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1 La qualification en cas d’abordage et d’assistance

En ce qui concerne l’application du régime de l’abordage maritime, plusieurs 124.

jurisprudences permettent d’éclairer le statut juridique du navire. Ainsi en 2003, au sujet de l’abordage entre deux jet-skis évoluant en eaux fluviales332, la Cour de cassation a pu appliquer le

régime de l’abordage maritime en matière de collision entre deux navires. Il s’agissait d’une collision survenue entre deux jet-skis sur un lac intérieur, dans les Cévennes. L’un des deux « motards des mers », blessé lors de l’accident, a effectué une demande de provision en référé, accueillie favorablement par la cour d’appel de Nîmes, au motif que la présomption de responsabilité de l’article 1384-1 du Code civil n’avait pas été renversée par la preuve suffisante d’une faute de la victime ou de la survenance d’un cas de force majeure. La Cour de cassation a cassé le jugement de la cour d’appel puisqu’en « statuant ainsi par application des règles de la responsabilité délictuelle alors qu’en cas d’abordage entre deux bateaux de navigation intérieure la loi du 05 juillet 1934 est seule applicable, la cour d’appel a violé par fausse application [l’article 1384-1 du Code civil] et par défaut d’application [la loi du 5 juillet 1934] ». Il n’y a, en effet, pas de présomption légale de faute en droit maritime.

Le Professeur Pierre Bonassies, raisonnant par analogie, estimait qu’un jet-ski qui 125.

navigue sur le domaine maritime, devrait être qualifié de navire et se voir appliquer les règles de l’abordage maritime : « naviguant en eaux maritimes, immatriculé à la mer, apte à affronter les risques de la mer, un jet-ski, dans notre opinion, mérite pleinement la qualification de

331 Ibid.

332 Cass. com., 5 novembre 2003, n° 02-10486, M. Bodin c/ M. Buc et CPAM des Pyrénées, note Bonassies P.

« Un jet-ski maritime peut-il être assimilé à un navire ? Interrogation née à l’occasion de la détermination du droit applicable à un abordage entre deux jet-skis en eaux fluviales», DMF, 2004, p. 331.

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navire »333. Néanmoins cette interprétation n’était pas certaine car la liste des engins assimilés

au bateau par la loi de 1934 était importante334. Cette jurisprudence a par ailleurs fait craindre à

certains auteurs une extension de la définition du navire à d’autres hypothèses et concernant d’autres litiges notamment relatifs à la limitation de responsabilité335. Aujourd’hui, la situation

est claire, la Cour de cassation ayant confirmé cette solution au sujet de l’application du régime de la prescription biennale de l’action en responsabilité du régime de l’abordage maritime336 à

deux jet-skis entrés en collision.

L’arrêt de la Cour de cassation suit, à cet égard, le raisonnement de la cour d’appel337. Plus

récemment, la cour d’appel de Paris a confirmé cette jurisprudence338. Dans cette perspective, la

cour d’appel de Rennes, dans un arrêt de 1991, assurait que les règles de la circulation maritime telles qu’elles sont prévues par la Convention de Londres de 1972 sont également applicables au heurt entre deux véliplanchistes dont l’un n’était même plus sur sa planche à voile puisqu’il avait sauté dans la mer afin d’éviter le choc. Ces jurisprudences, qui n’ont pas toujours l’assentiment de la doctrine339, sont aujourd’hui bien établies.

333 Ibid.

334 Aux termes de l’article 9 de la loi de 1934, « sont compris, au sens de la présente loi, sous la

dénomination de bateau : les hydroglisseurs, les radeaux, les bacs, les dragues, les grues et les élévateurs flottants, les sections mobiles de ponts de bateaux et tous engins et outillages flottants de nature analogue ».

335 Bonassies P., « Un jet-ski maritime peut-il être assimilé à un navire ? Interrogation née à l’occasion de la

détermination du droit applicable à un abordage entre deux jet-skis en eaux fluviales», Op.cit. : « Il faut donc considérer qu’il est un navire et que la limitation de responsabilité lui est applicable, ce que certains regrettent, ce principe étant fondé sur l’idée d’un patrimoine commun de la mer ».

336 Art. L. 5131-6 C. Transp.

337 Cass. com. 3 juillet 2012, n° 11-22429, note Miribel S, « Collision en mer entre deux jet-skis : application

du régime de l’abordage. Le jet-ski est-il pour autant un navire ? », DMF, novembre 2012, pp. 938-950 ; Cet arrêt concerne une collision survenue au large de St Nazaire entre deux jet-skis. Par la suite de ses blessures, M. Y assigne M. X et son assureur. L’action en réparation de M. Y. est déclarée prescrite par la cour d’appel de Rennes le 11 mai 2011 au motif qu’en matière d’abordage maritime, les dommages causés par accident de mer se prescrivent par deux ans à compter de l’évènement qui y donne naissance. La Cour de cassation, confirmant l’arrêt de la cour d’appel, estime qu’il résulte des dispositions des articles L. 5131-1 et L. 5132 du Code des transports que la collision survenue entre deux jet-skis évoluant en mer relève du régime légal de l’abordage maritime. Or, l’article L. 5131-1 dispose bien que le régime légal de l’abordage maritime s’applique « à l'abordage survenu entre navires ». Il n’y a donc pas ici de doutes possibles. Les jet-skis sont des navires.

338 CA Paris, 22 mars 2016, no 14-15397, rappelant que « les accidents de jet-ski sont de jurisprudence

constante soumis aux dispositions de la loi du 7 juillet 1967... », et considérant « que les moto-marines, aussi appelées jets-skis, sont des véhicules de loisirs nautiques et entrent dans la catégorie des bateaux de navigation intérieure, tels que définis par la loi sur la navigation intérieure ; que celle-ci renvoie, s’agissant des accidents de navigation à la loi du 7 juillet 1967 sur les événements de mer, qui consacre une responsabilité pour faute prouvée ».

339 CA Rennes, 7 mai 1991, DMF, 1992, 141, note Tassel Y., et Le Brun R., qui avaient pu s’émouvoir de

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La cour d’appel de Montpellier, ensuite, le 15 janvier 2013340, a rendu un arrêt qui s’intègre

parfaitement à cette logique puisqu’elle a estimé que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’auteur de la collision survenue entre un kitesurf et une planche à voile devaient être recherchées selon les règles de l’abordage maritime341, infirmant en cela

partiellement, et pour ce qui nous intéresse, le jugement de première instance. Il s’agissait, dans ce cas précis, de déterminer le régime de la faute applicable. La collision s’était produite alors que le véliplanchiste perdait le contrôle de sa planche en réalisant une figure par-dessus une vague. La planche continuait sa course et le mat percutait les fils de l’aile du kite surf. Le kite surfeur prioritaire tribord, ne pouvait empêcher la collision en raison d’un manque de visibilité. Le Code des transports prévoit que, en matière d’abordage maritime, « si l'abordage est causé par la faute de l'un des navires, la réparation des dommages incombe à celui qui l'a commise. Si l'abordage est fortuit, s'il est dû à un cas de force majeure ou s'il y a doute sur les causes de l'accident, les dommages sont supportés par ceux qui les ont éprouvés, sans distinguer le cas où soit les navires, soit l'un d'eux, étaient au mouillage au moment de l'abordage »342. Par

ailleurs, « s'il y a faute commune, la responsabilité de chacun est proportionnelle à la gravité des fautes respectivement commises. Toutefois, si, d'après les circonstances, la proportion ne peut être établie ou si les fautes apparaissent comme équivalentes, la responsabilité est partagée par parties égales »343. Le véliplanchiste, dont l’embarcation a été assimilée à celle du navire a donc a

été jugé responsable du dommage causé par sa planche selon les règles de l’abordage maritime. Le 2 février 2016, enfin, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur l’applicabilité des règles de circulation et de priorité des navires telles qu’elles sont prévues par le règlement international de prévention des abordages de 1972, suite à un accident survenu entre un navire de plaisance et une véliplanchiste344. La Cour de cassation a confirmé le jugement de la cour

d’appel de Nouméa, qui déduisait de l’article 3 de la Convention de Londres du 20 octobre 1972 (RIPAM345) et de la Convention internationale sur l’assistance signée en 1989346 que « la planche

à voile, qui est un moyen de transport sur l'eau, est un engin flottant de plaisance assimilable à

340 CA Montpellier, 1ère ch., sect. D, 15 janvier 2013, n° 11/00865 : JurisData n° 2013-002303 , note

Ndende M., « abordage entre engins de sport nautique », Revue de droit des transports n° 3, juillet 2013, comm. 46.

341 La cour d’appel se réfère également aux règles prévues par la Convention sur le règlement

international pour prévenir les abordages maritimes de 1972, dite COLREG 72, pour Collision Regulations, dont la règle 1 de la Partie A – Généralités, prévoit que ces règles « s'appliquent à tous les navires en haute mer et dans toutes les eaux attenantes accessibles aux navires de mer ».

342 Art. L. 5131-3 C. Transp. 343 Art. L. 5131-4 C. Transp.

344 Cass. crim., 2 février 2016, n° 15-80927, note Miribel S., DMF, 2016, p. 779. 345 Règlement international pour prévenir les abordages en mer.

346 Cette Convention est applicable en France depuis 2002, Décret n° 2002-645 du 23 avril 2002 portant

publication de la Convention internationale de 1989 sur l'assistance, faite à Londres le 28 avril 1989, JORF n°101 du 30 avril 2002, page 7826, texte n° 49. Voir l’Art. 1. b) de la Convention : « « Navire » signifie tout bâtiment de mer, bateau ou engin ou toute structure capable de naviguer ».

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un navire, dont la pratique est soumise aux règles de la circulation maritime, notamment celles destinées à prévenir les abordages en mer ». La qualification ainsi donnée a permis l’application du régime juridique de l’abordage et de l’assistance maritime.

Ce fut également le cas lors de l’abordage entre un navire à grande vitesse de transport de passagers NYIE DJEU et un ancien caboteur, le MATIPO, aménagé pour servir de restaurant et amarré à un quai, c’est-à-dire désarmé, et sans moteur. Lors du passage du cyclone Erika, le NYIE

DJEU s’est trouvé en difficulté suite à plusieurs fautes du capitaine tandis que le MATIPO dont les

amarres à quai avaient cédé, par manque de vigilance certain de son propriétaire, se trouvait à la dérive. Les deux embarcations se sont heurtées et la cour d’appel de Nouméa a jugé que les règles de l’abordage maritime s’appliquaient à la collision entre ce navire et le restaurant à la dérive. Elle estimait ainsi que, à raison de la commission d’une faute commune, les responsabilités devaient être partagées entre les propriétaires347.

La jurisprudence française considère ainsi que les règles de l’abordage maritime s’appliquent à tout engin flottant amarré à poste fixe, y compris les kitesurfs, ou les planches à voile, se fondant sur une logique indemnitaire, d’équité ou bien de fonction348. Ce raisonnement

est plus délicat en matière de limitation de responsabilité des propriétaires de navire.

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