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Le contrôle et l’accompagnement des premiers suivis des règles

Une lecture singulière de la formation professionnelle

3. Le contrôle et l’accompagnement des premiers suivis des règles

Suite à l’activité d’enseignement ostensif, le pair formé s’engage dans les premiers suivis des règles enseignées. Le pair formé procède, au sein de sa classe, à une série de tentatives de réalisation de la pratique qui lui a été enseignée par le pair formateur. Il s’engage dans ces premiers suivis avec l’intention d’obtenir les résultats associés à un suivi correct des règles enseignées. En cela, l’activité du pair formé se distingue de celle d’un apprenti novice qui ne parvient pas à structurer des attentes en rapport avec les résultats usuellement attendus par le collectif en pareilles circonstances (Chaliès, Amathieu et Bertone, 2013) et agit, à ce stade, principalement pour satisfaire aux critères de correction de l’action prescrite par son tuteur. Ce faisant, les enseignants novices s’engagent dans les premiers suivis sous la « tutelle intentionnelle » (Berducci, 2004) des formateurs, ce n’est pas le cas pour les enseignants expérimentés. N’étant pas encore des « sujets » à part entière de la communauté linguistique des enseignants, ils ne sont pas encore en mesure de manifester une intentionnalité professionnelle à la fois autonome et conforme aux attentes du collectif professionnel de référence (Nelson, 2008 ; Williams, 1999). Dans le cas de la formation initiale, ce n’est que par le suivi conforme des règles enseignées par le formateur et par le constat récurrent des résultats attendus de ces suivis que les enseignants novices parviennent à associer consubstantiellement une intention aux actions qu’ils engagent (Chalies & Bertone, 2015), en d’autres termes qu’ils parviennent à devenir des sujets de la communauté.

Les enseignants expérimentés sont eux, déjà, des sujets de la communauté de pratique.

La question du suivi correct des règles et de l’énonciation de l’intention ne se pose donc pas en rapport avec la communauté linguistique dans sa globalité, mais plus finement à l’échelon des jeux de langage.

La conceptualisation de la pratique professionnelle proposée dans cette thèse permet de percevoir la pratique comme un ensemble de jeux de langage. Ces jeux de langage sont des systèmes de règles. Plus subtilement, il est possible d’avancer que ces systèmes de règles se composent de règles constitutives et de règles normatives (Searle, 1998). Les règles constitutives sont arbitraires et définissent de nouvelles formes de comportement (Searle, 1972), elles ne tolèrent aucune marge de manœuvre et permettent l’émergence de la réalité sociale. C’est un agencement de certaines règles constitutives puisées dans la communauté professionnelle qui permet l’émergence de la pratique spécifique du pair formateur. Les règles normatives gouvernent quant à elles des formes de comportement pré-existantes (Searle, 1972),

elles préordonnent les actions, mais ne les déterminent pas. Ce sont les règles normatives qui font l’objet d’interprétations successives et qui tolèrent « un certain jeu dans les pratiques » (Chauviré, 2002, p. 32). À titre d’exemple, dans l’une des pratiques spécifiques présentées dans cette thèse, le pair formateur suit la règle constitutive selon laquelle il faut « chanter pour obtenir l’attention des élèves ». Si l’action de chanter est constitutive de la pratique spécifique, le contenu du chant est lui par exemple gouverné par une règle normative. Le pair formé devra chanter, mais il pourra néanmoins utiliser les paroles et la mélodie de son choix. Il apparaît ainsi que le pair formé, même en étant déjà sujet de la communauté, doit se soumettre au suivi des règles constitutives de la pratique du pair formateur dans l’optique d’apprendre cette pratique. L’apprentissage de ces règles pourra être considéré comme achevé lorsque le pair formé non seulement agira conformément aux attentes du pair formateur, mais qu’en plus il sera en mesure d’énoncer l’intention (en termes de résultats attendus) qui doit être associée au suivi correct des règles enseignées.

C’est en ce sens que le pair formateur se livre à une activité de contrôle (Nelson, 2008) de la conformité des premiers suivis des règles constitutives par le pair formé. Dans le protocole prévu, le pair formé est amené à filmer sa pratique puis à montrer la vidéo de cette première tentative de suivi, au pair formateur. L’activité de contrôle permet au pair formateur de valider les suivis corrects, mais aussi de lever les incompréhensions ou les mésinterprétations dans le cas de suivis erronés des règles enseignées. Dans ce cas, le pair formateur se livre à une activité

« d’explication ostensive » (Wittgenstein, 2004). L’activité d’explication ostensive correspond à un dialogue de formation lors duquel le pair formé justifie ses actions en énonçant les raisons pratiques qui lui ont été enseignées ou interroge le pair formateur sur ses incompréhensions. De son côté le pair formateur multiplie les exemples d’expériences associées aux règles enseignées (en montrant et/ou en décrivant). L’activité d’explication ostensive permet théoriquement de lever les incompréhensions et de dissiper les malentendus issus de l’enseignement ostensif.

Enfin, afin de favoriser l’obtention des résultats attendus suite au suivi correct des règles enseignées, le pair formateur accompagne le pair formé dans ses premières tentatives. Au sein de l’établissement scolaire, entre enseignants expérimentés, cet accompagnement se caractérise par les activités d’apprentissage informel collaboratif. En effet, le pair formateur peut préparer la séquence pédagogique avec le pair formé, il peut prêter ou donner du matériel pédagogique au pair formé, il peut soutenir le pair formé dans ses premières tentatives éventuellement infructueuses… En agissant ainsi le pair formateur augmente les chances du pair formé de constater les résultats liés aux suivis corrects des règles et donc d’apprendre ces règles.

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