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Liste des abréviations

B. La fermeture de l’industrie offshore

Rendre compte de l’activité pétrolière et gazière offshore et des relations de travail qui 13.

s’y déploient est un exercice difficile. Des données statistiques basiques sont introuvables. Par exemple, le nombre de plateformes offshore en activité et leur répartition géographique donnent lieu à toutes les conjectures. Lorsque des chiffres sont évoqués, ils ne font ni état des méthodes de calcul ni d’un quelconque appareillage scientifique qui révélerait des sources38. Par ailleurs,

lorsque des sources sont citées, celles-ci ne mentionnent pas l’existence d’installations annexes à l’installation principale, ni s’il s’agit de plateformes actives ou inactives39. Enfin, les statistiques

évoquent très rarement le pourcentage de plateformes qui sont effectivement armées en hommes, c’est-à-dire dont l’utilisation nécessite le recours à des travailleurs et en quelle quantité. Dans ce contexte, les mots de Victor Hugo résonnent avec une particulière force : « (…) la mer cache ses coups. Elle reste volontiers obscure. Cette ombre incommensurable garde tout pour elle. Il est très rare que le mystère renonce au secret. Certes, il y a du monstre dans la catastrophe, mais en quantité inconnue. La mer est patente et secrète ; elle se dérobe, elle ne tient pas à divulguer ses actions. Elle fait un naufrage, et le recouvre; l’engloutissement est sa pudeur »40. Le mystère qui entoure l’industrie offshore nous permettra, paradoxalement, de

souligner les principaux traits caractéristiques de ce secteur d’activité.

La recherche de données fiables comporte plusieurs obstacles dont les difficultés de 14.

franchissement sont plus ou moins importantes. Une première distinction doit être faite entre les États qui disposent de cadres institutionnels permettant un recensement à jour des plateformes offshore et des travailleurs sur un support numérique actualisé et les États dont les structures institutionnelles sont faibles. Pour ces derniers, il sera très difficile d’avoir accès à une information de première main. La corrélation entre la qualité des institutions, leurs moyens

38 On lit alors le chiffre de 17 000 plateformes offshore dans le monde, avancé par Total sur son site : https://www.planete-energies.com/fr/medias/decryptages/la-production-offshore-de-petrole-et-de-gaz,

consulté le 6 décembre 2017.

39 En mer du Nord, par exemple, les premières plateformes d’envergure qui datent des années 1970 à

1980 sont aujourd’hui, pour une grande partie, inactives ou en phase de l’être. Un défi majeur doit être relevé en matière de démantèlement des plateformes offshore de première génération. La partition du démantèlement n’est pas simple, car la présence des plateformes sur des périodes excédant 20 ans a conduit au développement d’écosystèmes marins complexes et fragiles.

Introduction

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d’action41 et la fiabilité des données illustre une première ligne de séparation institutionnelle qui

se matérialise au point de vue géographique. Dans ce cadre, il est malgré tout possible de fournir quelques chiffres permettant d’appréhender l’importance et la répartition du secteur pétrolier offshore dans le monde en se référant aux statistiques produites par les institutions administratives des pays les plus développés concernant les installations et les travailleurs de leur industrie offshore respective. La seconde solution pour apporter des éléments de contexte fiables consiste à se fonder sur les développements techniques produits par les industriels. Cette dernière méthode suit les communications des opérateurs privés au sujet de leurs investissements. Ils ont le mérite de fournir des indices, pour chaque plateforme, à travers l’indication du lieu où elle va réaliser son activité, du nombre de travailleurs qu’elle peut accueillir et des estimations concernant la quantité de pétrole produite42. Enfin, les données

officielles relatives à la production pétrolière mondiale finissent de dresser le panorama de l’industrie offshore.

Il est impossible d’avancer un chiffre rigoureux faisant état du nombre de plateformes et 15.

du nombre de travailleurs qui, sur une année, participent à l’activité offshore. Toutefois, il est possible d’évoquer les chiffres d’au moins trois États producteurs de pétrole aux institutions fortes, à savoir les États-Unis, la Norvège et le Royaume-Uni, qui disposent de bases de données à jour collectées par leurs institutions administratives compétentes. Malgré les données présentes, il est extrêmement difficile d’obtenir des statistiques fiables concernant le nombre de travailleurs offshore. Souvent, les données concernent simplement le nombre de travailleurs impliqués directement ou indirectement dans l’activité.

Aux États-Unis, le Bureau of Ocean Energy Management propose une étude détaillée des 16.

plateformes présentes sur son plateau continental en fonction de la profondeur de forage. Au 6 décembre 2017, 2022 plateformes offshore étaient répertoriées. 1951 plateformes opéraient dans des eaux entre 0 et 200 mètres, 20 plateformes entre 201 et 400 mètres, 10 entre 401 et 800 mètres, 9 entre 801 et 1000 mètres, enfin 32 plateformes visaient des puits situés au-delà

41 Les données sont généralement compilées par les institutions administratives compétentes en matière

offshore. Il s’agira du Bureau of Ocean Energy Management ou du Bureau of Safety and Environmental Enforcement aux États-Unis. Sur les réformes institutionnelles conduites par les États-Unis après la catastrophe du Deepwater Horizon, v. Sacido R. E., « Offshore Federalism and Ocean Industrialization », Tulane Law Review, n°82, 2008, pp. 1355 et s. Au Royaume-Uni, l’instution compétente en matière de travail offshore est l’Energy Division du Health and Safety at Work. En Norvège, le Norwegian Petroleum Directorate établit des données statistiques relatives au travail offshore.

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de 1000 mètres de colonne d’eau43. Le Bureau of Labour Statistic (BLS)44, en revanche, ne fournit

pas d’indications suffisamment précises pour déterminer le nombre de travailleurs offshore, puisqu’il ne souligne que le chiffre des travailleurs du secteur extractif pétrolier et gazier qui s’établit, en octobre 2017, à 179 900 travailleurs.

Au Royaume-Uni, le dernier rapport du HSE concernant le travail offshore, en date de 2016, précise que 302 installations offshore sont présentes sur son plateau continental. Parmi celles-ci, 261 étaient opérationnelles et 143 faisaient appel à des travailleurs. Le HSE estime que la population de travailleurs offshore correspond à 30 400 travailleurs en équivalent temps plein45.

Enfin, en Norvège les statistiques compilées par le Norwegian Petroleum Directorate 17.

recensent 145 000 travailleurs directement employés dans l’industrie pétrolière en 201546.

Parmi eux, 28 000 sont impliqués dans l’extraction pétrolière et gazière et 117 000 dans l’industrie de service au secteur pétrolier et gazier. La seule étude solide, relayée par le

Norwegian Petroleum Directorate, indiquant le nombre de travailleurs offshore, présente, pour

l’année 2014, un chiffre de 21 000 travailleurs offshore sur 330 000 travailleurs impliqués dans l’activité pétrolière et gazière du pays47. Aucune indication n’est précisément rapportée sur le

nombre de plateformes ni sur le nombre de travailleurs offshore. Malgré tout, l’industrie pétrolière et gazière norvégienne étant quasi-exclusivement axée sur l’extraction offshore, la grande majorité des 28 000 travailleurs du secteur extractif devraient exercer leur activité offshore.

Quelques indications peuvent être fournies concernant la production de pétrole offshore 18.

dans le monde et sa répartition. Il est vrai qu’il s’agit là d’informations de première importance pour l’analyse économique de l’industrie et de données géopolitiques majeures. La production de pétrole offshore correspondait, en 2015, à 29% de la production mondiale de pétrole48. Ce

chiffre est établi de manière constante depuis 10 ans aux alentours de 30% de la production

43 Ces chiffres sont accessibles et quotidiennement mis à jour. La lecture peut être compliquée par la

masse des ressources statistiques proposées, cf.

https://www.data.boem.gov/Leasing/OffshoretatsbyWD/Default.aspx, page consultée le 6 décembre

2017.

44 Il s’agit de l’institution administrative qui produit les statistiques liées au travail aux États-Unis.

45 HSE, Offshore Statistics & Regulatory Activity Report, 2016, p.3. Le rapport souligne que 14 000

kilomètres de pipelines sous-marins relient les plateformes aux infrastructures côtières.

46 Le total de travailleurs impliqués directement ou indirectement par l’industrie pétrolière et gazière en

Norvège s’établirait à 185 000 personnes en 2016, soit 7% du nombre total des travailleurs norvégiens.

47 L’étude est publiée par le International Research Institute of Stavanger. Elle est relayée par le Norwegian Petroleum Direktorate, cf. Rapport IRIS, Industribyggerne 2015, En kartlegging av ansatte i norske petroleumsrelatertevirksomheter, med et særskilt fokus på leverandørbedriftenes ansatte relatert til eksport, 2015/031, p. 11.

48 Ces chiffres sont fournis par l’U.S. Energy Information Administration, qui s’est basée sur des données de

Introduction

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mondiale de pétrole. Selon le Rystad Energy Ucube, en 2017, les États qui produisaient le plus de pétrole et de gaz offshore étaient, dans l’ordre décroissant, l’Arabie Saoudite, la Norvège, le Qatar, l’Iran, le Brésil, les États-Unis, le Mexique, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et l’Angola. Toutefois, d’autres États ont une production pétrolière et gazière importante, notamment les États d’Afrique de l’Ouest parmi lesquels le Nigéria, le Gabon ou encore la Côte d’Ivoire. Certaines productions sont, par ailleurs, réalisées au nord-ouest de l’Australie, dans le sud-est asiatique et au large d’États d’Amérique centrale. On remarque alors la diversité des États d’accueil considérés et, par voie de conséquence, des différents ordres juridiques internes qui pourraient avoir partie liée avec l’encadrement juridique des relations de travail offshore. En outre, cette diversité est particulièrement remarquable si l’on considère que le marché de l’accès aux ressources n’est ouvert qu’aux plus importantes entreprises pétrolières transnationales.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette approche quantitative. En premier 19.

lieu, les chiffres, y compris dans les États aux institutions fortes, sont difficilement accessibles. Des statistiques sont fournies concernant la production de pétrole issue de l’extraction offshore, les blocs49 faisant l’objet d’un contrat d’exploration ou d’exploitation et même sur la variation

des puits forés chaque semaine, chaque mois, chaque année50. En revanche, les données simples

relatives au nombre de plateformes et au nombre de travailleurs sont éparpillées et approximatives. On peut affirmer, malgré tout, que le nombre de travailleurs offshore est faible, aux alentours de 25 000 en Norvège et de 30 000 aux États-Unis. Dans chaque État, le nombre de travailleurs est considérablement déconnecté des richesses produites par l’industrie51.

Une explication rationnelle de cette absence d’information provient de la diversité des 20.

formes de réalisation du travail, entre le travail salarié et le travail indépendant, ainsi que des rotations d’effectifs. Dans ce cadre, la difficulté est relative aux formes mêmes du travail, à sa mobilité. Les institutions spécialisées n’auraient donc pas suffisamment d’éléments pour proposer des statistiques fiables. Cette explication est faible. D’une part, des statistiques sont fournies pour des catégories de personnes bien plus difficiles à appréhender que les travailleurs

49 Le bloc correspond à la zone qui fait l’objet d’un contrat entre l’État d’accueil et l’opérateur principal,

pour l’exploration ou l’exploitation du sous-sol marin.

50 La société Baker Hugues recense, depuis 1944, le nombre de forages réalisés en mer et à terre.

L’exploration, l’évaluation et la production sont les trois étapes du forage offshore. Elles nécessitent chacune de forer la terre, ou le fonds marin pour créer un puits et atteindre le gisement. Il peut s’agir d’un forage nouveau, ou d’un forage de développement d’un puits déjà créé. Sous une seule plateforme offshore, des dizaines, voire des centaines de puits sont forés. Certains puits participent directement à l’exploration ou à l’exploitation. D’autres puits sont créés dans l’éventualité d’une catastrophe afin de permettre la déviation des polluants, leur stockage ou la dépressurisation d’un puits.

51 Selon le Ministère des finances norvégien, l’activité pétrolière a rapporté, en 2017, plus de 17 milliards

d’euros à l’État (180 milliards de NOK, Norsk Krone), sans compter les revenus liés au fonds souverain norvégien qui a été financé en grande partie par l’industrie pétrolière et qui est le plus important fonds de placements financiers détenu par un État au monde.

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offshore. D’autre part, cette explication n’est pas valide pour les plateformes offshore qui sont situées sur le territoire de l’État d’accueil, dont l’existence est directement liée à la conclusion d’un contrat conclu entre l’entreprise pétrolière transnationale et l’État d’accueil. Une autre explication tient à la sensibilité des données dans le champ de la concurrence entre les entreprises pétrolières transnationales, ou à la rétention de l’information dans l’établissement d’un rapport de force avec les États d’accueil52. Ces éléments constituent le halo de mystère qui

entoure l’activité offshore et le manque de connaissances précises à son sujet. Ils expliquent, en partie au moins, le peu d’études juridiques spécifiquement consacrées au travail sur les plateformes offshore53.

II. De la lex petrolea au pluralisme juridique éclectique

Les relations de travail offshore sont intrinsèquement transnationales en raison des 21.

acteurs qu’elles impliquent et au regard des ordres juridiques qui l’encadrent. La lex petrolea caractériserait l’existence de ces ordres juridiques constitutifs d’un corps autonome de règles juridiques substantielles qui encadrerait l’activité pétrolière et gazière au-delà des ordres internes étatiques. À ce titre, les relations de travail offshore seraient gouvernées par une sous- branche spécifique de la lex petrolea. On vise, par cette lex petrolea spécifique, l’ensemble des règles qui génèrent des effets de droit sur les relations de travail offshore. La lex petrolea a ceci d’intéressant qu’elle intègre les sources de droit dans leur diversité, par le dépassement des distinctions traditionnelles entre le droit dit « mou » ou « souple » et le droit « dur », entre les règles d’autonomie volontaires et les règles hétéronomes imposées54 (A).

Toutefois, la lex petrolea ne permet pas d’étreindre la complexité des dynamiques normatives affectant les relations de travail. Définie comme l’ensemble des règles d’application

52 La production du champ pétrolier offshore, ne passant plus nécessairement par l’État d’accueil, peut

être artificiellement réduite ou les quantités de pétrole être stockées afin de faire pression sur les États d’accueil à l’occasion de négociations contractuelles.

53 Notons toutefois l’ouvrage de Jonathan Kitchen, Labour Law and Off-Shore Oil, Croom Helm, London,

1977, 261 pages, concernant principalement le Royaume-Uni, et la thèse de Patricia Pouliquen, La condition des travailleurs de l’offshore, Le Bayon A., (dir.), Thèse en droit, Université de Brest, 1993, 574 pages.

54 De nombreux travaux portent sur la nature des règles de droit. Ces études développent le concept de

normes et dissèquent le processus de normativité. Elles visent à intégrer aux règles de droit les normes de droit « mou » ou « souple », c’est-à-dire celles qui sont marquées par leur caractère a priori non contraignant. Citons, pour la diversité des thèmes qui y sont abordés, Thibierge C., et alii, La densification normative. Découverte d’un processus, Mare & Martin, 2013, 1204 pages ; et pour une étude épistémologique de la normativité juridique fondée sur la légitimité et la confiance, v. Brunet F., La normativité du droit, Mare & Martin, bibliothèque des thèses, 2012, 678 pages ; La réflexion a également été développée du côté des fonctions de la règle de droit, v. récemment Ost F., À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, Bruylant, coll. Penser le droit, 2016, 578 pages.

Introduction

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universelle et sectorielle encadrant l’activité offshore, elle ne saurait englober l’ensemble du cadre juridique des relations transnationales de travail offshore, nécessairement liées à un ou plusieurs territoires étatiques. Dans ce sens, la lex petrolea contribue un point de départ pertinent pour comprendre la difficulté du droit du travail à saisir la transnationalité des relations de travail offshore55. Cepedant, la focale transnationale nous engage à effectuer un pas

de côté vers la conception d’un pluralisme actif, volontaire et assumé, fondé sur un éclectisme méthodologique56 (B).

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