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Quelques résultats d’optimisation obtenus sur 1-2 ans, sans investissement en capital, avec chiffre d’affaires croissant

1.4.3 Quel cadre théorique?

L'examen de la littérature montre en premier lieu que la décision d'investir en efficacité énergétique est influencée par une multiplicité de facteurs organisationnels et individuels, ainsi que par les caractéristiques de l'investissement lui-même. Ces facteurs peuvent être internes ou externes, structurels ou conjoncturels. Deux facteurs semblent

103 “the failure of neoclassical investment theory”.

revêtir une importance particulière: d'une part le lien entre l'investissement en efficacité énergétique et le métier de l'entreprise, d'autre part le lien entre l’importance de l’énergie dans la culture de l'entreprise et l'investissement en efficacité énergétique. Deuxième constatation: la rentabilité n'est pas le déterminant unique, ni même principal, de la décision d'investir dans le domaine de l'efficacité énergétique (comme d'ailleurs, comme nous le verrons, dans les autres domaines).

L'analyse de la littérature met cependant en évidence le manque d'une alternative théorique qui puisse intégrer les différents facteurs influençant les décisions relatives aux investissements en efficacité énergétique et expliquer les modalités de leur influence, en prenant en compte les résultats des différentes recherches. Ce nouveau cadre théorique, qui permettrait en même temps de compenser les insuffisances explicatives de la théorie économique, est réclamé par certains chercheurs, tels que DeCanio et Watkins (1998), Sorel (2000), Weber (2000). D'autres chercheurs ébauchent des pistes de recherche mais sans, me semble-t-il, les approfondir suffisamment.

Cebon (1992), qui fait appel aux concepts de structure, culture et pouvoir pour modéliser les décisions de deux grandes universités américaines en matière d'énergie, semble être la seule véritable exception au cloisonnement entre le domaine de l'énergie et celui des organisations. Sorrel et al. (2000, p. 53) mentionnent l’utilisation possible de concepts des théories de l'organisation pour analyser les barrières organisationnelles à l'efficacité énergétique. Faisant référence aux "images de l'organisation" de Morgan (1985) pour démontrer le caractère "notoirement divers et éclectique" des théories de l'organisation, ils déplorent le peu d'études sur l'efficacité énergétique menées par les chercheurs se référant à ces théories. Ils déplorent aussi le fait que les chercheurs du domaine de l'énergie - contrairement à leurs collègues dans le domaine de l'environnement - ne soient pas allés emprunter des cadres d'analyse aux théories de l'organisation. Cependant leur analyse des possibilités conceptuelles offertes par le domaine des organisations reste superficielle. Weber (2000) insiste sur la nécessité de nouveaux développements théoriques, basés sur les théories de l'organisation pour expliquer les décisions des organisations en efficacité énergétique. Il remarque cependant qu'il était impossible d'utiliser les théories existantes pour sa recherche sur les décisions prises dans les immeubles de bureau car, bien qu'il existe une littérature importante sur la

décision dans les organisations, les théories descriptives sont rares, et celles qui existent sont difficiles à appliquer dans une recherche empirique (il cite en particulier le "modèle de la poubelle" de Cohen, March et Olsen, 1972) ou bien sont trop spécifiques.

Commentant les résultats de DeCanio et Watkins (1998a) sur l'influence des caractéristiques des entreprises sur les décisions d'investissement en efficacité énergétique, Haddad, Howarth et Paton (1998, pp. 35-36) explorent – assez brièvement – d'autres cadres théoriques qui permettraient une meilleure représentation du comportement des entreprises en matière d'investissements. Ils sont les seuls à établir une liaison entre efficacité énergétique et stratégie, en faisant référence à la perspective de la stratégie basée sur les ressources. Ils mentionnent les travaux de Penrose (1959), qui définit la firme comme un "ensemble de ressources" et font remarquer que l'adoption de technologies efficaces en énergie peut entraîner des conséquences sur quatre catégories de ressources au moins : les ressources physiques, humaines, organisationnelles et réputationnelle. Ils s'intéressent aussi aux travaux de Nelson (1994) qui définit la firme comme une combinaison de stratégie, structure et compétences de base, définition qui insiste sur l'importance de la culture de l'entreprise et des routines sur les décisions d'investissement (comme les théories de l'agence et des coûts de transaction). Selon Nelson (evolutionary economics), les compétences de base (core competencies) de la firme se traduisent dans un ensemble hiérarchisé de routines. Mais ces routines peuvent devenir des rigidités de base (core rigidities) qui bloquent le changement.

L'absence de recherches plus approfondies pour développer un cadre théorique alternatif, ou complémentaire, au cadre économico-financier est assez surprenant, eu égard aux critiques formulées à son encontre. D'autre part, on ne peut qu'être frappé par le cloisonnement général des recherches. Dans leur grande majorité les chercheurs du domaine de l'énergie n'ont pas investigué les résultats d'autres domaines de recherche.

Les chercheurs en sciences sociales ne s'intéressent généralement pas aux caractéristiques techniques des bâtiments. Les économistes et les ingénieurs ne comprennent pas la logique financière, et dans l'ensemble, méconnaissent et/ou mésestiment les travaux des sociologues et psychologues. Chaque domaine de recherche détient une pièce du puzzle mais la collaboration nécessaire pour assembler les pièces n'existe pas. Pourtant, la

complexité de la question des déterminants des investissements en efficacité énergétique appelle une approche interdisciplinaire.

Les recherches menées dans le domaine de l'énergie et dans le domaine de la finance organisationnelle indiquent en tous cas que la décision d'investissement est indissociable du cadre organisationnel et de l’environnement de l’entreprise, ainsi que des acteurs impliqués et des caractéristiques de l’investissement; et que, par conséquent, les critères financiers de choix des investissements jouent un rôle relatif, voire secondaire, dans ces décisions. Ces considérations, associées au manque d'une alternative théorique satisfaisante dans les différents courants de littérature du domaine de l'énergie, qui puisse expliquer les décisions d'investissement en efficacité énergétique et les facteurs qui les déterminent, conduisent à formuler les questions de recherche suivantes:

Pourquoi existe-t-il dans de nombreuses entreprises un potentiel rentable d'économies d'énergie ?

Pourquoi les entreprises ont-elles des comportements différents en matière de décisions d’investissement en efficacité énergétique, et plus généralement, en matière de gestion de l’énergie?

Puisque tout investissement est le résultat d'une décision (ou plus exactement, comme nous le verrons, d'un processus décisionnel), la littérature relative à la décision dans les organisations semble une source pertinente pour aborder les différents aspects des décisions d’investissement des entreprises et construire un cadre théorique solide. La deuxième partie de ma recherche s'attachera à identifier les éléments de cette littérature qui sont les plus utiles pour analyser et expliquer les décisions d'investissement en efficacité énergétique des organisations et l'importance des dimensions stratégique et culturelle de ces investissements. Cette démarche implique aussi d'examiner des concepts souvent employés mais rarement définis par les chercheurs dans le domaine de l'énergie, alors qu'ils sont au cœur de la problématique de la décision d'investir : les concepts de rationalité, de comportement et enfin le concept d'investissement lui-même. Je tenterai de préciser ces concepts dans la deuxième partie de ce travail, qui sera consacré à la décision dans les organisations.