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Concevoir l’immanence du sujet aux par les expériences du langage langage

Les principaux postulats théoriques

1. Concevoir l’immanence du sujet aux par les expériences du langage langage

1.1. L’expérience et les jeux de langage

L’individu devient sujet par le langage considéré comme un ensemble de signes principalement vocaux, graphiques et gestuels dotés d’une syntaxe et d’une sémantique (Chaliès, 2012) permettant l’intelligibilité même des faits et des pratiques d’une communauté linguistique, inscrits dans un jeu de langage donné. C’est par le truchement des relations avec les membres d’une communauté linguistique donnée que l’individu peut se percevoir en tant que sujet et, (partiellement ou intégralement), membre de cette communauté. En tant que sujet, tout enseignant expérimenté s’est édifié par les différentes formes langagières (verbales, corporelles) constitutives de sa communauté linguistique. Son identité professionnelle, sa pratique sont le fait de formes langagières partagées et publiques (Bertone, 2011). Inspirée d’une conception psychologique historico culturelle, cette conception du sujet social est à la fois proche de l’idée selon laquelle la pensée est possible et se réalise de façon dialogique par le langage (Vygotski, 1985) et du postulat selon lequel le sujet se construit et se développe au gré de ses activités (Leontiev, 1974). Au-delà de ces avancées théoriques, nous retenons de l’approche anthropo-culturaliste, que le langage est avant tout « arbitraire » (et seulement secondairement conventionnel) et fonde la signification même de toute réalité sociale (Searle, 1998), dont celle du sujet comme représentant d’une communauté institutionnelle. En cela, le langage est à la base de la subjectivité, de la pensée des sujets professionnels et ne constitue pas simplement un moyen d’exprimer ou d’expliquer son vécu : « ce n’est pas parce que chacun d’entre nous a une vie intérieure que nous avons pu apprendre à parler, mais parce que nous avons appris à parler que nous avons une vie intérieure » (Pouivet, 1997, p. 47). Cette conception du langage comme source de la pensée amène à exclure l’idée d’un langage privé qui serait antérieur à tout code de signification sociale et compréhensible uniquement par le sujet pensant. En effet, il n’existe pas de langage en l’absence de règles qui le gouvernent (règles dont les critères de correction sont publics (Ricoeur, 1986)). Sans ces règles de syntaxe de

2011 ; Wittgenstein, § 261, 2004). Au sein d’une communauté linguistique, la pratique individuelle est par conséquent directement intelligible par les autres membres familiarisés de la communauté (Ogien, 2007) ayant appris et se développant au sein du même jeu de langage.

La pratique de tout enseignant expérimenté mobilise donc un langage acquis, ou potentiellement accessible aux autres enseignants de sa communauté. Ce caractère public de la pensée n’exclut pas l’autorité de la « première personne » dans la description correcte de ce qu’elle vit et fait (Pouivet, 1997), mais ne positionne pas pour autant le sujet comme étant le seul (ou le mieux placé) pour produire cette description. Sa description est en effet le résultat d’une appréhension de sa propre expérience sur la base des règles collectives qui permettent à tout autre membre familiarisé d’en faire autant. On reprendra à notre compte ici les concepts de « directéité » d’accès à la signification de l’expérience et « d’appréhension de l’inhérence » des règles à cette dernière, par les membres de la communauté (Ogien, 2007). L’autorité du sujet tient alors non pas dans la possibilité qu’il a d’établir et formuler des significations inédites ou inaccessibles à un observateur, mais dans la possibilité de lever des malentendus au regard de l’interprétation, toujours possible, de la syntaxe de son action et des circonstances de sa réalisation. Néanmoins, si la signification de l’expérience est bien consubstantielle aux règles et jeux de langage joués par les membres de la communauté professionnelle, le sujet et les conditions de développement de son activité ne s’épuisent pas dans ces jeux de langage.

1.2. Sujets et développement des formes de vie

L’apprentissage de ce langage arbitraire par un sujet humain table sur des invariants minimaux propres à l’espèce humaine et ne serait pas possible sans l’existence d’une somme de capacités anthropologiques prérequises. Elles correspondent à « un réseau ramifié de régularités dans la nature et le comportement humain » (Chauviré, 2002 ; de Lara, 2005). Ces capacités anthropologiques peuvent être de différentes sortes. Un enseignant expérimenté pourra par exemple imiter la pratique d’un pair en saisissant ou non l’intention. Il s’agit ici d’une capacité au mimétisme qui renvoie aux propriétés d’imitation plus ou moins élaborées et communes aux primates supérieurs, dont fait partie l’homme. Une autre capacité anthropologique majeure est celle à signifier des airs de famille entre des expériences vécues (Wittgenstein, 2004). Signalée depuis longtemps par les neurosciences et les sciences cognitives comme une étonnante capacité du système nerveux à identifier des régularités, tout être humain dispose de la possibilité à anticiper et évaluer les circonstances de son action sur la base d’expériences passées analogues ou typiques (Varela Thompson et Rosch, 1993), mobilisées comme des archétypes pour juger, interpréter et s’engager dans une situation

signifiante. C’est par cette capacité qu’un enseignant expérimenté pourra notamment rapprocher la pratique d’un pair de sa propre pratique et ainsi se lancer dans des tentatives d’imitation ou de suivi. De façon générale, tout apprentissage s’appuie sur des « réactions normales » de l’apprenti qui lui permettent d’imiter et de réagir de façon appropriée à une instruction (de Lara, 2005). Ceci suppose un socle de capacités anthropologiques universel.

C’est sur la base de ce socle que l’individu va pouvoir apprendre des capacités normatives de nature culturelle lui permettant ainsi de suivre les règles, de devenir sujet d’une communauté linguistique donnée. Passées presque sous silence dans l’approche wittgensteinienne du langage, ces capacités anthropologiques sont cependant reconnues comme un soubassement indispensable et une condition de possibilité de l’épanouissement de formes de vie au sein des jeux de langage humains. C’est sans doute ce que voulait signifier Wittgenstein lui-même dans le célèbre aphorisme selon lequel, si un lion pouvait parler, il ne nous comprendrait pas. Il suffit certes, selon Wittgenstein, de maîtriser des techniques pour comprendre un énoncé ou une pratique, mais à la seule condition de faire partie de la même forme de vie et de partager les capacités anthropologiques qui constituent la condition de possibilité de tout sujet humain. Être un enseignant, de ce point de vue, c’est alors tout autant maîtriser les techniques, les pratiques et le langage de l’enseignement et pouvoir se réaliser en tant qu’être vivant (forme de vie) au sein d’un jeu de langage. Rapportée à la question de la formation des enseignants, la question du développement d’une « forme de vie enseignante » prend une signification spécifique.

Comme le signale Chaliès (2012), le processus de subjectivation dans la formation des enseignants comporte en effet deux temps. Un temps d’assujettissement du novice aux règles de la communauté professionnelle, pendant lequel il est proprement « dressé » à l’usage des concepts et règles spécifiques, et un temps de renormalisation de ces règles, pendant lequel il les « fait craquer » et les subordonne aux besoins de son activité située. C’est seulement à cette étape, lorsqu’il a pu « se mobiliser » subjectivement pour ajuster et subordonner à ses besoins les règles auxquelles il était un peu plus tôt assujetti, qu’il parvient à se développer et à s’émanciper du collectif. C’est de cette façon qu’il se construit comme « sujet social » et développe une forme de vie d’enseignant, à la fois ordinaire et unique.

2. Concevoir les connaissances ordinaires en termes de capacités

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