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Modernisation économique, politique et culturelle : avancées et contradictions

B. Le projet de nation péruvienne au XIX e siècle

1.1. Le temps des fictions

1.1.7. Le civilisme de Manuel Pardo (1871-1879)

À la fin de la présidence de José Balta, se déroulent des élections et pour la première fois depuis l’indépendance, c’est un civil et non pas un militaire qui l’emporte. Le Parti Civil s’est constitué peu avant les élections en rassemblant tous ceux qui avaient tiré un bénéfice du processus de modernisation entrepris depuis Castilla. Manuel Pardo s’apprête à mettre en place un régime qu’il a dénommé « la République Pratique » en 1872, mais son projet suscite les inquiétudes des militaires. Cette hostilité est exacerbée par les frères Gutiérrez qui se soulèvent et prennent en otage José Balta en exigeant l’annulation des élections. Balta refuse et est assassiné. Ce meurtre

suscite l’indignation générale ; la population de Lima se révolte, arrête les comploteurs et les met à mort.

La principale difficulté pour Pardo est d’appliquer ses réformes en pleine situation de faillite financière. Le Pérou n’obtient plus de crédits de l’étranger et il faut prendre des mesures drastiques ; Pardo nationalise le salpêtre, exploité dans le sud du pays et qui sert de fertilisant à la place du guano ; le nouveau président civil signe un traité d’alliance secrète avec la Bolivie pour faire face aux prétentions du Chili d’annexer certaines régions.

Une fois au gouvernement, le Parti Civil adopte une politique pour moderniser la société ; la garde nationale est organisée, l’état civil, la décentralisation administrative décidée. Des conseils généraux sont créés pour diriger les départements. À Lima, la gestion municipale est rendue difficile par le nombre de conseillers (100).

Pardo est conscient que l’exploitation du guano n’a pu apporter qu’un bénéfice éphémère. Il faut trouver une solution au moment où cette ressource est pratiquement épuisée et favoriser le développement industriel et commercial. Il parie sur les moyens de communication, en se fondant sur le modèle du développement observable en Europe (Bonilla 57) :

¿Quién niega que los ferrocarriles son hoy los misioneros de la civilización? ¿Quién niega que el Perú necesita urgentemente de semejantes misioneros? Sin ferrocarriles no puede hoy haber verdadero progreso material, y aunque parezca mucho decir, sin progreso material no puede hoy haber tampoco en las masas progreso moral, porque el progreso material proporciona hoy a los pueblos bienestar y el bienestar los saca del embrutecimiento y de la miseria. (López 299- 300)44

Pardo est infatigable. Avant d’accéder à la présidence, il a été ministre des Finances de Mariano Ignacio Prado et a appliqué certaines mesures dans le but d’équilibrer le budget et de permettre des grands travaux, comme la réduction de l’administration, une baisse des traitements des fonctionnaires, la réduction des pensions, l’exonération des taxes à l’exportation et le rétablissement de certains impôts.

L’idée que les chemins de fer sont déterminants dans le développement,

44 Jacinto López,“Medidas económicas del Congreso de 1860. Ley General de Ferrocarriles”, in Manuel Pardo, Lima, 1947, 299- 300

a été une erreur selon Heraclio Bonilla : il en a été ainsi en Europe du fait de la croissance économique, mais le Pérou n’en était pas au même point. Les chemins de fer ont été un facteur de tensions au Pérou en augmentant la part des investissements étrangers sur place, aux dépens de la richesse nationale. Au lieu de favoriser l’industrialisation, la construction des chemins de fer l’a ralentie.

La foi aveugle dans les chemins de fer conduit à l’asphyxie de l’économie intérieure, d’autant plus que l’objectif est l’exportation des matières premières. L’effort financier engage les capitaux nationaux, des sommes qui ne proviennent plus du guano, et des emprunts imprudents à l’étranger. La guerre du Pacifique va être en quelque sorte le coup de grâce à l’économie péruvienne :

La élite económica modernizante al no poder asumir por su propia cuenta la tarea de transformación integral del país, se limitará a lo largo de la segunda mitad del siglo XIX a participar en el proceso productivo en calidad de asociada de los capitalistas británicos, extrayendo de esta situación parte de sus beneficios. (Bonilla 63)

Ramón Castilla avait essayé en vain de favoriser la migration vers l’Amazonie et de pourvoir de main d’œuvre les plantations de la côte. Sous Manuel Pardo, la politique d’immigration a eu un plus grand impact. Un décret (14 août 1872) crée l’Assemblée Consultative de l’Immigration qui a pour but l’installation sur le littoral d’étrangers en provenance de régions au climat chaud. En 1873, le gouvernement affecte un budget de 30 000 soles pour le transport de cette main d’œuvre. 800 Européens arrivent de 1872 à 1874, et le projet prévoit le débarquement d’une centaine d’immigrés tous les quinze jours. Les membres de la commission consultative connaissent les attentes des paysans européens qui espèrent recevoir un titre de propriété sur un terrain agricole pour pouvoir l’exploiter, mais faute d’un système d’irrigation satisfaisant, les lots susceptibles d’être donnés aux arrivants ne sont pas tous cultivables. En 1876, le projet est définitivement abandonné par manque de moyens ; de fait, l’immigration est suspendue depuis un an.

La rénovation du système éducatif a aussi été programmée dans un premier temps. En 1871, un groupe d’experts dirigé par Leopoldo Constzer

arrive d’Allemagne pour implanter un collège qui accueillera les enfants de l’élite civiliste.

En 1876, les élections donnent le pouvoir pour la seconde fois à Mariano Ignacio Prado ; Manuel Pardo devient président du sénat ; il est victime d’un complot militaire et meurt assassiné.