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Quelques résultats d’optimisation obtenus sur 1-2 ans, sans investissement en capital, avec chiffre d’affaires croissant

1.4.1 Energie, métier, culture

L'examen de littérature sur les investissements en efficacité énergétique a mis en évidence l'influence de facteurs multiples sur la décision d'investir en efficacité énergétique : facteurs organisationnels, tels que la taille et la localisation géographique de l'entreprise, la performance financière, la structure, le système de gestion de l'énergie, la culture et les relations de pouvoir au sein de l'organisation; facteurs individuels, qui font référence à la conscience et à la connaissance des membres de l'entreprise en matière d'énergie, à la présence de gestionnaires spécialisés et à leurs compétences; facteurs externes, tel l'évolution des prix de l'énergie. Certains facteurs sont d'ordre structurel (par exemple une plus ou moins grande centralisation décisionnelle), d'autres facteurs sont d'ordre conjoncturel ou ponctuel (par exemple une modification de prix ou une rencontre

entre deux acteurs). Au total, la décision d'investir apparaît comme un phénomène complexe, résultat de l'interaction de nombreux facteurs à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation.

Au-delà de cette complexité, une certaine image de l'énergie dans les organisations se dessine au terme de cet examen de littérature: l'énergie apparaît comme un sujet secondaire et périphérique (Sorrel, 2000; Weber, 2000; Kulakowski, 1999;

Robinson, 1991; Cebon, 1992), qui n'est pas pris en considération dans la plupart des décisions organisationnelles relatives à de nouveaux matériels ou équipements, qui pourtant auront un impact sur sa consommation (Weber, 2000). Les investissements en efficacité énergétique semblent même soumis à un contrôle plus strict et à des exigences plus élevées que d'autres dépenses (Kulakowski, 1999). Souvent l'énergie n'est même pas gérée (Tunnessen, 2004). Quand un gestionnaire de l'énergie est présent dans l'organisation, il manque fréquemment de pouvoir en raison du caractère secondaire de sa mission (Cebon, 1992). D'ailleurs ce gestionnaire manque même parfois des compétences requises pour faire progresser l'efficacité énergétique dans l'organisation (Rigby, 1991).

Et, dans l'ensemble, il n'y a pas de temps pour l'énergie (Sorrel et al., 2000).

Au total, l'énergie et l'efficacité énergétique apparaissent comme des sujets négligeables, de peu d'importance, pour de nombreuses entreprises. Deux facteurs sont mentionnés à plusieurs reprises dans les travaux de recherche du domaine de l'énergie, pour expliquer cette situation: l'absence de contribution de l'énergie au métier de l'entreprise (core business) et la culture de l'organisation en matière d'énergie.

Le premier facteur qui ressort de la littérature comme expliquant la situation secondaire de l'énergie dans les entreprises, et comme exerçant une influence négative sur la décision d'investir en efficacité énergétique (voir p. 83 et ss. pour plus de détails), est le faible lien entre l'usage de l'énergie et le métier (Sardianou, 2007; Sandberg et Söderström, 2003; Harris et al., 2000; Sorrel, 2000; Velthuijsen, 1993; Weber, 2000;

Weber 1997). De Groot et al. (2000), dont les résultats seront confirmés par Sardianou (2007), montrent que l'existence d'autres investissements plus importants constitue la principale raison expliquant la non décision des investissements en efficacité énergétique:

bien que ces chercheurs ne précisent pas ce qu'ils entendent par "plus importants", on peut considérer que cette formule fait également référence au lien avec le métier. Parker

et al. (2000) montrent d'autre part que lorsqu'une entreprise considère un investissement en efficacité énergétique comme étant important pour son métier, elle peut exiger une rentabilité moins élevée. Quirion (2004) fait une constatation du même ordre lorsqu'il indique que la méthode du délai de récupération, qui implique une exigence de rentabilité élevée, est employée pour les investissements considérés comme faiblement ou moyennement importants (or cette méthode est généralement celle qui est appliquée pour les investissements en efficacité énergétique). Parker et al. (2000) et Quirion (2004) établissent donc un lien entre la contribution de l'investissement au métier de l’entreprise et le niveau de rentabilité requis par l'investisseur (plus importante la contribution de l’investissement au métier, plus basse l'exigence de rentabilité). Comme nous le verrons99, le lien avec le métier doit s’interpréter comme la dimension stratégique de l’investissement. Cependant cette relation n’est pas discutée par les chercheurs du domaine de l’énergie.

Le deuxième facteur mentionné comme jouant un rôle majeur dans la décision d’investir est l’importance de l’énergie dans la culture de l’organisation. Plusieurs auteurs soulignent que la culture de l’organisation est un facteur qui influence significativement les décisions d’investir en efficacité énergétique ou le niveau d’efficacité énergétique dans les organisations (Christoffersen, 2005; Sorrel, 2000; Kulakowski, 1999; Hennicke, 1998 ; Togeby, 1997; Cebon, 1992; Stern & Aronson, 1984). Or ces auteurs constatent que l'efficacité énergétique ne fait pas partie de la culture de nombreuses organisations, et ceci quel que soit le secteur d'activité, y compris dans des secteurs industriels intensifs en énergie (Tunnessen, 2004). Comme nous le verrons100, la culture des organisations en matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique, élément de la culture organisationnelle, peut être interprétée comme un filtre cognitif ou interprétatif qui influence la perception du caractère stratégique de l’investissement au début de processus décisionnel. Cependant la liaison avec le domaine de recherche du SID (Strategic Issue Diagnosis), qui étudie le rôle des filtres cognitifs sur l’interprétation des sujets décisionnels, n’est pas faite par les chercheurs du domaine de l’énergie.

99 Dans le chapitre "Décision stratégique et stratégie", voir p. 185 et ss.

100 Dans le capitre consacré à l’influence des filtres organisationnels sur le diagnostic des questions stratégiques. Voir p. 215 et ss.

Au terme de cette analyse des différents travaux dans le domaine de l'efficacité énergétique, plusieurs questions importantes apparaissent. Pourquoi l’énergie est-elle considérée comme un sujet périphérique et secondaire dans certaines entreprises mais pas dans d'autres du même secteur d'activité? Comment se fait-il qu’une ressource à ce point vitale qu'une rupture de son approvisionnement paralyse l’activité101, soit considérée avec une telle désinvolture par certaines entreprises ? Pourquoi la relation entre investissements en efficacité énergétique et métier est-elle importante au point d'empêcher certains investissements d'être décidés – même s'ils sont rentables – ou au point de réduire les exigences de rentabilité des entreprises (deux pratiques qui sont en contradiction avec la théorie financière, voir p. 50)? Curieusement, les différents auteurs qui font état de l'influence de ce lien sur la décision d'investir, ne cherchent pas non plus à répondre à ces questions, à analyser le lien lui-même et les modalités de son influence.

D'ailleurs la littérature sur les investissements en efficacité énergétique ne tente jamais non plus de définir la notion, pourtant complexe, de l'investissement. Enfin, quelle est la relation entre culture organisationnelle en matière d'énergie et investissement en efficacité énergétique? Les chercheurs qui ont remarqué l'importance de cette relation ne cherchent pas à l'expliciter.

La mise en évidence de la double influence sur la décision d'investir en efficacité énergétique du faible lien (perçu) de l'investissement avec le métier de l'entreprise d'une part et de la dimension culturelle de ces investissements d'autre part m'apparaît comme une conclusion importante de cet examen de la littérature. On peut s'étonner de l'absence de questionnement et d'analyse de la part des chercheurs du domaine de l'énergie à propos de ces deux facteurs qu'ils ont eux-mêmes identifiés comme jouant un rôle important. Ces lacunes définissent en tous cas les deux axes prioritaires que je m'efforcerai d'explorer102 dans la suite de ce travail : la relation entre la contribution de l'investissement au métier et

101 Une grande majorité d'entreprises, y compris dans le secteur secondaire, n’ont pas de système de secours pour faire face à une rupture d’approvisionnement électrique par exemple, sauf pour alimenter leur parc informatique.

102 Dans la recherche en management, explorer "consiste à découvrir ou approfondir une structure ou un fonctionnement pour servir deux grands objectifs: la recherche de l'explication (et de la prédiction) et la recherche d'une compréhension. Explorer répond à l'intention initiale du chercheur de proposer des résultats théoriques novateurs, c'est-à-dire de créer de nouvelles articulations théoriques entre des concepts et/ou d'intégrer de nouveaux concepts dans un champ théorique donné." (Thiétart et coll., 1999, p. 58)

la décision d'investir d'une part – autrement dit, l’influence de l’importance stratégique de ces investissements sur la décision d’investir, et la relation entre la culture de l’entreprise en matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique, élément de la culture de l'organisation, et la décision d'investir en efficacité énergétique d'autre part.

1.4.2 Influence partielle de l'information et des critères financiers Le cadre théorique économique qui a été décrit dans cette première partie et qui domine l'analyse des déterminants des investissements en efficacité énergétique, se compose en réalité de trois corps distincts, aux conclusions parfois contradictoires :

- l'approche "financière", selon laquelle les investissements en efficacité énergétique ne sont rentables qu'en apparence, en raison de coûts cachés, de coûts de transaction et d'un niveau élevé de risque qui placent leur rentabilité réelle en dessous du coût du capital de l'investisseur;

- l'approche économique néo-classique, d'après laquelle les barrières à l'efficacité énergétique doivent être considérées en réalité comme des défaillances de marché qui bloquent la formation ou la transmission des prix, en empêchant le comportement maximisateur des décideurs;

- l'approche économique élargie aux théories de l'agence et des coûts de transaction, qui adapte la notion d'échec du marché (market failure) à l'organisation (organizational failure). Selon cette troisième approche, les investissements en efficacité énergétique peuvent être rentables mais cela ne suffit pas pour qu'ils soient décidés. Ils sont bloqués par des problèmes d'information qui, associés aux limites cognitives des agents (rationalité limitée) et à leurs fortes tendances à l'opportunisme, empêchent les indications de prix de parvenir aux décideurs ou bien obligent les organisations à mettre en place des routines sub-optimales.

Ces trois approches s'accordent cependant pour considérer que les facteurs explicatifs les plus importants des investissements en efficacité énergétique sont, d'une part, les facteurs financiers - la rentabilité - et, d'autre part, l'information.

Notre examen de littérature montre que cette analyse n'est pas confirmée par les recherches empiriques. Nous avons vu que tous les travaux "alternatifs" à l'approche économique dominante sur les barrières à l'efficacité énergétique - et mêmes certains travaux du mainstream - montrent que des facteurs autres que financiers exercent une influence sur la décision : caractéristiques organisationnelles (en particulier l’importance de la culture de l’entreprise en matière d’usage de l’énergie et d’efficacité énergétique), facteurs extérieurs à l'organisation et, finalement, caractéristiques de l'investissement lui-même (en particulier son lien avec le core business). L'influence de ces différents éléments relativise ipso facto l'importance de la rentabilité de l'investissement. La rentabilité n'est pas le déterminant unique de la décision d'investir des entreprises. Elle n'est qu'un facteur décisionnel parmi d'autres.

Par conséquent, augmenter la quantité d'information – entendue par la perspective économique comme une information sur les avantages financiers de l'investissement - ne suffit pas à déclencher la décision. Ce qui explique les constatations de certains chercheurs sur le manque d'effet de l'information, mis en évidence par l'échec relatif des audits énergétiques.

Une autre conclusion importante qui émerge de cette revue de littérature est celle d'une insuffisance de la théorie économique pour décrire et expliquer les décisions d'investissements en efficacité énergétique. Cette conclusion confirme, en les complétant, les conclusions similaires de plusieurs auteurs (Payne, 2006; Weber, 2000 ; DeCanio, 1998; DeCanio et Watkins, 1998; DeCanio, 1993; Robinson, 1991; Cebon 1992; Stern et Aronson, 1984), conclusions parfois formulées dans des termes plus radicaux. Ainsi DeCanio et Watkins (1998, p. 6) parlent d'un "échec de la théorie d’investissement néo-classique"103, en fustigeant les économistes du courant dominant.