Le contexte de recueil des données
3. Présentation du second dispositif de formation support à l’étude (DF2) (DF2)
3.3. La description du dispositif de formation DF2
En écho avec DF1, le dispositif de formation DF2 correspond à la transformation des activités d’apprentissage informel réalisées par les deux enseignants lors de l’année scolaire 2017-2018. DF2 s’est également appuyé sur une démarche de recherche transformative qui a consisté à modifier le contexte de travail des acteurs ainsi que leur activité afin de mieux l’étudier. Par rapport à des activités d’apprentissage informel de type collaboratif avec récit des expériences de classe, et sur la base des postulats théoriques énoncés antérieurement, DF2 a apporté les quatre changements suivants : a) captation audio-vidéo de la pratique spécifique du pair formateur suivi d’un entretien d’autoconfrontation, b) enseignement ostensif de la pratique du pair formateur au pair formé sur la base de la captation, c) mise en œuvre 1 de la pratique spécifique par le pair formé suivi du contrôle du pair formateur et d) mise en œuvre 2 de la pratique spécifique par le pair formé à nouveau suivi du contrôle du pair formateur. Ces quatre changements correspondent aux quatre étapes du dispositif de formation DF2.
Le dispositif de formation DF2 correspond également à la transformation d’une démarche de formation dite « traditionnelle ». En effet DF2 n’a pas consisté à transmettre aux enseignants des savoirs produits à l’extérieur des établissements scolaires par des chercheurs universitaires.
DF2 a plutôt été conçu en postulant que l’expertise et les savoirs nécessaires à l’enseignement sont détenus par la communauté d’enseignants exerçant au sein des établissements scolaires.
Ainsi, DF2 a consisté en la transmission des apprentissages informels d’enseignants expérimentés entre enseignants expérimentés sur le temps institutionnel des demi-journées de formation en REP+. Ceci s’est caractérisé par un étalement de DF2 sur trois matinées de formations désignées dans cette étude sous l’appellation « Atelier de formation ». Ces ateliers se déroulaient dans une salle de réunion attribuée par le collège du réseau. À ces ateliers de formation ont alterné des phases de recueil de pratiques au moyen de l’outil vidéo ou encore de contrôles de mise en œuvre sur le lieu de travail. Ces temps de pratiques ont été identifiés sous la dénomination « En établissement ». Ces recueils de pratiques s’effectuaient au sein des établissements scolaires des enseignants.
La Figure 3 présente le contenu du dispositif de formation DF2.
3.3.1. Étape 1 : Établir la vision synoptique de la pratique spécifique du pair formateur
Lors de la première matinée de formation, les enseignants ont été regroupés en fonction de leur établissement scolaire d’appartenance dans une salle de réunion mise à disposition par le collège du réseau. Le dispositif de formation a été présenté dans sa globalité et la rupture que DF2 constituait avec les formations traditionnelles a été soulignée. Diverses activités visant à amener les enseignants à échanger progressivement sur l’intimité de leurs pratiques de classe ont ensuite été proposées. Ainsi les équipes d’enseignants ont d’abord réalisé le blason de leur école en choisissant les couleurs et les motifs qui leur correspondaient le mieux. Chaque équipe devait ensuite présenter oralement son blason aux autres équipes pédagogiques du réseau. La deuxième activité a consisté en l’élaboration d’une lettre à son sosie lors de laquelle chaque enseignant avait pour consigne de décrire une pratique qui lui semblait particulièrement efficace avec ses élèves. Au sein de chaque équipe, chaque enseignant devait ensuite transmettre sa lettre à son voisin de sorte que ce dernier y précise ce qui lui semblait être très pertinent et ce qu’il n’avait pas bien compris. À la fin de cette activité, chaque enseignant avait pu lire la lettre de tous les membres de son équipe. Les enseignants devaient enfin discuter entre eux, par équipes, afin de répondre aux interrogations de leurs collègues inscrites sur leurs lettres. À la fin de cette matinée, il avait enfin été proposé aux enseignants de chaque équipe pédagogique de se mettre d’accord sur la pratique susceptible d’être partagée compte du contexte de leur établissement scolaire et de leurs propres besoins en matière de formation. Les enseignants ont pu alors choisir librement leurs rôles : celui de simple participant, celui de pair formé ou encore celui de pair formateur. Un calendrier de captation des pratiques spécifiques et des contrôles des mises en œuvre avait été négocié dès la fin de cette première matinée.
En ce qui concerne l’école élémentaire Raphaël Barquisseau, le choix de l’équipe pédagogique s’est porté sur la transmission de la pratique spécifique « Les homophones ON et ONT ». De même que pour DF1, le pair formateur a filmé lui-même sa pratique spécifique. Il a vécu ensuite un EAC sur cette pratique spécifique avec le chercheur de sorte à énoncer les règles qui régissent cette activité. L’approche par vision synoptique mobilisée lors de l’EAC a permis au pair formateur d’énoncer les règles qu’il avait apprises lors de formations réflexives antérieures, mais également de formuler des règles non conscientes, mais dicibles. En énonçant cette somme de règles, le pair formateur a pu accéder à une vision plus claire des raisons de ses actions. De son côté, à partir des données d’action (les traces vidéo) et à partir des données
d’activité (le discours du pair formateur sur sa pratique), le chercheur s’est livré à l’élaboration de la vision synoptique de la pratique spécifique « Les homophones ON et ONT »15.
C’est à partir de l’enregistrement audio-vidéo de leurs pratiques spécifiques et à partir de la vision synoptique des règles de cette pratique que les pairs formateurs se sont livrés à l’enseignement ostensif en direction des pairs formés lors de la deuxième matinée de formation.
3.3.2. Étape 2 : Enseigner la pratique spécifique
Lors de la deuxième matinée de formation, les enseignants ont à nouveau été regroupés par établissement scolaire. Au sein de chaque équipe, les pairs formateurs avaient pour consigne de procéder à l’enseignement ostensif des règles régissant leurs pratiques spécifiques en direction des pairs formés (et ceci à la vue des autres membres de l’équipe pédagogique de l’établissement jouant alors le rôle de simples participants).
En ce qui concerne la transmission de la pratique spécifique « Les homophones ON et ONT ». Le pair formateur a enseigné certaines règles régissant ses actions au pair formé à partir de la vidéo de sa propre pratique et au moyen des supports pédagogiques qu’il utilisait avec ses élèves. De même que lors de DF1, pour chacune des actions visionnées et significatives pour l’un ou l’autre des deux enseignants, la vidéo était arrêtée, la signification était attribuée et l’attente de résultats associée à l’action était énoncée.
Suite à l’enseignement ostensif des règles régissant les pratiques spécifiques, les pairs formés ont pu se livrer à un premier emploi de cette pratique avec leurs propres élèves dans leur classe. Cette première mise en œuvre a ensuite fait l’objet d’un contrôle par les pairs formateurs lors de la troisième matinée de formation.
3.3.3. Étape 3 : Mettre en œuvre une première fois et contrôler ce premier emploi
Suite à la deuxième matinée de formation, les pairs formés ont pu mettre en œuvre les pratiques spécifiques enseignées par les pairs formateurs. Les pairs formateurs et les pairs formés exerçant au sein du même établissement scolaire, les protagonistes ont pu continuer les échanges sur la pratique amorcés lors des deux matinées de formation. Au sein des établissements scolaires, les enseignants ont pu se livrer à des activités d’apprentissage informel collaboratif. Les pairs formés ont donc pu profiter de l’accompagnement des pairs formateurs en termes de préparation collaborative de la séance pédagogique, d’échanges de matériel pédagogique ou encore de soutien lors des premiers emplois de la pratique spécifique. Pour
15 Le détail de cette élaboration est retranscrit dans la section des résultats intitulée « La vision synoptique de la
cette première mise en œuvre, les pairs formés avaient enfin eu pour consigne de rester proches de la pratique enseignée et de filmer eux-mêmes cette mise en œuvre.
Lors de la troisième matinée de formation, les enseignants ont à nouveau été regroupés par établissement scolaire. Les pairs formés ont montré la vidéo de leur premier emploi de la pratique spécifique enseignée aux pairs formateurs (ainsi qu’aux simples participants). Les pairs formés avaient eu pour consigne d’expliquer aux pairs formateurs ce qu’ils faisaient sur la vidéo (décrire leurs actions) et de dire pour quoi ils le faisaient (pour obtenir quels résultats), de plus ils devaient interroger les pairs formateurs sur leurs éventuelles incompréhensions. Les pairs formateurs, de leur côté, avaient eu pour consigne de contrôler l’atteinte des résultats associés aux suivis des règles précédemment enseignées et d’expliquer par des exemples dans le cas où les résultats attendus n’étaient pas encore obtenus par les pairs formés.
En ce qui concerne le premier emploi de la pratique spécifique « Les homophones ON et ONT », cela a été l’occasion pour le pair formé de se livrer à ses premières tentatives de suivi des règles enseignées par le pair formateur en restant proche des circonstances d’enseignement.
De même que lors de DF1, le pair formé s’est livré à ces suivis avec l’intention d’obtenir les résultats associés à des suivis corrects. Le pair formé a utilisé les mêmes supports pédagogiques que le pair formateur et a également travaillé avec ses élèves sur les homophones ON et ONT.
Le pair formé a filmé cette première mise en œuvre. Le contrôle de la mise en œuvre 1 entre le pair formé et le pair formateur s’est ensuite déroulé à partir de la captation effectuée par le pair formé. Lors de cet échange, le pair formateur a pu valider explicitement quelques suivis corrects de règles en montrant au pair formé les résultats obtenus sur la vidéo. Ce contrôle a également été l’occasion pour le pair formateur d’invalider les premiers suivis incorrects. Ces invalidations ont pris la forme de dialogue de formation. Lors de ces dialogues, le pair formé a pu justifier ses actions et interroger le pair formateur sur ses incompréhensions. De son côté, en se livrant à une activité d’explication ostensive, le pair formateur a pu lever les mésinterprétations du pair formé en montrant ou en décrivant les expériences associées aux règles enseignées et suivies incorrectement. Ce contrôle a permis au pair formé de s’engager de façon plus sûre dans un second emploi de la pratique enseignée.
3.3.4. Étape 4 : Mettre en œuvre une seconde fois et contrôler ce second emploi Suite à la troisième et dernière matinée de formation, les pairs formés ont pu effectuer un nouvel emploi de la pratique spécifique auprès de leurs élèves. Les pairs formés avaient eu pour consigne de s’éloigner s’ils le souhaitaient de la pratique spécifique enseignée par les pairs
formateurs (en ajustant la pratique « à leur main ») et de filmer eux-mêmes cette seconde mise en œuvre.
Les activités de contrôle du second emploi ont eu lieu au sein des établissements scolaires.
Les pairs formés ont montré leur second emploi de la pratique aux pairs formateurs, ont expliqué leurs actions et leurs attentes de résultats. Ils ont également interrogé les pairs formateurs sur leurs incompréhensions éventuelles. De leur côté, les pairs formateurs ont pu valider les suivis corrects de règles et se livrer à des explications ostensives quand cela était nécessaire suite à d’éventuelles mésinterprétations des règles de la part des pairs formés. Les pairs formateurs ont pu également découvrir des pratiques innovantes issues de l’interprétation des règles de leurs propres pratiques spécifiques.
En ce qui concerne la pratique spécifique « Les homophones ON et ONT », lors de ce second emploi le pair formé a proposé à ses élèves une séance d’orthographe intitulée « Les homophones ET / EST ». Cette dernière constituait une variante de la pratique spécifique enseignée par le pair formateur. De même que pour DF1, lors de ce second emploi, le pair formé s’est éloigné des circonstances d’enseignement et a adapté la pratique spécifique du pair formateur à sa propre pratique. Cette seconde mise en œuvre a été l’occasion pour le pair formé d’interpréter les règles apprises lors des deux étapes précédentes. Cette interprétation a abouti à la réalisation d’actions innovantes par rapport à la pratique enseignée. Le contrôle de la mise en œuvre 2 à partir de l’enregistrement effectué par le pair formé a eu lieu à l’établissement scolaire où exerçaient les deux enseignants. Ce moment a permis au pair formateur de valider des suivis corrects de règles, de se livrer à une activité d’explication ostensive supplémentaire quant aux mésinterprétations des règles, mais aussi de découvrir une variante de sa propre pratique. De son côté le pair formé a pu justifier les actions jugées non conformes par le pair formateur, interroger ce dernier sur ses incompréhensions et montrer à son collègue de nouveaux résultats associés à de nouveaux suivis de règles. Lors de ce second contrôle, le rapport entre les deux enseignants a été moins asymétrique permettant alors au pair formateur d’entrer dans un développement réflexif de sa propre pratique.