• Aucun résultat trouvé

Sheng ren 圣人 (Sainte Personne ).

5.2 Le Livre de Mencius (Le Mengzi).

5.2.1 Généralités

Mencius vécut au quatrième siècle avant JC ; vers l’an 320 avant l’ère chrétienne il rendit visite au roi Hui de Liang ; celui-ci, qui n’était plus très jeune à l’époque, l’a appelé, par deux fois, « vieil homme » en s’adressant à lui.

En ce qui concerne l’oeuvre du Sage on peut noter que l’empereur Wen des Han, qui règna de 179 à 157 avant JC, avait instauré une chaire d’érudit pour le Livre de Mencius tout comme pour Les Entretiens de Confucius ; par la suite le Mengzi subissait une relative éclipse pendant un millénaire avant d’être redécouvert et de jouer un rôle important dans la renaissance confucéenne au début de la dynastie des Song (10ème siècle après JC) ; avec Zhu Xi (12ème siècle), le Livre de Mencius forma avec Les Entretiens de Confucius, Le grand apprentissage et La pratique constante de la centralité17 le corpus canonique des Quatre Livres qui, avec celui des Cinq Classiques était étudié par tous les candidats aux concours impériaux jusqu’au début du 20ème siècle.

Pour l’étude de ce texte nous avons consulté les ouvrages de James Legge, de Séraphin Couvreur, de D.C. Lau, d’André Lévy, de Nguyễn Hiến Lê, de Lu Guoyao et Ma Zhiqiang et de Yang Bojun consacrés au Mencius ; les livres de D.C. Lau et d’André Lévy présentent respectivement une traduction en anglais et en français sans le texte chinois, celui de Nguyễn Hiến Lê, en vietnamien, donne des citations en chinois ; les autres ouvrages reproduisent tous le texte en chinois classique et fournissent traductions et commentaires en anglais, en français et en chinois moderne. Pour la numérotation des paragraphes nous utilisons celle du livre d’André Lévy qui identifie chaque paragraphe par le numéro du livre (il y en a 7 dans le Mengzi) suivi d’une lettre A ou B indiquant s’il s’agit de la première partie ou de la seconde partie du livre (il est commode d’appeler « chapitre » chacune des deux parties d’un livre) et du numéro du paragraphe à l’intérieur de chaque chapitre ; par exemple 1.B.3 renvoie au paragraphe 3 du chapitre 1.B qui est la seconde partie du livre1.

5.2.2 Les caractères zhi

du Mencius.

5.2.2.1

Généralités.

Le Mencius compte cinquante caractères zhi 志 . En laissant de côté deux caractères utilisés dans le sens de : chroniques et deux autres se trouvant dans des citations du Livre des documents déjà étudié, il en reste quarante six. Comme au paragraphe précédent, nous allons étudier la situation, le contexte dans lesquels ils sont employés, en les classant en fonction des structures de nature grammaticale dans lesquelles ils sont utilisés.

17 Autres traductions des deux derniers titres : La grande étude pour le premier et l’Invariable

5.2.2.2

Les caractères zhi

志志志志

dans des structures de type : zhi

志志志志

+expression nominale+也也也也ou zhi志志志志+verbe, verbe qualificatif

ou expression verbale.

Dans cet emploi zhi 志 constitue le thème ou le sujet dans une phrase. Il convient de noter que cet emploi ne se trouve pas dans le Lunyu.

5.2.2.2.1

Le zhi 志志, maître du souffle ; le souffle débordant ; le

yong 勇勇 ou la force du coeur.

Ces sujets importants sont abordés dans le paragraphe 2.A.2 du Mencius, qui relate une conversation entre Mencius et un de ses disciples Gongsun Chou. La conversation portait tout d’abord sur la capacité de ne pas laisser trembler son coeur notamment sous l’effet d’un événement extérieur ; Gongsun Chou a donné un exemple d’un tel événement en demandant à Mencius : au cas où celui-ci est nommé premier ministre de l’état de Qi, avec la possibilité de mettre en pratique la Voie, donc avec beaucoup de chance de faire de son prince l’hégémon des princes féodaux ou même de le faire accéder à la dignité royale, est-ce que son cœur aurait tremblé ? Réponse de Mencius : non , depuis l’âge de quarante ans son cœur ne tremblait plus.

Par la suite, cette capacité de ne pas laisser trembler son cœur est identifiée à la notion de yong 勇 (force du coeur, courage) dans des exemples donnés par Mencius sur trois manières de « nourrir » cette force du cœur (yang yong 养勇) :

a) celle d’un homme qui (sous l’attaque) ne reculait pas d’une épaisseur de la peau, ne clignait pas de l’œil ; il ne supportait pas la moindre vexation, qu’elle vînt d’un homme du commun vêtu d’habits grossiers ou d’un prince gouvernant un pays de dix mille chars de guerre, y répondait nécessairement et considérait que tuer un prince important ou tuer un manant c’était la même chose ;

b) celle d’un militaire, Meng Shishe, qui regardait du même œil victoire et non-victoire, qui considérait qu’évaluer l’ennemi avant d’avancer, calculer la victoire avant d’aller à son contact, c’était avoir peur devant un ennemi puissant avec trois corps d’armée ; comment pourrait-il faire de telle sorte que la victoire soit certaine? Ce qu’il pouvait faire, c’était de ne pas avoir peur et puis c’était tout ;

c) une troisième manière de « nourrir » cette force provenait d’une conversation, rapportée par Mencius, entre Zengzi et un de ses disciples ; Zengzi relatait pour son disciple un enseignement de Confucius qui lui disait : « Retournant en moi-même, si je trouve que je ne suis pas droit, juste, alors même s’il s’agit d’un homme du commun porteur de vêtements grossiers, je ne vais pas l’inquiéter ; en revanche si je trouve que je suis droit, juste, alors, même si mes adversaires sont mille ou dix mille, j’irai au devant eux pour les affronter » ; Zengzi désignait une telle attitude par da yong 大勇 (grand courage).

Mencius considérait les trois cas comme répondant à la notion de yong 勇 mais il ne les mettait pas sur un pied d’égalité ; comparant les deux premiers cas a) et b) , il considérait que l’homme de l’exemple b) tenait fermement en main l’essentiel ;

puis comparant le cas b) au cas c) , il disait que l’homme du cas b) tenait en main son souffle qi 气 ce qui ne valait pas l’attitude de celui du cas c) qui tenait en main l’essentiel . Ainsi dans le domaine du yong 勇 Mencius distinguait trois niveaux :

a) la bravoure physique d’un homme toujours prêt à se battre pour laver tout affront;

b) le courage d’un chef militaire, qui connaissait l’existence de la pensée tactique et stratégique mais qui savait aussi que dans un combat il y avait presque toujours une part d’incertitude et qu’à partir d’un certain moment il fallait savoir ne pas avoir peur puis aller au combat ; Mencius considérait que cet homme tenait le souffle qi 气 ;

c) le courage moral d’un sage qui, armé de sa droiture, était prêt à aller affronter ses adversaires, fussent-ils mille ou dix mille ; Mencius considérait que, par rapport au chef militaire ci-dessus, ce sage tenait l’esentiel.

Notons ici que le raisonnement du chef militaire (les alinéas b ci-dessus) constitue un exemple très intéressant d’une véritable décision prise dans l’incertitude. La conversation se poursuivit et Gongsun Chou demanda à Mencius de lui parler de sa capacité de ne pas laisser trembler son cœur en la comparant à celle de Gaozi. Mencius répondit en expliquant que, selon Gaozi, ce qu’on n’obtenait pas à travers les mots (yan 言), on ne devait pas le chercher par le cœur (xin 心) et ce qu’on n’obtenait pas par le cœur (xin 心) on ne devait pas le chercher dans le souffle (qi 气) ; Mencius dit qu’il était d’accord avec la seconde proposition de Gaozi , mais pas avec la première et en donna la justification :

夫志 夫志 夫志 夫志,,气之帅,,气之帅气之帅气之帅 也也也也;;;气;气,气气,,,体之体之体之体之充也充也充也充也。。夫志至焉。。夫志至焉夫志至焉,夫志至焉,,,气次焉气次焉气次焉。气次焉。。。故曰故曰 : 持其志故曰故曰 持其志持其志持其志,,,,无无无无 暴其气 暴其气 暴其气 暴其气。。。。(§ 2.B.2)

« Fu zhi, qi zhi shuai ye ; qi, ti zhi chong ye. Fu zhi zhi yan, qi ci yan. Gu yue : chi qi zhi, wu bao qi qi. »

Soit :

« Car le zhi est le commandant suprême du souffle et le souffle est ce qui remplit le corps. Là où le zhi arrive, le souffle s’y arrête. C’est pourquoi il est dit : maintenir son zhi et ne pas faire violence à son souffle. »

Dans les Entretiens de Confucius le zhi est comparé au commandant suprême d’une armée, ici sa position de commandant du souffle est clairement affirmé ; sa position centrale et dominante est donc confirmée ; il doit jouer un rôle essentiel dans le maintien de la cohérence interne du cœur.

Le caractère qi 气 a un sens très large ; traduit ici par « souffle », il renvoie à la notion d’énergie vitale qui peut être à la fois physique et non physique ; notons à titre d’exemples, les traductions de ces phrases par S. Couvreur et J. Legge : Couvreur : « L’esprit doit commander à la sensibilité ; la sensibilité est répandue dans tout le corps. L’esprit est la partie supérieure de l’âme, la sensibilité est la partie inférieure. Aussi je dis que l’homme doit veiller avec soin sur son esprit (sur ses facultés intellectuelles et morales) et ne pas léser sa sensibilité. »

Legge : « The will is the leader of the passion-nature. The passion-nature pervades and animates the body. The will is first and chief, and the passion- nature is subordinate to it. Therefore I say “Maintain firm the will, and do no

violence to the passion-nature.” ».Ainsi Couvreur traduit qi 气 par « sensibilité » et Legge par « passion-nature ».

Gongsun Chou répéta les deux dernières phrases et demanda des éclaircissements à Mencius qui expliqua :

志 志 志

志壹则动气壹则动气壹则动气壹则动气, 气气气壹则气壹则壹则动壹则动动志也动志也志也。志也。今夫蹶者趋者。。今夫蹶者趋者今夫蹶者趋者,今夫蹶者趋者,,是气也,是气也,是气也是气也,,而,而而而反动其心反动其心反动其心反动其心.

«Zhi yi ze dong qi, qi yi ze dong zhi ye. Jin fu jue zhe qu zhe, shi qi ye, er fan dong qi xin. »

Soit:

« Lorsque le zhi est concentré (sur quelque chose) alors il fait mouvoir le souffle et lorsque le souffle est concentré (sur quelque chose) il fait mouvoir le zhi. Maintenant par exemple, si quelqu’un tombe ou court, c’est le souffle qui est concerné mais cela retentit aussi sur le cœur. »

A Gongsun Chou qui lui demanda quels sont ses points forts, Mencius répondit : « Je comprends les mots et suis habile à nourrir mon souffle débordant (浩然之气 « hao ran zhi qi »). Gongsun Chou demanda à Mencius d’expliquer ce qu’il entendait par souffle débordant ; Mencius répondit : « C’est difficile à dire ; c’est une sorte de souffle ; il est extrêmement grand, extrêmement fort ; nourri de droiture (直, zhi) et non lésé, il emplit l’espace entre le ciel et la terre. Il doit s’unir avec le sens du juste (义 yi) et la Voie (道 Dao), sans quoi il s’atrophierait . C’est de la pratique accumulative du sens du juste (义 yi) qu’il naît et ne peut être obtenu par des actions occasionnelles. Il s’atrophierait aussi si, dans la conduite, il y avait quelque chose de non satisfaisant pour le cœur ; c’est pourquoi j’ai dit que maître Gao n’a jamais compris ce qu’est le sens du juste, parce qu’il en fait une chose extérieure. Il est nécessaire d’y travailler sans fixer de délai ; il faut le garder dans son cœur et ne pas le forcer à grandir… ». Suit ensuite l’anecdote malheureuse de l’homme de Song qui tira sur les pousses de son champ dans l’espoir de les aider à pousser plus vite. Notons que, dans ce court passage de moins de 90 caractères dans lequel Mencius essaie de décrire son souffle débordant, le caractère yi 义 (sens du juste) revient quatre fois.

Discussions sur le contenu du paragraphe 2.A.2 :

Le paragraphe 2.A.2 aborde les notions de zhi 志, qi 气, yong 勇, yi 义 et Dao 道. Quelles sont les relations qui existeraient entre ces notions ?

Le texte parait clair sur un point : c’est le zhi 志 qui commande au qi 气 ; par ailleurs il est dit que le chef militaire (Meng Shishe) qui n’a pas peur, qui ose attaquer une très puissante armée ennemie « tient le qi 气 » ; cette notion, telle qu’elle est utilisée ici ne se réduit donc pas à celle d’une énergie physique. Ainsi S. Couvreur a traduit zhi 志 par « esprit » (avec la précision esprit = facultés intellectuelles et morales) et qi 气 par « sensibilité » alors que A. Lévy les a traduits respectivement par « volonté » et « souffle » ; en anglais J. Legge les a traduits par « will » et « passion-nature » alors que D.C. Lau a préféré « will » et « ch’i » (qi 气) ; en chinois moderne, Yang Bojun a « explicité » zhi 志 par 思想 意志 sixiang yizhi, soit « pensée et détermination » et qi 气 par 意气 感情 yiqi

ganqing soit « tempérament et sentiments », de leur côté Lu Guoyao et Ma Zhiqiang les ont « explicités » par 心志 xinzhi soit « résolution » et 意气 yiqi soit « tempérament» ; en vietnamien Nguyễn Hiến Lê n’a pas jugé nécessaire de recourir à des expressions binaires et a simplement écrit « chí »(=prononciation en

vietnamien du caractère 志) et « khí » (=prononciation en vietnamien de 气). On voit ainsi que, parmi ces auteurs, la plupart de ceux qui ont cherché à expliciter la notion de qi 气 l’ont située au niveau des sentiments, des affects ; en ce qui concerne la notion de zhi 志 Couvreur et Yang Bojun lui ont nettement accordé un sens large couvrant les domaines de la volition et de la cognition, alors que Lévy, Legge, D.C. Lau et Lu Guoyao avec Ma Zhiqiang l’ont nettement cantonnée dans le domaine de la volition. Si ce passage du Mencius met le souffle qi 气 sous le commandement du zhi 志 il conseille aussi de « maintenir son zhi et ne pas faire violence à son souffle » ; ce conseil souligne de façon claire l’importance qui est accordée aux sentiments dans la vie et les actions humaines.

Cette importance du souffle qi 气 est encore plus manifeste dans l’alinéa où Mencius parle de son souffle débordant ; dans ce passage le caractère zhi 志 n’apparaît plus alors que le souffle débordant, nourri de droiture (直, zhi), non lésé, immense et puissant, s’unit avec le sens du juste ( 义 yi) et la Voie (道 Dao) ; le fait que le zhi 志 n’est plus mentionné ici peut être interprété de la façon suivante : chez un adepte du sens du juste et de la Voie, le zhi 志 traduit, réalise l’orientation du cœur vers ces valeurs ; il commande donc au qi 气 dans ce sens ; une telle pratique, authentique et continue peut finir par conduire à l’harmonisation du qi 气 (sentiments, affects, sensibilité, passion) avec ces valeurs ; dans une telle situation le zhi 志 qui reste toujours le maître du qi 气, n’a plus besoin (ou presque plus besoin) d’exercer son commandement , la cohérence interne est complète et une personne parvenue à cet état de souffle débordant pratique le sens du juste et la Voie de façon naturelle, sans effort direct.

Le yong 勇, qui est la capacité de ne pas laisser trembler son cœur sous l’effet d’un événement extérieur ou sous celui de l’idée d’avoir à affronter un puissant adversaire, correspond donc à l’autonomie de ce coeur; dans ce paragraphe, il apparaît comme la manifestation , sous un certain point de vue, de la vie intérieure d’une personne ; du chef militaire qui n’a pas peur de s’attaquer à une puissante armée ennemie, le texte dit qu’il tient en main son qi 气 ; du sage qui, armé de la droiture et du sens du juste, est prêt à aller affronter de puissants adversaires, le texte dit que comparé au chef militaire ci-dessus il tient l’essentiel. Cet « essentiel » que ce sage tient en main serait constitué par les valeurs de la droiture et du sens du juste.

Comment tiendrait-il en main ces deux valeurs? Par un effort de son zhi 志 ou par l’état de souffle débordant qu’il a atteint ? Probablement, ces deux situations sont possibles et l’état de souffle débordant (qui correspondrait à un état de grande cohérence interne) lui permettrait de vivre naturellement, sans effort ces valeurs tant dans son cœur et que dans son corps.

5.2.2.2.2

Autres emplois du caractère zhi 志志志志 dans cette

structure (zhi constituant le thème ou le sujet d’une

phrase).

En dehors de ce très important paragraphe 2.A.2, cette structure d’utilisation du caractère zhi se trouve dans les phrases suivantes :