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Les romans traditionnels

5.2. Sacrificio y recompensa : le modèle romantique

5.2.1. L’autorité de Juana Manuela Gorriti et le romantisme

Sacrificio y recompensa est le roman que Cabello présente au premier

concours international organisé par l’Ateneo de Lima en 1886. Deux cents exemplaires sont publiés par Torres Aguirre et rapidement vendus. La fiction paraît aussi en feuilleton dans La Nación de Lima et El Globo de Guayaquil. Les conditions du concours exigeaient que « los argumentos de las composiciones versaran sobre las costumbres, la historia o la naturaleza de la América española ». Sacrificio y recompensa obtient la médaille d’or et est réédité en 1887. Notre travail va se référer à l’édition de 1886 conservée à la Bibliothèque Nationale du Pérou.

Sacrificio y recompensa a été considéré pendant très longtemps comme

le premier roman de Cabello de Carbonera car c’est l'œuvre qui a eu le plus de succès et été republiée à la différence de Los amores de Hortensia. C’est aussi le roman le moins polémique de notre auteur, car elle y respecte les usages de l’écriture féminine pour la construction des héroïnes. Celles-ci ne

transgressent jamais les normes d’une conduite vertueuse : obéissantes, chastes et dévouées, elles attendront d’être reconnues au prix de jours d’angoisse qui détruisent leur vie, en garantissant à chacune la paix éternelle conformément à l’idéal chrétien.

Le succès du roman est en partie dû au fait qu’il se place sous l’autorité de Juana Manuela Gorriti. Il jouit de son soutien et lui est dédié. Voici les lignes que Cabello place au début, pour expliquer son intention :

A Juana Manuela Gorriti:

Sin los benévolos aplausos que U. mi ilustrada amiga, prodigó a mi primera novela Los amores de Hortensia, yo no hubiera continuado cultivando este género de literatura que hoy me ha valido el primer premio en el certamen internacional del Ateneo de Lima.

Separarme del realismo, tal cual lo comprende la escuela hoy en boga, y buscar lo real en la belleza del sentimiento, copiando los movimientos del alma, no cuando se envilece y degrada, sino cuando se eleva y ennoblece; ha sido el móvil principal que me llevó a escribir

Sacrificio y Recompensa.

Si hay en el alma un lado noble, bello, elevado, ¿por qué ir a buscar entre seres envilecidos, los tipos que deben servir de modelo a nuestras creaciones? Llevar el sentimiento del bien hasta sus últimos extremos, hasta tocar con lo irrealizable, será siempre, más útil y provechoso que ir a buscar entre el fango de las pasiones todo lo más odioso y repugnante para exhibirlo a la vista, muchas veces incauta, del lector.

El premio discernido por la comisión del Ateneo, me ha probado que, en Sacrificio y Recompensa, no he copiado lo absurdo e inverosímil, sino algo que el novelista debe mirar y enaltecer como único medio de llevar a la conciencia del lector lección más útil y benéfica que la que se propone la escuela realista.

Dedicarle esta novela, no es, pues, sino un homenage a sus principios literarios, y un deber de gratitud que cumple su admiradora y amiga.

L’épigraphe est situé dans le temps et l’espace : Lima, novembre 1886. Plusieurs aspects de cet écrit sont remarquables : la fermeté avec laquelle Cabello condamne la nouvelle école réaliste, l’importance de la récompense de l’Ateneo et le soutien de son amie et guide, autrement dit, le rôle du parrainage littéraire dans l’émergence des voix féminines.

Comme nous l’avons montré, même dans ses derniers essais, Cabello oppose comme inconciliables romantisme et réalisme ou naturalisme. Nous avons indiqué qu’elle ne distingue pas clairement le réalisme du naturalisme

et a tendance à les confondre. Ce qu’elle veut, c’est dépasser le nouveau roman français, ce roman qui devient sous la plume de Zola la représentation des aspects les plus sordides de la réalité. En consolidant sa pratique narrative, dans La novela moderna, elle plaidera pour une écriture éclectique. Auparavant, dans Sacrificio y recompensa, le romantisme l’emporte, représentant la réalité sous un jour sublime, exaltant les impressions et les sentiments des personnages.

L’instance narrative de Los amores de Hortensia avait exprimé le refus de la littérature fantastique et préférait une littérature tout à la fois copie de l’expérience humaine et en même temps idéalisatrice. Los amores de

Hortensia, Sacrificio y recompensa et Eleodora, les trois romans sont placés

sous l’autorité de Gorriti et des romantiques. Outre la dédicace, une deuxième allusion à la romancière argentine apparaît au début du roman : « Lima, como ha dicho la eminente novelista J. M. Gorriti, es la ciudad de los contrastes, y nosotros decimos, lo es, no sólo en sus edificios sino también en el nombre que da a estos »(2).

À plusieurs reprises, Cabello réaffirme l’intention morale de son récit dans de brèves digressions, et elle insiste sur l’avantage pour la société d’une littérature qui montre le bon côté de la réalité. Le chapitre XXII intitulé « Lo que pasó en el corazón de Catalina » commence ainsi par une comparaison entre le métier de romancier et celui de médecin. Cependant, il ne s’agit pas du médecin qui soigne les maladies, mais de celui qui les prévient et enquête sur les causes ; de même avant de guérir, il est nécessaire d’explorer l’âme et le cœur des hommes et c’est la tâche du romancier : « ¿Y por qué olvidar que en el alma humana hay un lado noble, elevado, bello, que es el que el novelista debe estudiar, debe estimular, y mostrar como el único medio de reformar las costumbres? » (115). Le refus de l’école réaliste est exprimé ensuite avec plus de force : « Siempre hemos creído que pintar el bien aunque sea llevado hasta lo inverosímil, será más útil, más necesario, que descrubir la realidad, cuando ella llega hasta las repugnantes y libidinosas escenas de la corrupción y del vicio » (258).

L’acceptation du réalisme sera progressive et aura des conséquences sur la construction des personnages et des arguments. L’éducation et le milieu social vont influer de manière déterminante sur le destin des héros qui

souffriront parfois de maladies ou hériteront du caractère de leurs parents, et subiront aussi l’influence d’autres structures sociales.

Mercedes Cabello se préoccupe de la question féminine parce qu’elle croit que le Pérou progressera grâce à un changement de la situation des femmes dans la société contemporaine. Dans cette première étape de l’œuvre romanesque, les femmes sont des êtres plus purs et moraux que les hommes ; elles peuvent réformer les conduites déviantes à partir du foyer conjugal. C’est l’une des idées centrales du roman qui est exposé par le misogyne Lorenzo. Convaincu à la fin du roman, d’adversaire farouche, il devient partisan du mariage et se solidarise avec la cause des femmes : « La experiencia me ha demostrado, que así de malas como son las mujeres, son sin embargo, mejores que los hombres » (369), tels sont les mots qui clôturent Sacrificio y recompensa.

Quant à l’importance d’un parrainage littéraire pour Mercedes Cabello, nous pensons que la ville de Lima traditionnellement médisante est hostile à l’indépendance de l’auteur et de ses personnages féminins. Cabello est à la recherche de la reconnaissance et non pas de la polémique dans ce premier moment d’écriture. Nous verrons ensuite avec la récriture de Eleodora transformée en Las consecuencias comment l’intention de conserver le soutien de ses parrains (Gorriti et Palma) sera en contradiction avec l’affirmation d’un nouveau discours.