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1.2 L ’ EFFICACITE ENERGETIQUE

De l'énergie primaire jusqu'à l'énergie utile, différentes opérations de transformation, de transport et de conversion ont lieu. A chacune de ces étapes, un certain pourcentage d'énergie est perdu. Car, tout au long de la chaîne de transformation et d’utilisation de l’énergie, du côté de l’offre comme du côté de la demande, divers procédés, appareils ou équipements peuvent être utilisés. Ces technologies peuvent être plus ou moins efficaces, avec un rendement énergétique plus ou moins élevé. L’efficacité énergétique exprime ces différences de performance. Elle est le ratio entre l'output énergétique d'un process ou d'un système et l'input énergétique, ou entre un service énergétique et l'énergie utile30.

Les services énergétiques sont le produit d’une association entre un appareil (device or appliance) et une forme d’énergie. L'éclairage est ainsi le résultat de l’association entre un appareil d'éclairage et de l’électricité, la mobilité est le résultat de l’association entre un véhicule équipé d’un moteur et un carburant, etc. Ces appareils peuvent être plus ou moins efficaces, ou autrement dit consommateurs de plus ou moins d’énergie pour produire le même service énergétique. La différence d’efficacité énergétique entre différents appareils peut être très élevée. Une efficacité supérieure se traduit généralement par une réduction de leur coût d’utilisation (qui dépend en grande partie de leur consommation énergétique).

30 Energy efficiency is the "ratio of the energy output of a conversion process or a system to its energy input or of an energy-serve to its useful energy input" (Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 60). Useful Energy is

"the energy use related to all energy losses incurred by end-uses (heated rooms, moving vehicles) to dissipate heat at ambient temperature" (idem, p. 61).

“The most environmentally sound, inexpensive and reliable power plant is the one we don’t have to build because we’ve helped our customers save energy.

… Energy efficiency is the ‘fifth fuel’ — after coal, gas, renewables and nuclear. Today, it is the lowest-cost alternative and is emissions-free. It should be our first choice in meeting our growing demand for electricity, as well as in solving the climate challenge.”

Jim Rogers, chairman and chief executive of Duke Energy, USA (in Thomas, Friedman, “Go Green and Save Money”, The New York Times, 21 août 2007)

Le système énergétique mondial est très peu efficace: "Today, more than 400,000 PJ31 per year of global primary energy demand deliver almost 300,000 PJ of final energy to customers, resulting in an estimated 150,000 PJ of useful energy after conversion in end-use devices. Thus, 250,000 PJ or two thirds of primary energy demand are presently lost in energy conversion, mostly as low- and medium-temperature heat" (Jochem Ed., Novatlantis, 2004, p. 11). En Suisse les pertes du système électrique sont moins élevées qu'au plan mondial en raison de l'importance de l'hydroélectricité dans le mix énergétique (env. 55%), dont l'efficacité de transformation est bien meilleure que celle des centrales thermiques; cependant cet avantage est presque totalement gommé par les pertes importantes liées à la conversion de l'énergie finale en énergie utile dans les véhicules de transport (efficacité de conversion de 20% seulement, avec 80% de pertes sous forme de chaleur). Au total, les pertes liées à la transformation de l'énergie primaire en énergie finale (env. 24%), au transport vers le lieu de consommation (env. 1,9%), et à la conversion de l'énergie finale en énergie utile (37,2%) s'élèvent à 62,9% (idem). Le diagramme ci-dessous représente les flux d'énergie en Suisse en 2001, entre énergie primaire et services énergétiques, en passant par l'énergie finale et l'énergie utile.

Figure 16 - Jochem Ed. (2004, p. 11). Le système énergétique des services à l'énergie utile, finale et primaire en Suisse, 2001.

31 Le PJ = Petajoule = unité de mesure d'énergie du système international valant 1015 joules.

Le mode de génération centralisée d’électricité au moyen de centrales thermiques, qui domine au niveau mondial à l’heure actuelle est encore moins efficace, comme le montre le schéma ci-dessous de Cogen32, basé sur les chiffres de l’Agence Internationale de l’Energie (Cogen, 2003).

Figure 17 – Source : Cogen, Conférence annuelle (2003)

Le schéma montre qu’environ les deux tiers de l’énergie sont perdus (représentés par les sections rouges du schéma). La plus grosse partie est perdue sous forme de chaleur au moment de la transformation des différentes formes d’énergie primaire (représentées en blanc sur le schéma) en électricité (en vert) dans les centrales thermiques. Par la suite une partie significative de l’électricité (env. 1%) est perdue lors de son transport vers l'usager final sur les réseaux de transmission et de distribution. Le

32 European Trade Association for the Promotion of Cogeneration, http://www.cogeneurope.eu/

schéma ci-dessus n'indique pas les pertes de conversion de l'énergie finale en énergie utile.

En Europe, la libéralisation des marchés de l’électricité, initiée par l’Union européenne en 1997, ainsi qu'une législation plus contraignante sur les émissions de carbone a entraîné une amélioration de l’efficacité énergétique dans le secteur de l’offre (en raison d'une pression vers une réduction de l'énergie primaire utilisée pour la génération d'électricité, pour réduire les coûts de production et/ou pour réduire les émissions de CO2) mais des améliorations importantes sont encore possibles, soit en développant des technologies de transformation plus efficaces dans les centrales traditionnelles, soit en adoptant des techniques de production décentralisée.

Du côté de la demande d'énergie, un potentiel important d'efficacité existe aussi.

De nombreuses solutions sont disponibles pour réduire les pertes au niveau de l'énergie utile : immeubles à basse consommation, véhicules plus légers, ré-utilisation de la chaleur perdue. On peut aussi développer des matériaux moins intensifs en énergie, ou moins consommateurs, ou modifier leurs conditions d'utilisation (telle la formule du car-sharing)33.

Mais des progrès considérables ont déjà été réalisés. Le tableau ci-dessous en donne un exemple, celui de l’amélioration remarquable de l’efficacité énergétique (et des besoins en eau) des lave-linges en Europe depuis 30 ans, ainsi que des économies financières associées :

Figure 18 - Ceced (2006, p. 21) Energy-Efficiency, A shortcut to Kyoto Targets.

33 Jochem Editor, Novatlantis, 2004, p. 12.

On peut également mesurer l’efficacité énergétique d’un immeuble, calculée au moyen d’une unité de mesure unique (le mégajoule Mj) qui traduit et comptabilise les consommations de toutes les formes d’énergies par m2 (square foot ft2 dans les pays anglo-saxons). Là aussi les différences d’efficacité sont frappantes, comme l’illustre le schéma suivant qui montre les consommations standard des immeubles d’habitation suisses répartis en quatre catégories: immeubles existants, immeubles neufs construits selon la dernière réglementation en vigueur en Suisse (SIA380/1) et deux formules d'immeubles à basse consommation (Minergie et maison passive). On voit que la consommation cumulée de l'énergie primaire utilisée pour le chauffage, la production d'eau chaude et l'électricité, varie du simple (environ 400 mégajoules par m2) au triple (1.300 mégajoules par m2) entre les bâtiments basse consommation et les bâtiments existants. Il faut noter aussi que la consommation cumulée d'énergie est divisée par deux entre les bâtiments existants et les nouveaux bâtiments construits selon la législation SIA380/1.

Figure 19 - Primary energy consumption of typical Swiss multi-family houses (Novatlantis – 2000 Watt Society)

L’importance de l’efficacité énergétique est évidente aussi dans le tableau ci-dessous, qui montre la progression de la consommation des différentes sources d’énergies primaires en Europe (25 Etats) depuis 1971 et la consommation évitée grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique. Sans cette amélioration, la consommation en 2004 aurait été supérieure de 60% environ. Le tableau ci-dessous "montre qu'en 2005 les

"Négajoules" (ou la consommation énergétique évitée du fait des économies) sont devenues la plus importante ressource énergétique" (Commission des communautés européennes, 2006c, p. 5).

Figure 20 - Evolution de la demande d'énergie primaire et des "négajoules" (= économies

d'énergie calculées d'après l'intensité énergétique en 1971) (Commission européenne, 2006c, p. 5)

L’efficacité énergétique est source de conséquences favorables pour tous les acteurs de la société : une utilisation plus efficace de l’énergie constitue une solution aux trois problématiques de l’énergie. Pour les administrations publiques, les entreprises et les ménages une utilisation plus efficace de l’énergie se traduit par des économies d’énergies et donc par des coûts en baisse. En outre des bénéfices indirects peuvent être liés à une meilleure efficacité énergétique, tels que, par exemple, une amélioration du confort thermique, du confort visuel, et de la qualité de l'air, qui se traduisent par un absentéisme en baisse et donc une rentabilité en hausse dans les entreprises et un chiffre d’affaires en hausse dans les surfaces commerciales : “There is a growing recognition of the large health and productivity costs imposed by poor indoor environmental quality (IEQ) in commercial buildings – estimated variously at up to hundreds of billions of dollars per year. This is not surprising as people spend 90% of their time indoors, and the concentration of pollutants indoors is typically higher than outdoors, sometimes by as much as 10 or even 100 times … The costs of poor indoor environmental and air quality

– including higher absenteeism and increased respiratory ailments, allergies and asthma – are hard to measure and have generally been “hidden” in sick days, lower productivity, unemployment insurance and medical costs.” (Kats, Alevantis, Berman, Mills, Perlman, 2003, p. 55-56). Quel est le potentiel d'amélioration de l'efficacité énergétique? La réponse à cette question a fait - et fait encore – couler beaucoup d'encre.

1.2.1 "Energy efficiency gap": un sujet controversé

L’importance de l’efficacité énergétique en matière de politique énergétique a été soulignée pour la première fois par Amory Lovins en 1976, dans un article devenu célèbre "Energy Strategy : the Road not Taken " (Lovins, 1976). Dans cet article, Amory Lovins fait le constat d’une utilisation inefficace des ressources énergétiques, qui se traduit par un déficit d’efficacité ("efficiency gap").

De fait, de nombreux témoignages semblent confirmer l’existence d’un potentiel inexploité considérable d’efficacité énergétique. En voici quelques exemples:

“The potential magnitude of energy-efficiency savings in the electric sector are reported to be enormous: According to a recent EPRI study, assuming a 100% penetration of the most efficient end-use technologies could reduce US energy consumption in the year 2000 anywhere from 24% to 44%. … Lovins claims that at least 75% of current US electricity-use can be saved with sate-of –the-art technology – and at economical cost” (Sioshansi, 1991, p. 231).

"Les Européens doivent apprendre à économiser l’énergie. L’Europe gaspille au moins 20% de l’énergie qu’elle consomme. En économisant de l’énergie, l’Europe contribuera à résoudre les problèmes liés au changement climatique, ainsi qu’à sa consommation croissante et à sa dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles importés de pays tiers … L’efficacité énergétique est cruciale pour l’Europe: si nous agissons maintenant, le coût direct de notre consommation d’énergie pourrait être réduit de plus de 100 milliards d’euros par an d’ici à 2020 ; nos émissions de CO2 diminueront du même coup d’environ 780 millions de tonnes par an."

Andris Piebalgs, Commissaire européen en charge de l'énergie, Commission européenne, "Économiser 20% d’ici à 2020: la Commission dévoile son plan d’action pour l’efficacité énergétique", communiqué de presse IP/06/1434, 19/10/2006.

“…it was estimated that, if actual energy services needs in 1978 had been met with the least-cost mix of energy supply and demand technologies, the country [USA] would have used 48% less energy than was actually used in that year”

(Robinson, 1991, p. 33).

“Good practice energy consumption [is] normally in the range of 30% to 50%

below average values. To achieve such reductions of around half to a third of the energy consumption, organisations were expected to use technology that was commonly available and not necessarily the very latest and therefore unproven technology.” (Rigby, 2002, p. 11).

• "L’Agence suisse pour l’efficacité énergétique [S.A.F.E.] vient d’achever une étude sur la consommation d’électricité de 1500 ménages suisses. Le résultat est impressionnant: les ménages pourraient baisser de 40% en moyenne leur consommation de courant électrique … " (S.A.F.E, 2005, p. 1).

Le secteur des bâtiments, qu’ils soient à usage d'habitation ou à usage professionnel (administratif ou commercial), présente un potentiel d’économies d’énergie très élevé:

• "C’est par des travaux simples sur les installations techniques du bâtiment que se réalisent souvent les plus grandes économies soit, réglage des horloges et consignes des températures. Certaines méthodes de gestion ou d’optimisation des consommations en énergie … ne nécessitent pas d’investissement majeur.

L’expérience montre que ces mesures peuvent offrir des gains pouvant aller de 15 % sur le thermique et de 20% pour l’électricité et environ 25% pour l’eau sanitaire." Audit énergétique SIG (Services Industriels de Genève).

• "Il existe d’énormes différences de consommation d’énergie selon les bâtiments. Alors que certains bâtiments neufs se contentent de moins de 3 à 5 litres de fioul (ou équivalent) par mètre carré par an, les bâtiments existants consomment en moyenne environ 25 litres par mètre carré, cette valeur pouvant même atteindre 60 litres par mètre carré. Les matériaux de construction et les techniques d’installation actuelles permettent d’améliorer considérablement les performances énergétiques d’un bâtiment, réduisant

ainsi sa consommation d’énergie et produisant un bénéfice net, les économies annuelles réalisées dépassant le coût annuel du capital investi." (Commission des communautés européennes, 2008)

Figure 21 - EU Directorate General for Energy and Transport (2001), Improving the energy efficiency of buildings Short presentation of the Commission's proposal for a Directive.

Avril 2001, slide 11/12, http://euroace.org/comdocs/OP_010401.pdf

Le diagramme ci-dessus illustre, à titre d'exemple, la réduction de la consommation d'énergie de chauffage qui serait réalisée si les bâtiments européens (UE 15) appliquaient la législation danoise en matière de construction. L'objectif de la Directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments34 est d'activer le potentiel d'économies d'énergie des bâtiments européens35 (qui est estimé pour 2010 à 20% de leur consommation de 2006 par la Commission européenne36). Atteindre cet objectif permettrait de réduire la consommation d'énergie totale de l'UE de 5 à 6% en 2020 (ce qui correspond à la consommation cumulée actuelle de la Belgique et de la Roumanie) et ses émissions de CO2 de 5% (Commission des communautés européennes, 2008).

Même l’industrie présente un potentiel d’économies d’énergie impressionnant, comme le montre une étude récente de l’Agence Internationale de l’Energie :

34 Directive 2002/91/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002 sur la performance énergétique des bâtiments.

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2003:001:0065:0071:FR:PDF

35 Qui sont responsables de 40% de la consommation d'énergie et de 36% des émissions de CO2 en Europe, http://ec.europa.eu/energy/efficiency/buildings/buildings_en.htm

36 "Bien que l'efficacité énergétique se soit considérablement améliorée au cours des dernières années, il est encore possible, économiquement et techniquement, d'économiser au moins 20% de l'énergie primaire totale d'ici à 2020". (Commission des communautés européennes, 2006c, p. 5).

“… manufacturing industry can improve its energy efficiency by an impressive 18 to 26%, while reducing the sector’s CO2 emissions by 19 to 32%, based on proven technology” (IEA, 2007, p. 23). Cette conclusion de l’IEA est d’autant plus frappante qu’elle concerne des industries intensives en énergie: aluminium, fer et métaux, chimie et pétrochimie, ciment, papier et pulpe de papier.

Beaucoup d'autres chiffres décrivant le potentiel d'efficacité énergétique dans les différents secteurs de consommation d'énergie auraient pu être cités. Cependant, une distinction importante doit être faite entre le potentiel technique d’efficacité énergétique37, qui ne prend en compte que la performance de la technologie utilisée sans considération de coût, et le potentiel économique, qui prend en compte également la rentabilité de l’investissement nécessaire pour mettre en place des technologies plus efficaces. Le potentiel économique peut donc être défini comme “the difference between levels of investment in energy efficiency that appear to be cost effective based on engineering-economic analysis and the (lower) levels actually occurring (Solar Energy Research Institute, 1981, cité par Golove et Eto, 1996, p. 6).

Pour certains, en majorité économistes, le potentiel d’efficacité énergétique n’est que technique. Pour les autres, en majorité ingénieurs, le potentiel est aussi économique, ce qui signifie que des investissements rentables sont délaissés par les investisseurs potentiels, provoquant une situation de sous-investissement. Au niveau des entreprises, cette situation de non investissement dans des solutions techniquement plus efficaces et économiquement rentables a été qualifiée par l'économiste américain Stephen DeCanio de paradoxe de l’efficacité, “because it represents a case in which business firms, which are often presumed (or taken axiomatically) to be economically efficient, make decisions that do not maximize profits” (DeCanio, 1993, p. 441).

Ces positions contrastées sont à l’origine d’un débat qui dure maintenant depuis un quart de siècle sans qu’un des deux camps ait vraiment réussi à démontrer et à imposer son point de vue. Car ce débat est sous-tendu par plusieurs questions délicates : qu’entend-on par rentabilité d’un investissement ? Quels sont les critères utilisés pour

37 “Where the same service would be provided using the best commercially available technology available at the time, regardless of the cost”, Janssen, 2004, p. 13

l’estimer ? Quelle est la latitude du décideur dans l’estimation des différents paramètres?

Quelle est l’influence du critère de la rentabilité de l’investissement sur la décision d’investir? Et, finalement, quels sont les enjeux qui se cachent à l’arrière plan du débat ?