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Mercedes Cabello de Carbonera (1842-1909)

3.1. Itinéraire d’une vie

3.1.1. De Moquegua à Lima

Juana Mercedes Cabello Llosa est née dans la province de Moquegua le 17 février 1842, et non pas en 1845 comme elle l’affirmait. Après son mariage, elle prend le nom de Mercedes Cabello de Carbonera. Ismael Pinto donne cette date à partir de l’acte de naissance qu’il a examiné. Mercedes était la quatrième dans une famille de huit enfants, et elle avait pour parents Gregorio Cabello Mendoza et Mercedes de la Llosa Mendoza.

Moquegua est une province côtière du sud du Pérou, entre les départements d’Arequipa et de Tacna. Les habitants de Moquegua ont pris part aux débats et aux luttes politiques du Pérou dès les guerres d’indépendance, en 1823, lors des batailles contre l’armée royaliste (les

batailles de Torata et de Moquegua) ; puis de 1836 à 1839, lors du projet de Confédération Peruano-Bolivienne, Moquegua fait partie de l'État sud-péruvien. Par la suite, Moquegua a contribué aux mouvements conservateurs du sud et a été au centre des révoltes et des soulèvements83 contre le pouvoir central de Lima.

La famille de Mercedes Cabello jouit d’un statut social et économique privilégié. Ce sont de grands propriétaires terriens et lorsque quelques années plus tard, ils s’installent à Lima, les aînés restent sur place pour s’occuper des biens, acheter ou vendre des terres, produire du vin et le mettre en vente. Le mariage et l’écriture n’ont pas apporté un bénéfice économique à Mercedes Cabello car elle était déjà très bien dotée par le patrimoine de la famille.

Guerra et Leiva rapporte au sujet de l’éducation à Moquegua que :

En Moquegua se estableció, por resolución suprema del 17 de abril de 1847, una escuela gratuita de primaria, que tuvo como antecedente el año de 1828, cuando el cura Lorenzo Barrios, inició su labor de profesor en su casa con cuatro niñas a quienes enseñaba gratuitamente, pero en ese pueblo la demanda educativa fue mayor y, además, contaba con renta suficiente, por lo que se mandó establecer una escuela de instrucción primaria de niñas para enseñar gratuitamente en el mismo local legado por el cura mencionado. La preceptora era nombrada por el prefecto a propuesta del subprefecto. Además del prefecto, el rector del colegio de La Libertad inspeccionaría la escuela. (Guerra y Leiva 105)

Mercedes Cabello n’a pas reçu cette instruction destinée aux fillettes de milieu modeste. Patricio Ricketts84 affirme que des institutrices donnaient des leçons particulières à Mercedes Cabello et qu’elle n’a donc pas appris de manière autodidacte. Cependant, Pinto soutient que la bibliothèque familiale, les modèles intellectuels que sont le père de Mercedes, Gregorio, et l’oncle, Pedro Mariano, ainsi que la proximité de son frère David ont permis à Mercedes de compléter son instruction.

Les trois membres de la famille qui ont eu une influence dans la formation intellectuelle et dans la passion du savoir, sont des érudits. Gregorio

83 Les rivalités entre le maréchal Domingo Nieto (originaire de Moquegua) et le général Vivanco qui promettait un gouvernement fort et aristocratique, en sont un exemple. Plus tard, la famille Cabello a appuyé les partisans de Vivanco contre Castilla et Echenique. En 1854, Moquegua se soulève contre Echenique et appuie Castilla.

84 « Rescate de Mercedes Cabello », Primer Simposium Internacional Mercedes Cabello de Carbonera y su tiempo (1909- 2009), p. 171- 187

Cabello et Pedro Mariano ont étudié à Paris dans les années 1820-1830. Leurs bibliothèques rassemblaient une importante bibliographie en français, dont seules pouvaient jouir quelques familles de cette province. David Cabello, le frère aîné, a échoué dans ses études de médecine et a dû se consacrer à Lima au négoce du vin produit à Moquegua. Il partage avec Mercedes ses inquiétudes intellectuelles. À sa mort, en 1875, Mercedes lui consacre un long poème émouvant dans El Correo del Perú et dans La Alborada sous le titre « Desengaño ».

Ismael Pinto affirme que la famille de Mercedes Cabello a fait partie de la « tradición masónica libertaria » (82) car son frère Gerardo a été un membre important de la Loge Honor y Progreso N°5 Valle del Rímac, et que ce frère a cru en la théosophie. Tout cela explique en partie la fascination précoce de Mercedes Cabello pour la pensée positiviste d’Auguste Comte et sa religion de l’humanité.

L’un des personnages les plus célèbres de la famille est Pedro Mariano Cabello (l’oncle de Gregorio Cabello), car il a exercé la fonction de « cosmógrafo mayor de la República ». C’est l’un des premiers défenseurs des idées comtiennes au Pérou, avec la publication d’un texte pionnier sur l’application du positivisme (« Discurso pronunciado en el Colegio de la Libertad de Moquegua por el DD Pedro Mariano Cabello »). Il a étudié à la Faculté des Sciences de Paris et à l’École des Mines à Paris. À Lima, il est l’auteur de Guía política, eclesiástica y militar del Perú, pendant quinze ans, de 1858 jusqu’à sa mort en 1874.

On sait très peu de choses de la jeunesse de Mercedes Cabello à Moquegua : elle apparaît dans les réceptions et dans les réunions de famille en compagnie de ses amies Elvira et Rosalía Zapata. Il est probable que dans ces réunions elle a fait la connaissance d’Urbano Carbonera Villanueva, natif de Ilabaya (Tacna) et qui a séjourné à Moquegua pour finir ses études secondaires. Urbano Carbonera était un enfant naturel ; sa famille ne jouissait pas du prestige social ni de l’aisance économique de la famille Cabello Llosa.

On ne sait pas précisément quand la famille de Mercedes est partie s’installer à Lima. Cependant, Pinto reprend l’hypothèse de Tamayo pour qui les Cabello se sont sans doute installés à Lima en 1864 ou 1865. Ce qui est sûr, c’est que la jeune femme habitait déjà au centre de Lima avec sa famille

en 1866, au moment de la guerre contre l’Espagne.

Mercedes Cabello vit dans la demeure familiale de la capitale pendant une brève période puis va habiter avec le docteur Urbano Carbonera qu’elle épouse le 26 avril 1866.

Urbano Carbonera est à cette époque-là un médecin reconnu dans le milieu scientifique de Lima. Il a soutenu une thèse intitulée « La incineración de los cadáveres es preferible a la inhumación ». Cette thèse est révélatrice de l’importance du progrès scientifique sur les croyances et les pratiques religieuses de l’époque. Il plaide pour la suppression des cimetières et le remplacement par l’incinération dans l’intérêt de l’hygiène publique. Il a obtenu le titre de médecin en 1861 à la Faculté de Médecine de San Fernando, et cette même année a été nommé enseignant en chirurgie, puis a exercé d’autres spécialités85

La vie du couple Cabello-Carbonera a suscité des interrogations dès le début de cette union. Ricketts observe ainsi :

Tenía veinticuatro años (solo confesó “más de veintiuno”) cuando, a poco de aclimatada en Lima y días antes del 2 de mayo de 1866, contrajo un matrimonio desigual, presumiblemente por amor, con un médico de treinta, nacido de unión natural en el caserío de Ilabaya [...] Con tal punto de partida, el cirujano Urbano Carbonera Villanueva, debió preciarse de su inmenso y vertiginoso ascenso social. Cuando desposó a Mercedes, el doctor era ya auxiliar de cátedra en San Fernando, donde cinco años antes había iniciado la carrera con el pie derecho, dándose a conocer con una tesis en favor de la cremación, entonces promovida por el progresista alcalde Haussmann, modernizador de París. (173)

En 1875, l’année de la mort de David Cabello, le couple Cabello-Carbonera est en crise. En 1876, l’annonce des consultations au cabinet d’Urbano Carbonera cesse de paraître dans la presse. Il part s’installer au sud de Lima, à Chincha Alta, où théoriquement il exerce des fonctions d’enseignant pour la Faculté de Médecine mais dans les faits, il ouvre une pharmacie qu’il administre. Pinto se base sur les informations fournies par Luis Alberto Sánchez pour affirmer qu’à ce moment-là, Carbonera est connu de

85 Pinto : « Posteriormente, y en esa calidad, desempeñó la docencia interina en otras asignaturas: Clínica Quirúrgica en 1862, Medicina Legal en 1867, Patología General y Nosografía Quirúrgica en 1871 y Medicina Operatoria y Anatomía Topográfica y Fisiología el año 1872 » (130).

tous pour sa passion des cartes et des femmes. Cette réputation aurait perduré à Chincha Alta où il a vécu le reste de sa vie.

Lorsqu’Urbano Carbonera vivait à Lima, il n’apparaissait jamais en public en compagnie de Mercedes Cabello. La mort d’Urbano Carbonera en 1885 correspond à la date à partir de laquelle l’écrivain commence à écrire des romans. Urbano Carbonera a été enterré à Chincha Alta et on ignore les raisons précises de sa mort, de sorte qu’il existe encore des doutes sur l’hypothèse d’un décès consécutif à la syphilis, maladie qu’il aurait transmise à sa femme. La dégradation mentale et physique qu’a subie Mercedes Cabello de Carbonera au cours des dix dernières années de sa vie peut être attribuée à cette maladie, mais le dossier médical n’a pas été retrouvé.