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C Les jurisprudences de l’Union européenne, la variable

territoriale de la qualification des plateformes

La CJCE avait affirmé, à l’occasion d’un litige de travail sur une plateforme offshore, que 160.

« dès lors que le plateau continental adjacent à un État membre [relevait] de sa souveraineté, bien que fonctionnelle et limitée, un travail accompli sur des installations fixes ou flottantes situées sur ledit plateau continental, dans le cadre d’activité d’exploration et/ou d’exploitation des ressources naturelles, [devait] être considéré, pour l’application du droit de l’Union, comme accompli sur le territoire de cet État »444. L’interprétation doit être mesurée aux fonctions de

l’arrêt. Or, précise la Cour, l’arrêt est rendu « pour les besoins de l'application de l'article 5, point 1, de la Convention de Bruxelles » dont l’objectif, en droit international privé, est de déterminer le lieu d’exécution habituel du travail445.

Il s’agissait ici pour la Cour de déterminer si la libre circulation des travailleurs, telle 161.

qu’instituée par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et applicable aux marins446, s’étendait aux travailleurs sur les plateformes pétrolières et gazières opérant sur le

plateau continental d’un État membre. Plus précisément, la Cour s’interrogeait sur le lieu d’exercice habituel du travail et, in fine, sur la nature territoriale de la plateforme offshore dans un litige de droit international privé.

443 La cour estime que le ROV est seulement connecté temporairement par des attaches au navire, et ce

malgré les soudures structurelles par lequel le ROV est lié au navire. La cour se rapproche en cela d’une jurisprudence de 1978 qui considère que la maintenance des machines attachées au navire ne correspond pas à la maintenance du navire lui-même, Marshall v. Woods Hole Oceanographic Inst., 458 F. Supp. 709, 711, 716, 719 (D. Mass 1978).

444 CJCE 27 février 2002, aff. N. 37/00, M. Weber, Rec. CJCE I-2013, RJS 6/02, n°759, note Moreau M.-A. ; DMF, 2002, pp. 632-648, obs. Chaumette P., RTD eur. 2003, 529, obs. Rodière P.

445 Motif 36 de l’arrêt. Pour des développements plus substantiels, cf. infra, n°707 et s.

446 Concernant les travailleurs, voir les articles 45 et s. TFUE. Plus généralement, CJCE 4 décembre 1974, Van Duyn c/ Home office, aff. n°41/74, Rec. p. 631. Sur l’effet direct du droit à la liberté de circulation dans l’UE, CJCE, 8 avril 1976, Rayer, aff. n°48/75, Rec. p. 497, considérant 31. Au sujet de la fin du privilège de nationalité et, conséquemment, du dernier obstacle à la libre circulation des marins dans l’Union européenne, CJCE 4 Avril 1974, aff. n° 167/73, Commission c/ République française, Rec. CJCE, 359 ; CJCE 1er décembre 1993, aff. n°37/93, Commission c/Belgique, Rec. CJCE, I-6295 ; La Cour de justice précise que

la liberté de circulation des travailleurs concerne tous les marins, v. CJCE 14 décembre 1989, n°3/87, Agegate ltd, Rec. CJCE 4459. La Cour condamne la France au terme d’une procédure de recours en manquement, CJCE 7 mars 1996, n°334/94, Rec. CJCE, I-1307. Voir aussi Cudennec A., « La France condamnée pour non-respect du principe de libre circulation des capitaines de navire », DMF, 693, juin 2008, pp. 509-519.

Le pluralisme applicable au lieu de travail

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La Cour s’est exprimée de manière semblable en matière de détermination du régime de 162.

sécurité sociale applicable aux travailleurs sur une plateforme fixe opérant sur le plateau continental d’un État membre de l’Union européenne447. Elle estima que « l’article 13 §2, sous a)

du règlement 1408/71 du 14 juin 1971, modifié par le règlement 118/97 du 2 décembre 1996, et l’article 45 TFUE doivent être interprétés en ce qu’ils s’opposent à ce qu’un travailleur qui exerce ses activités professionnelles sur une installation fixe située sur le plateau continental adjacent à cet État membre ne soit pas assuré à titre obligatoire dans cet État membre en vertu de la législation nationale d’assurances sociales, au seul motif qu’il réside non pas dans celui-ci mais dans un autre État membre »448. L’État membre, sur le plateau continental duquel se

trouvent les ressources, tire un avantage économique de leur exploitation, et ne peut ainsi pas se retrancher derrière la loi d’immatriculation de la plateforme pour échapper à l’application du droit de l’Union européenne. Notons, tout de même, que l’arrêt de la Cour ne fait mention que des plateformes fixes en opération d’exploration et de production.

À aucun moment, ni la question de la qualification juridique de la plateforme, ni la 163.

question de la qualification juridique des marins ne sont posées. Les apports de ces arrêts dans le champ de notre présent chapitre, sont de considérer les plateformes offshore, pour l’application du régime de sécurité sociale ou pour des raisons qui tiennent à la recherche d’une solution en matière de droit international privé, comme faisant partie du territoire national de l’État du plateau continental sur lequel elles sont fixées. Pourtant des implications nous semblent pouvoir être dégagées sur le champ des qualifications juridiques.

On apprend, à l’occasion de l’arrêt Salemink, que la plateforme concernée est une 164.

plateforme fixe. Indirectement, il est difficile de considérer comme un navire une infrastructure sur laquelle l’État du plateau continental où elle opère étend son régime de sécurité sociale et détermine le critère de rattachement du lieu d’exercice habituel du travail en droit international privé.

447 CJUE 17 janvier 2012, aff. n° C-347/10, Salemink, qui a donné lieu à une importante littérature,

Chaumette P., « Du travail sur les plates formes gazières et pétrolières du plateau continental », DMF, 2012, pp. 412-417 ; Chaumette P., obs., Droit social, 2012, pp. 436-438 ; Haslinger B., in Zeitschrift für europäisches Sozial-und Arbeitsrecht, 2012, pp. 345-351 ; Magdaleno R., « De nuevo el ámbito de aplicación ¿territorial? del Derecho de la Unión Europea y la plataforma continental : el asunto Salemink [C-347/10, sentencia del TJCE (Gran Sala) de 17 de enero de 2012] », Diario La ley, nº 7891, 2012 pp. 1-5 ; Carlier, J.- Y., « La libre circulation des personnes dans et vers l'Union européenne », Journal de droit européen, n°197, 2013, pp. 103-114 ; Van der Mei, A. P., « Tijdschrift Recht en Arbeid », nº 6/7, pp. 26-27 ; Lhernould, J.-P., « L'actualité de la jurisprudence européenne et internationale. Des extensions hors de l'Union européenne des règles communautaires de conflit de lois », RJS, 2012, pp. 267-268 ; Van der Most H., « De grenzen van de Unie : het vrije verkeer van werknemers op het continentaal plat », Nederlands tijdschrift voor Europees recht, 2012, pp. 107-112.

Le pluralisme intrinsèque, les travailleurs

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Cette conception échappe à l’essence du pavillon en droit maritime, qui détermine historiquement la juridiction et la loi applicables sur les navires449. Néanmoins, cette toute-

puissance du pavillon, y compris sur les navires, est battue en brèche, spécialement depuis les phénomènes de pavillon de complaisance et à mesure des catastrophes maritimes d’envergure. Le navire n’est pas un territoire, pas plus qu’il n’est une personne450.

En matière d’affiliation au régime de sécurité sociale et, plus précisément, concernant le 165.

champ d’application du règlement n°1408/71451, le fait que le travail soit effectué à bord d’un

navire et non sur le territoire d’un État membre, même lorsque ce navire opère dans la partie du plateau continental adjacent à cet État, n’est pas suffisant pour écarter l’application du Règlement. « La seule circonstance que les activités d’un travailleur s’exercent en dehors du territoire de l’Union ne suffit pas pour écarter l’application des règles de l’Union sur la libre circulation des travailleurs dès lors que le rapport de travail garde un rattachement suffisamment étroit avec ce territoire »452. À ce titre, le fait que le travailleur résidant dans un

État membre, ait été employé par une société établie dans un autre État membre, peut caractériser un rattachement suffisamment étroit453. Cela serait probablement différent si la loi

du pavillon était celle d’un État tiers, cette dernière serait alors celle qui aurait vocation à s’appliquer454. Le critère de l’État membre de résidence est un critère de rattachement

449 L’immatriculation du navire ouvre sur l’attribution d’un pavillon. Les navires possèdent la nationalité

de l’État dont ils sont autorisés à battre le pavillon, Article 91 de la Convention de Montego Bay. Cf. infra, n°687 et s.

450 Nous reprenons ici la formule employée par le Professeur Chaumette, « Le navire, ni territoire, ni

personne », 1ère partie, DMF, n°678, février 2007, pp. 99-110 ; 2nde partie, DMF, n°683, juillet-août 2007, pp.

579-587.

451 Règlement CEE n°1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité

sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la communauté dans sa version mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du

Conseil du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n°307/1999 du Conseil du 8 février

1999.

452 CJUE (5ème ch.), 19 mars 2015, C-266/13 ; L. Kik c/Staatsecretaris Van Financïen, point 42. Voir

également Chaumette P., « De l’affiliation sociale des gens de mer en droit européen : extension vers les marins ressortissants européens, expatriés sous pavillon tiers ? », DMF, 2015, p. 769. M. Kik, ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas souhaitait s’extraire du régime d’assurance sociale néerlandais pour une période. Il a travaillé sur un navire battant pavillon panaméen. Jusqu’au 31 mai 2004, il est employé par une société établie aux Pays-Bas et il est soumis au régime général d’assurance sociale de cet État membre. Au 1er juin 2004 il est employé par une société suisse pour la même activité. Son salaire demeure

soumis à l’impôt sur les revenus néerlandais. La loi néerlandaise prévoit la fin de l’affiliation au régime général d’assurance sociale en cas de travail hors des Pays-Bas pour un employeur non établi dans cet État membre durant une période de 3 mois consécutifs (point 20). Compte tenu du Règlement CEE n°1408/71, M. Kik est redevable de cotisations au régime d’assurance sociale néerlandais pour la période courant du 1er juin au 24 août 2004 (point 21). Durant cette période, le navire sur lequel il travaillait s’est

successivement trouvé à hauteur du plateau continental adjacent à un État tiers, dans les eaux internationales et à hauteur de la partie du plateau continental adjacente à certains États membres (Pays- Bas et Royaume-Uni). La Cour de justice s’interroge sur l’applicabilité du Règlement à l’espèce (point 24 de l’arrêt).

453 Point 43 de l’arrêt. 454 Point 56 de l’arrêt.

Le pluralisme applicable au lieu de travail

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accessoire pour la mise en œuvre du Règlement relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté

455.

La législation applicable sera donc celle de l’État membre, ou assimilé, au sein duquel l’entreprise qui emploie le travailleur aura son siège social. Par ailleurs, en cas de concurrence entre deux systèmes, c’est le système qui prévoit une assurance obligatoire qui prévaudrait sur celui qui envisagerait l’affiliation à un régime d’assurance volontaire. La loi du pays de résidence du salarié, autrement accessoire, pourrait dans ce cas être appliquée. Finalement, le critère du pavillon n’est plus le critère de rattachement exclusif des régimes de sécurité sociale. Il est le critère principal si les rattachements de la relation de travail sont suffisants, eu égard au siège social de l’entreprise ou à la résidence du travailleur.

Conclusion de chapitre

La diversité des plateformes offsore et la finalité des conventions internationales 166.

maritimes permettent d’établir des lignes de force linéamentaires et de poser les premiers jalons qui guideront notre réflexion. Un rapport de fonctionnalité émerge de la relation dialogique entre les institutions juridiques sollicitées par les conventions internationales et les critères techniques de qualification des plateformes offshore. Cette première avancée dans notre sujet révèle les difficultés de qualification d’un lieu de travail pris dans sa diversité et ses antagonismes, entre terre et mer, situé en mer, ancré au fonds marin. Le dépassement de la qualification juridique des plateformes prend le chemin d’une méthode fondée sur un pluralisme éclectique456.

La mise en œuvre du pluralisme ainsi révélé conduit à distinguer le navire de la 167.

plateforme offshore sur les problématiques de droit international privé relatives à la compétence juridictionnelle en matière sociale et en matière d’applicabilité des régimes de sécurité sociale. De ces branches du droit éminemment territorialisées rejaillit le spectre fonctionnaliste. La fonctionnalité territoriale explique probablement la subtile différenciation qui sépare navire et plateforme. L’activité de cette dernière, en prise avec le sol, possède un rapport physique avec le territoire.

455 Règlement CEE n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité

sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et son Règlement d’application, le Règlement CEE n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972.

Le pluralisme intrinsèque, les travailleurs

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Néanmoins, ces pistes ne permettent pas de tirer davantage le fil d’une identité jurisprudentielle de la qualification juridique des travailleurs offshore. Il faut se contenter, à ce stade, d’une distinction fonctionnelle dessinée en creux et des précautions méthodologiques vers lesquelles cette distinction nous guide. Il serait vain de tenter de qualifier les plateformes offshore comme n’étant pas des navires457, sans considérer leurs spécificités et la nature des

normes juridiques sollicitées, pas plus qu’il ne serait pertinent de qualifier les personnes qui y travaillent, in fine, comme des travailleurs terrestres en mer. Ces premiers enseignements créent les conditions de développement du pluralisme juridique applicable aux travailleurs offshore.

457 Ibid. et Chaumette P., « De l’affiliation sociale des gens de mer en droit européen : extension vers les

marins ressortissants européens, expatriés sous pavillon tiers ? », DMF, 2015, pp. 411-412. Il en va différemment pour un travailleur exerçant son activité, offshore, sur le plateau continental adjacent à un État non membre de l’Union européenne, auquel les règlements européens ne s’appliquent pas. Si le travail s’effectue exclusivement à l’étranger, le salarié, même français recruté en France par une société établie en France, est un expatrié qui n’est pas de droit affilié au régime français de sécurité sociale. Il peut adhérer volontairement à la Caisse des français de l’étranger. Il est affilié à l’assurance-chômage si son employeur, établi en France, l’envoie à l’étranger. Voir not. Cass. soc. 26 octobre 1999, n°97-43.142, M. Arioua c/ Sté Sodexo, Bull. civ. V, n°407 ; CA Versailles, 11ème ch., 31 mars 2009, Droit social, 2009, n°12, pp.

1263 et s.; DMF, 2010, n°173, pp. 287 et s. ; Cass. soc. 25 janvier 2012, n°11-11.374, Sté Sodexo Afrique, Bull. civ. V, n° 19, Chaumette P., « De la restauration sur les plates-formes d’exploitation en mer », ADMO, tome XXVIII, 2010, pp. 429 et s.

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Chapitre II :

Le pluralisme applicable aux travailleurs

Les instruments adoptés par l’Organisation Internationale du Travail ainsi que, 168.

consécutivement, de nombreuses réglementations nationales, ont progressivement divisé les travailleurs de la mer en trois catégories que sont les gens de mer marins, les gens de mer non marins et les autres, simples travailleurs en mer. La division est juridiquement technique et en pratique complexe. La Convention du travail maritime de 2006458, qui s’appliquent aux

travailleurs en mer459, devrait se déployer à travers une logique fonctionnelle précisée.

La qualification juridique des travailleurs offshore répond à celle des installations. Elle y 169.

répond car, en premier lieu, le régime juridique applicable aux installations détermine les travailleurs460. Elle y répond, en second lieu, parce qu’elle s’appuie sur une méthode proche,

malgré la diversité des sources sollicitées. Cette qualification repose en effet sur une dialectique fonctionnelle propre entre, d’une part, les institutions juridiques sollicitées par les travailleurs et, d’autre part, les fonctions qu’ils exercent à bord des plateformes.

Les fondements du pluralisme se découvrent à travers la diversité des travailleurs 170.

offshore et des sources conventionnelles utiles à leur qualification juridique (Section I). La mise en œuvre de la MLC dans les différents droits internes et l’influence des pratiques professionnelles éclairent la dynamique du pluralisme juridique en matière de qualification des travailleurs offshore (Section II).

458 La Convention du travail maritime , ou Maritime Labour Convention (nous utiliserons pour la suite

l’acronyme MLC en raison de son utilisation en pratique) a été adoptée par l’Organisation Internationale du Travail le 23 février 2006. Elle est entrée en vigueur le 20 août 2013. Au 9 mai 2017, 82 États avaient ratifiés la MLC. Ces États représentaient alors 91% de la jauge brute de la flotte marchande mondiale.

459 La MLC est une Convention « marine marchande » qui, parce qu’elle s’applique aux navires en

navigation (Art. II, MLC 2006), ne devrait pas constituer un terrain d’accueil pour les travailleurs sur les plateformes offshore. Pourtant, la nécessité d’exploiter cette piste a priori étrangère à notre sujet est rapidement devenue évidente, tant la MLC tend à couvrir l’ensemble des activités de travail en mer. À ce titre, les conséquences de sa grille de qualification dépassent le cadre de la seule marine marchande. Celles-ci s’entendent en effet de l’application du droit social maritime compris « comme l'ensemble des règles juridiques qui encadrent les relations individuelles et collectives de travail maritime », v. Mandin F., Proutière-Maulion G., Jurisclasseur Travail maritime, LexisNexis, mise à jour 15 octobre 2015, p. 4. Cette définition, qui a le mérite de l’unité, nécessite d’être précisée, pour y inclure les relations individuelles et collectives de travail, y compris les relations de travail non salarié qui dépassent la relation de travail pour s’étendre au travail en général dans son environnement et sa diversité. Elle couvre, par ailleurs, l’ensemble des activités de travail en mer.

Le pluralisme extrinsèque, le réseau contractuel d’entreprises

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