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2. 2ème partie : décisions et organisations

2.1 LES FONDAMENTAUX

2.2.2 Influence du contexte

Le processus décisionnel s'inscrit dans un double contexte: le contexte interne de l'organisation, qui doit être pris en compte pour évaluer les "aspects organisationnels de l’investissement", selon la formule de Desreumaux et Romelaer (2001, p. 88), et le contexte plus vaste de l'environnement externe. Ces différents aspects doivent être pris en considération lors de l'étude des décisions organisationnelles.

L’influence du monde extérieur sur les organisations est un objet de débat depuis longtemps au sein des chercheurs. Les théories des organisations lui attribuent un rôle plus ou moins important en matière de structure et de performances des organisations138. L'explication la plus déterministe est celle du courant de la contingence, d'après lequel la structure est déterminée par des variables exogènes, ou facteurs de contingence, qui exercent leur influence sans qu’il y ait possibilité de libre arbitre de la part des dirigeants.

Les facteurs de contingence principaux sont l’histoire et l’origine de l’entreprise, sa taille, la propriété et le mode de contrôle, le type de technologie (plus ou moins automatisée) lié à l’activité, la dépendance vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs ou du groupe dont elle fait partie, la dispersion géographique et la stabilité/instabilité de l’environnement.

Cette approche rejoint celle du management stratégique des années 80 et de l’économie industrielle, qui mettent l’accent sur l'importance des facteurs contextuels externes:

Michael Porter, chef de file de ces courants, attribue la primauté à l’environnement pour

138" Une conception convaincante du concept de structure est celle de Mintzberg (1982). Il la définit comme

« la somme totale des moyens utilisés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour assurer la coordination nécessaire entre les tâches." Livian, 2005, p. 55. Ces moyens peuvent être formels (définition de postes, organigrammes, procédures) ou informels (interactions quotidiennes, compétences, affinités, appartenances culturelles).

façonner de façon déterministe l’organisation (par exemple les économies d’échelle, indispensables dans certaines industries, déterminent des entreprises de grande taille) et en déterminer les performances. Cette vision déterministe du contexte sur les structures et les performances des entreprises a été contestée pour différentes raisons : les frontières entre l’interne et l’externe ne sont pas toujours clairement définies, l’adaptation à l’environnement n’est pas automatique et, comme nous le verrons bientôt, selon la perspective cognitiviste "subjective" ou constructiviste, l’environnement n’est pas une donnée car il est partiellement construit par les représentations, les actions et les décisions des acteurs eux-mêmes (Weick, 1969). D'ailleurs, l’organisation peut elle-même agir sur son environnement (par exemple en faisant du lobbying auprès du législateur). Dans le domaine de la stratégie, l'approche basée sur les ressources (Resource Based View), considère que la performance des entreprises ne provient pas des conditions de l'environnement mais d'une combinaison particulière d’aptitudes, ce qui permet d'expliquer les différences de performance entre entreprises similaires de même secteur d’activité. Enfin, ce qui manque à l’analyse contingente, ce sont les acteurs qui en sont complètement absents.

Plusieurs chercheurs ont étudié l'influence du contexte sur les décisions organisationnelles. L'approche contextualiste, apparue à la fin des années 1980, dont le chef de file est le sociologue Andrew Pettigrew, en a fait le centre de son objet d'analyse, en proposant un cadre théorique qui part du contexte (interne et externe) et en étudie les interrelations avec les processus organisationnels, en particulier le processus de changement (Livian, 2005, p. 70). Selon l'approche contextualiste, le contexte comprend trois dimensions : le contexte interne qui inclut les ressources humaines, les structures administratives, les technologies employées, les produits ou services proposés par l'organisation dans le cadre de son métier, et finalement la culture; le contexte externe qui comprend les demandes des clients, les mouvements des concurrents et les conditions économiques, légales, sociétales, à l’origine de menaces et d’opportunités auxquelles il faudra répondre (tels que, par exemple, un changement de préférences des consommateurs) ; et le contexte historique, car les événements passés et présents conditionnent les modes de pensée et d’agir des acteurs; les jeux politiques contribuent à façonner la perception de l'environnement des acteurs et influencent les décisions prises.

S'intéressant plus particulièrement au processus d’investissement, Bower (1970, p. 71) choisit la définition suivante du contexte organisationnel : "context has been defined as the set of organizational forces that influence the processes of definition and impetus (the two sub-processes composing the investment process)". Il distingue le contexte structurel et le contexte situationnel. Le contexte structurel comprend l'organisation formelle des différentes fonctions et postes, le système d'information et de contrôle employé pour mesurer les performances de l'entreprise et des managers, et le système de gratifications destine à les récompenser; le contexte situationnel comprend les facteurs d'une nature plus personnelle et historique. Langley et al. (1995) incluent dans le contexte interne les collaborateurs, structures, stratégies, culture et traditions organisationnelles.

La notion de contexte fait donc référence aux composantes d'une organisation qui exercent une influence sur les processus organisationnels (d'investissement, de changement, etc.), dont la description et le classement peuvent varier légèrement d'un chercheur à l'autre.

L’influence du contexte organisationnel sur le processus d’investissement est perceptible de multiples façons : les règles budgétaires entraînent l’élimination automatique de certains projets dont la rentabilité ne correspond pas au seuil défini ; différentes études mettent en lumière le lien entre la structure de l’organisation et le mode de gestion des investissements (Desreumaux et Romelaer, 2001, p. 95 et ss, Segelod, 1995), l’influence de la taille et de la dispersion géographique (DeCanio, 1998), la culture de l’organisation (Pezet, 2002). Citons en outre l’influence sur l’investissement du climat financier existant dans l’entreprise (Marsh et al., 1988, cités par Desreumaux et Romelaer, 2001) et le type d’actionnariat. Le processus d’investissement est aussi lié à l’apprentissage organisationnel, qui est à la fois une ressource (portefeuille de solutions latentes) et un produit de l’investissement (Desreumaux et Romelaer, 2001, notes p. 106).

Gérer l’investissement, implique donc aussi d’agir aussi sur les mécanismes qui produisent et entourent les projets, pendant toute leur durée, puisque l’entreprise continue à vivre pendant le processus de décision (idem, p. 89).

L'accent mis sur le contexte conduit aussi à mettre en lumière la dimension humaine du processus décisionnel: les actions conduites au cours du processus de

décision sont accomplies par des personnes, qui appartiennent à différentes parties de l’entreprise, qui ont chacune leurs compétences et leur logique propre, et ne sont qu'imparfaitement reliées par des mécanismes organisationnels. Une autre dimension de la décision, complètement absente du modèle séquentiel classique de la décision, et même du modèle de Mintzberg, Raisinghani et Theoret (1976), s'est donc imposée dans les dernières décennies, en même temps que le contexte, comme un thème de recherche important : la dimension des acteurs de l'organisation, qu'ils soient associés de près ou de loin au processus décisionnel, du pouvoir dont ils disposent, et de leur personnalité.