vous, elle manifeste son amertume à l’égard du sentiment amoureux. L’opposition entre les deux personnages exprime la lutte traditionnelle entre le cœur et la raison et est résumée ainsi : « si Hortensia quedó triste y pensativa después de haber conocido a Alfredo, este se fue ebrio, loco de amor y de esperanza » (23).

Cependant, du fait de l’idéalisme foncier d’Eleodora l’opposition à l’égard d’Alfredo va diminuer peu à peu jusqu’à la reconnaissance de la passion.

d. L’amour épanoui

Cette étape commence lorsqu’ Eleodora s’avoue à elle-même des sentiments irréfrénables et lorsqu’Alfredo les découvre. Alfredo parvient à lire des fragments du journal d’Hortensia à son insu : « ¡Y yo que no he podido amar más que a él! ¡Yo que me he reído del amor de tantos hombres sin que ninguno haya alcanzado a interesarme! ¿Cómo es que hoy siento una pasión que me domina y que no alcanzo a combatir? » (45).

Le romantisme d’Hortensia met en évidence les idées que Cabello développe dans ses articles : l’amour n’est pas le seul impératif pour un mariage heureux, la formation intellectuelle dans le couple est aussi importante. La mort de l’héroïne montre par ailleurs la difficulté de mettre en application cet idéal dans le milieu liménien. Hortensia représente la femme

piégée par la société, essayant toujours de lutter, de dépasser la résignation et le silence par l’écriture, seul moyen existant à l’époque.