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Les romans traditionnels

5.1.1. Les corrections de Los amores de Hortensia

Jusqu’à récemment, l’information sur Los amores de Hortensia provenait de la biographie d’Ismael Pinto qui indique dans Sin perdón ni

olvido que la première version en feuilleton de Los amores de Hortensia est

parue dans El Correo de Ultramar à Paris à la fin de 1886. Cependant notre recherche nous a montré que cette information était inexacte. La première version du roman paraît le 15 juillet 1883 et il y a 8 livraisons dans El Correo

de Ultramar, de mars à mai 1884 suivant ce calendrier :

Les deux premières livraisons paraissent en mars 1884 (t. 63, n° 1624, p. 178-179-180 ; n° 1625, p. 194-195) ; les quatre suivantes en avril (t. 63, n° 1626, p. 211 ; n° 1627, p. 226-227, n° 1628, p. 250-251, n° 1629, p. 274-275), les deux dernières en mai (t. 63, n° 1630, p. 274-275 et n° 1631, p. 290-291, 294).

El Correo de Ultramar : Periódico Universal Literario Ilustrado avait

inauguré une deuxième étape en janvier 1880, en passant sous la direction des frères Mourgues qui durant l’administration précédente de Lassalle, contribuaient à plusieurs rubriques. À partir de janvier 1880, on observe une meilleure qualité des gravures, les directeurs s’engageant à publier des textes littéraires originaux des meilleurs auteurs espagnols et hispano-américains. L’une des rubriques les plus appréciées de l’hebdomadaire est la « revue de Paris », dont le rédacteur en chef est Mariano Urrabieta. Durant toute la décennie, El Correo de Ultramar est l’hebdomadaire le plus connu en langue espagnole publié en France à destination du continent américain.

La rubrique littéraire est aussi importante. Chaque numéro inclut un article d’Emilio Castelar ; la sous-rubrique « Articles inédits » est l’espace qui accueille le roman de Mercedes Cabello. La Péruvienne apparaît dans la liste des collaborateurs dès mars 1884 (n° 1622), c’est-à-dire deux numéros avant la parution de Los amores de Hortensia. Le roman n’est donc pas publié dans la partie réservée aux feuilletons, le bas de page que les lecteurs découpent et font relier, comme c’est le cas des romans français traduits en espagnol dans El Correo de Ultramar.

Los amores de Hortensia paraît ensuite en 1887 dans La Nación de

Lima, sous la forme de 23 livraisons du 13 juillet au 11 août et il est publié comme volume par Torres Aguirre. Lorsque sortent ces deux éditions locales, Cabello est déjà célèbre du fait du succès de Sacrificio y recompensa, roman primé par l’Ateneo de Lima en 1886. Pour lever toute ambiguïté sur la chronologie de son œuvre, elle se réfère dans le prologue de Sacrificio y

recompensa à son précédent travail Los amores de Hortensia en indiquant

que cette fiction a reçu un accueil chaleureux de Juana Manuela Gorriti.

La proximité des dates de parution dans La Nación et chez Torres Aguirre fait qu’il y a très peu de différences entre ces deux versions. Cependant, entre la première parution dans El Correo de Ultramar et l’édition péruvienne, les variantes sont notables. Elles sont de deux types : des corrections minimes pour réduire les redondances et les coquilles, des ajouts pour améliorer le style. L’auteur ajoute en particulier des adjectifs, de brèves explications ou remplace des mots afin d’arriver à une écriture transmettant mieux l’émotion, et en particulier la souffrance de l’héroïne.

Voici quelques exemples de ces simplifications. Dans El Correo de

Ultramar, on lit : « Esto no impedía que su apostura gallarda y desenvuelta

fuera muy varonil. Diríase que por su exquisita sensibilidad era un alma femenina unida a un carácter varonil » (211), tandis que dans la version péruvienne le texte est le suivant : « Esto no impedía que su apostura gallarda y desenvuelta fuera muy varonil. Diríase que por su esquisita sensibilidad era un alma femenina con toda la virilidad y energía del hombre » (28). Plus loin, dans El Correo : « En toda la noche no he pensado en invitaros a una copa de champaña, ¿queréis que la tomemos a la despedida? […]. Hortensia, ¡yo os amo, yo os amo! » (251), tandis que dans le feuilleton de La Nación le pronom « usted » plus répandu à Lima est préféré : « En toda la noche no he podido invitar a Ud. una copa de champaña, ¿quiere Ud. que la tomemos a la despedida?. Hortensia, ¡yo la amo a Ud.! ¡Yo la amo! » (53).

Parfois, c’est un détail de l’histoire qui est modifié. Ainsi dans le feuilleton, Hortensia affirme qu’elle partira du Callao quelques heures plus tard, dans le volume, ce départ est programmé « en dos días ».

Le second type de variantes est plus intéressant et significatif. Ce sont des changements de mots, par exemple sur un adjectif : « Antonia y Juan largaron una estrepitosa carcajada » (251) remplacé par « Antonia y Juan largaron una ingenua carcajada » (48), ou « exclamó con alegría Alfredo » (258) qui devient « exclamó transportado de júbilo Alfredo » (54).

exagerado todos sus males y sus desgracias, volvía sobre sus pasos, a seguida decía » (259) qui devient « después de haberse exagerado todos sus males y haberse horrorizado de sus desgracias, por una de esas evoluciones de la pasión, volvía sobre sí, y con la lójica del corazón, que tan pocas veces se armoniza con la lójica de las conveniencias sociales, decía » (57). L’un des textes écrits par Hortensia et interpolés présente au moins deux corrections : « allí creía respirar no esa atmósfera pesada, impregnada de preocupaciones á las que cobardemente sacrificamos nuestra felicidad; allí, lejos de las leyes sociales, creíme más cerca de él » (275) devient « ... allí creía respirar no esa atmósfera pesada, impregnada de preocupaciones á las que cobardemente sacrificamos nuestra felicidad; sino esa atmósfera tranquila con que la naturaleza, pródiga de bienes, nos colma siempre que a ella nos acercamos. Allí, lejos de las leyes sociales, creíme más cerca de él » (67).

Les ajouts se succèdent : par exemple, pour rapporter l’attitude d’Hortensia confrontée aux fleurs qui lui rappellent Alfredo, est ajouté « con empeño tal como si sintiera aversión por esas flores » (68) ; lorsque l’instance narrative décrit la conduite des femmes, est ajouté « si no lleva pervertido el corazón » (72); à propos de la mer, « quebraba sus encrespadas olas » (75) ; au sujet des retrouvailles des amants à Miraflores, « entregados a su amor » (76) ; à propos de la guerre située quelques années plus tard entre Péruviens et Chiliens à l’endroit où se produisent les rencontres amoureuses : « cada palmo de terreno nos hablaría con la elocuencia desgarrada del heroísmo infortunado y el reproche cruel del sacrficio estéril » (80).

Ces corrections s’expliquent par le temps écoulé entre la première parution (juillet 1883) et l’édition péruvienne (juillet 1887). Entre ces deux dates, la romancière a acquis une meilleure maîtrise puisqu’elle a publié

Sacrificio y recompensa (1886) et Eleodora (1887). Nous distinguons la

correction de style qui vise à améliorer l’original et supprimer les coquilles et la récriture proprement dite, notable dans la transformation de Eleodora en

Las consecuencias.

Les deux formats de Los amores de Hortensia sont adaptés aux modalités de publication de chacun. Le feuilleton doit créer un suspense et susciter l’attente des lecteurs pour qu’ils achètent le numéro suivant. C’est

ainsi que chacun des huit épisodes de El Correo de Ultramar s’arrête au milieu d’un chapitre, brisant ainsi l’unité de sens et la série de faits organisant chaque chapitre. Le premier épisode s’arrête peu avant le chapitre 4 qui rapporte comment Hortensia prend part à la vie mondaine ; le deuxième est interrompu au milieu du chapitre 6, alors qu’Hortensia et Alfredo sont en train de parler ; le troisième prend fin au milieu du chapitre 7, en pleine visite d’Alfredo chez Hortensia. Antonia, la gouvernante d’Hortensia, ne peut pas remettre un message. À la fin du quatrième épisode, au milieu du chapitre X, Alfredo est entré en secret chez sa bien-aimée et nous ne savons pas s’il va être découvert. La fin du cinquième épisode nous surprend après les premiers paragraphes du chapitre 12, en plein dialogue des héros, juste après qu’Alfredo s’agenouille devant Hortensia pour une déclaration amoureuse. Au milieu du chapitre XIV s’achève le sixième épisode : après la déclaration d’Hortensia prête à quitter Lima pour oublier sa passion, elle réfléchit sur le conditionnement intellectuel que cette décision révèle et décide brusquement de défendre son amour et de ne pas partir. Certaines information sont déjà données conduisant le lecteur à penser que la séparation aura lieu de toute façon. Finalement, le huitième épisode correspond au début du chapitre XVII : il nous livre les pensées d’Hortensia sur la nature du mariage et comment elle cherche à justifier l’éloignement affectif qu’elle éprouve à l’égard de son époux, Montalvo et la passion qui la pousse à voir tous les jours Alfredo.