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Les emplois du caractère zhi 志 et le(s) contenu(s)

4 L’ETUDE DES PREMIERS EMPLOIS DES CARACTERES ZHI 志志志志 ET YI 意意意意

4.1.3 Les emplois du caractère zhi 志 et le(s) contenu(s)

correspondant(s) dans le chapitre « Pan Geng »

13

.

Le chapitre « Pan Geng » est un des cinq chapitres « nouvelle écriture » des « Annales de la dynastie des Shang ». Pan Geng est le roi de cette dynastie qui a transféré sa capitale à Yin 殷 (aujourd’hui Anyang, province de Henan) ; après ce transfert la dynastie prend le nom de dynastie desYin (ou Yin-Shang). C’est un long chapitre comprenant essentiellement des discours de Pan Geng visant à convaincre ses sujets, notamment les princes et les officiers , du bien-fondé de ce transfert et pour les amener à le suivre à Yin.

4.1.3.1 Généralités.

Selon E.L. Shaughnessy, auteur du chapitre consacré au Shangshu du guide bibliographique de Loewe, bien que des auteurs considèrent le chapitre « Pan Geng » comme le texte le plus ancien du Livre de documents et par conséquent de l’histoire de la Chine, certains indices tels que l’utilisation du mot Yin pour faire référence à ce qui va devenir la nouvelle capitale de la dynastie des Shang et à son peuple tendent à montrer que ce chapitre a aussi été rédigé sous la dynastie des Zhou, probablement pour justifier la migration forcée des sujets des Yin-Shang après la victoire des Zhou.

4.1.3.2 Etude de la situation formant le contexte général.

Ce chapitre est intéressant car, outre les quatre emplois du caractère zhi 志 qu’il contient, il décrit les efforts du roi Pan Geng pour convaincre ses sujets, surtout les dignitaires (princes, officiers grands et moins grands…) qui sont plus que réticents, de l’intérêt du transfert de la capitale vers un nouveau site (qui sera appelé Yin par la suite) .

Il s’y est pris à trois reprises dans trois harangues : • en quittant l’ancienne capitale,

• sur les bords du Fleuve Jaune (il y a incertitude sur le point de savoir si le discours a été prononcé avant ou après la traversée du fleuve),

• une fois le transfert sur le nouveau site effectué, après avoir fixé notamment les emplacements pour les habitations et les édifices officiels (temple des ancêtres, palais de la cour).

Elles s’adressent en partie au peuple mais essentiellement aux dignitaires du royaume qui sont contre le transfert.

Chaque discours comprend des arguments communs aux trois ainsi que des éléments spécifiques .Une synthèse des principaux arguments présentés par Pan Geng au sujet du transfert de la capitale peut permettre d’avoir une idée sur son raisonnement :

• une demande d’oracle sur carapaces de tortues a été faite ; la réponse est favorable (argument présenté rapidement) ;

13 Ce titre et celui du paragraphe suivant, un peu longs visent à attirer l’attention sur le fait qu’il

s’agit d’analyses de situations et non pas d’études purement lexicales ; par la suite nous contenterons de titres plus courts comme : « Les emplois du caractère zhi du chapitre… »

• les anciens rois des Shang, ses prédécesseurs, en cas de grandes calamités transfèrent leur capitale ; ils l’ont fait cinq fois et ne sont pas restés tranquilles, insouciants dans une même ville ; il faut suivre leur exemple ;

• les calamités constituent des avertissements du Ciel, transférer la capitale est une façon d’en tenir compte (argument parallèle à l’argument réaliste de l’alinéa précédent) ;

• ses prédécesseurs ont toujours pris soin du peuple de façon diligente ; quand ils transfèrent leur capitale c’est dans l’intérêt du peuple ; dans l’état actuel des choses les gens ne peuvent plus secourir les uns les autres pour survivre ; s’il invite ses sujets à venir dans cette nouvelle ville, c’est pour leur bien et non pour leur imposer des fatigues et autres inconvénients ;

• sa démarche vise aussi à assurer la tranquillité et la stabilité de l’état ; • ne pas accepter le transfert est une vision à court terme : on a le présent mais pas le futur.

Outre ces arguments concernant spécifiquement le transfert de la capitale, Pan Geng a fait aussi d’autres déclarations :

• il s’est plaint de façon réitérée que des dignitaires ne l’aident pas pour expliquer sa pensée au peuple mais tiennent au contraire des discours superficiels et alarmistes ; ils font beaucoup de clameurs et se mettent en bandes pour exciter mutuellement leur colère et dire du mal de lui… ;

• il menace de recourir aux punitions les plus sévères y compris la peine de mort s’ils ne changent pas d’attitude ;

• il les exhorte à le respecter, à s’unir autour de lui, à prendre soin du peuple et à éviter de chercher les richesses, à faire beaucoup d’efforts pour démarrer une vie nouvelle, pour construire une grande destinée (建大命, jian da ming) ;

• il n’hésite pas à faire appel aux ancêtres tant pour susciter des sentiments de solidarité : les ancêtres des dignitaires ont supporté de grandes fatigues sous la direction de ses propres prédécesseurs , quand il fait des offrandes aux anciens rois, les ancêtres des dignitaires viennent aussi partager les mets avec eux , que pour faire des menaces : si dans cette affaire les dignitaires ne sont pas en harmonie avec lui qui est leur souverain, les anciens rois feront descendre sur eux de graves châtiments et leurs ancêtres ne les sauveront pas.

L’intérêt de ce chapitre pour l’étude de la notion de zhi 志 c’est qu’il présente de façon claire deux choix possibles devant un problème concret : compte tenu de la situation difficile, ou bien rester sur place ou bien transférer la capitale. Pan Geng a choisi la deuxième possibilité et a maintenu son choix jusqu’au bout malgré l’opposition de dignitaires qui étaient favorables à la première.

En dehors de quelques arguments dont la nature est liée aux croyances de l’époque, pour justifier son choix Pan Geng a eu recours dans son raisonnement à une hiérarchisation des objectifs : la survie du peuple, la stabilité de l’état priment sur le confort de l’immobilisme ; le long terme prime sur le court terme.

4.1.3.3 Etude des emplois du caractère zhi志志志志

Le premier caractère zhi 志 du chapitre se trouve vers la fin du premier discours de Pan Geng sur le point de quitter l’ancienne capitale. Après avoir justifié son

projet de transfert et admonesté les dignitaires pour leur opposition et leur manque de coopération le roi dit :

予告汝于难,若射之有志。

« Yu gao ru yu nan, ruo she zhi you zhi . » Soit:

« Je vous ai informés des difficultés, comme un archer a une cible.»14

Les auteurs des cinq ouvrages consacrés au Livre des documents cités ci-dessus sont d’accord à peu de chose près sur le sens à donner ici au caractère zhi 志 : la marque, la cible que vise l’archer. Il y a cependant quelques différences dans les quatre traductions proposées :

S. Couvreur: « Je vous propose cette entreprise difficile avec une détermination aussi arrêtée que celle de l’archer visant le but. »

-J. Legge: « Je vous ai annoncé les difficultés (de cette entreprise).Ma volonté15 est celle d’un archer. »

B. Karlgren: « Je vous parle de ces difficultés juste comme un archer en train de viser (une cible). »

Jiang Hao: «Je vous informe de cette situation difficile et pareil à un archer qui doit avoir un but, je ne peux dévier. »

Grâce à l’image concrète qu’elle offre, cette phrase est particulièrement intéressante. Pan Geng se compare à un archer, son cœur, son esprit est donc tourné vers et concentré sur le but à atteindre ; il est difficile de l’en dévier. Ainsi l’idée selon laquelle le zhi 志志志志 correspondrait notamment à une orientation du cœur vers un un objectif à atteindre existe au moins dès la dynastie des Zhou de l’ouest ; elle sera inscrite formellement dans la définition du zhi 志 donnée par le Beixi ziyi de Cheng Chun (12ème siècle après J.C., dynastie des Song) texte qui sera étudié au §5.6 ci-dessous.

Le second caractère zhi 志 du chapitre se trouve au début du second discours de Pan Geng. Après une phrase rappelant que quand ses prédécesseurs changeaient de capitale, c’étaient pour le bien du peuple et qu’il en fait de même et dans le même esprit, le roi déclara :

予若吁怀兹新邑,亦惟汝故,以丕从厥志。

« Yu ruo yu huai zi xin yi, yi wei ru gu, yi pi cong jue zhi. » Soit :

« Si je vous invite de cette manière à aimer cette ville nouvelle, c’est uniquement pour votre bien et pour me conformer complètement au dessein (au zhi 志) des souverains prédécesseurs. »

Il y a un désaccord des auteurs des cinq ouvrages consacrés au Livre des documents cités ci-dessus sur l’interprétation du caractère jue 厥 ; c’est un adjectif démonstratif ou un adjectif possessif à la troisième personne.

Qu Wan-Li et Jiang Hao considèrent que le zhi 志 dont il est question ici est le zhi 志 des souverains prédécesseurs de Pan Geng auxquels ce dernier faisait référence dans la phrase précédente ; une telle interprétation qui semble la plus vraisemblable conduit à une traduction telle que nous avons proposée ci-dessus. Pour S. Couvreur, J. Legge et B. Karlgren il s’agirait du zhi 志 du peuple ; ainsi

14 Sauf indication contraire, les traductions en français de passages de langue étrangère sont des

propositions de notre part.

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S. Couvreur traduit : « Si je vous invite à venir dans cette nouvelle ville, c’est uniquement à cause de vous ; c’est pour me conformer pleinement à votre désir (de vivre commodément). » ; la traduction de Legge est similaire à celle de Couvreur, il traduit zhi 志 par souhaits (wishes) ; l’humilité de Pan Geng devant son peuple suggérée par ces deux traductions semble peu vraisemblable ; B. Karlgren fait du peuple le sujet de cong 从 (suivre, se conformer à) et non plus Pan Geng et aboutit à une proposition tout à fait différente : « Si je vous appelle ainsi à aimer cette ville nouvelle , c’est à cause de vous ; parce que vous suivez si fortement vos (propres) souhaits (vous êtes si obstinés). »

Les deux derniers caractères zhi 志 du chapitre apparaissent dans le dernier discours prononcé par Pan Geng une fois le transfert de la capitale effectué ; dans les deux cas le roi prononce une phrase équivalente à : « Je vous ai fait connaître mon zhi 志. » ; zhi 志 peut avoir ici un sens large comme pensée, sentiment… ou un sens spécifique comme intention, détermination… ; le choix d’un mot pour le traduire : pensée, intention, détermination… dépend de l’idée que le traducteur se fait de l’état psychologique du roi.

4.1.4 Le caractère zhi

du chapitre « Luo gao » et le