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Des objectifs classés selon une double hiérarchie.

5.3.2 Le texte principal.

5.3.2.3 Des objectifs classés selon une double hiérarchie.

Le passage suivant, particulièrement célèbre, introduit des aspirations de vie classées selon un degré d’extension décroissant de l’objet auquel se rapporte chaque aspiration : le monde (désigné par : « le dessous du ciel »), le pays, la

famille, la personne, le cœur de la personne… et en même temps selon une suite d’antériorités :

古之欲明明德于天下者,先治其国。欲治其国者,先齐其家。欲齐其家者, 先修其身。欲修其身者,先正其心。欲正其心者,先诚其意。欲诚其意者,先 致其知。致知在格物。

« Gu zhi yu ming ming de yu tian xia zhe, xian zhi qi guo. Yu zhi qi guo zhe, xian qi qi jia. Yu qi qi jia zhe, xian xiu qi shen. Yu xiu qi shen zhe, xian zheng qi xin. Yu zheng qi xin zhe, xian cheng qi yi. Yu cheng qi yi zhe, xian zhi qi zhi. Zhi zhi zai ge wu. »

Soit :

« Ceux qui, dans les temps anciens, voulaient faire briller, partout sous le ciel, les illustres vertus, commencaient d’abord par bien gouverner leur propre pays. Ceux qui voulaient bien gouverner leur pays, commençaient par mettre de l’ordre dans leur famille. Ceux qui voulaient mettre de l’ordre dans leur famille, commençaient par cultiver leur propre personne. Ceux qui voulaient cultiver leur personne, commençaient par rectifier leur cœur. Ceux qui voulaient rectifier leur cœur, commençaient par rendre authentique leur pensée. Ceux qui voulaient rendre authentique leur pensée, commençaient par développer au plus haut point leur savoir. Un tel développement du savoir dépend de l’examen des choses20. »

L’utilisation par l’auteur de six phrases de type :

Ceux qui voulaient +« verbe d’action 1+complément d’objet 1 », commençaient par + « verbe d’action 2+complément d’objet 2 »

et une phrase (la dernière) avec la formulation :

« verbe d’action 1+complément d’objet 1 » dépend de (在 zai) « verbe d’action 2+complément d’objet 2 »

suggère que, pour le texte, les antériorirés évoquées sont des antériorités nécessaires ; ainsi pour pouvoir bien gouverner son pays il faut d’abord parvenir à mettre de l’ordre dans sa famille ; ces antériorités nécessaires, il n’y a rien dans le texte qui permet d’affirmer qu’elles sont aussi suffisantes ; ainsi en reprenant l’exemple ci-dessus : celui qui parvient à mettre de l’ordre dans sa famille ne pourra pas forcément bien gouverner son pays. Par ailleurs, les phrases constituant ce passage sont grammaticalement indépendantes ; en se basant uniquement sur cette indépendance on peut dire que l’objet du verbe « vouloir » (yu 欲)de chacune des six phrases le contenant peut constituer pour le grand apprenant un objectif en soi et pas nécessairement et seulement un moyen pour atteindre l’objectif « plus étendu » qui le précède. Ainsi, à titre d’exemple, un homme du commun peut choisir comme objectif fondamental de réussir sa vie de famille ; les recommandations du texte lui demandent de viser aussi les objectifs « moins étendus » mais qui constituent des antériorités nécessaires à l’objectif qu’il a choisi : cultiver sa personne, rectifier son cœur, rendre authentique sa pensée, etc…. ; en revanche le texte ne lui demande pas de viser l’objectif plus étendu : bien gouverner son pays ; il peut le considérer comme trop ambitieux pour lui, ne pas le viser directement et se contenter de mettre de l’ordre dans sa famille, de cultiver sa personne, de rectifier son cœur… et sur le plan politico- administratif, de remplir loyalement ses devoirs envers son pays ; peut-être en faisant des efforts pour bien se conduire il sert déjà sa patrie.

20 Le mot chose employé ici pour la traduction comprend aussi les sens de : situation, affaire,

Dans le même ordre d’idée il est impossible de ne pas remarquer que l’auteur n’a pas utilisé le verbe « vouloir » (yu 欲 ) pour la rubrique : développement du savoir ; il n’a pas poursuivi la série des six phrases : « ceux qui voulaient… commençaient par… » et s’est contenté d’un constat : «Un tel développement du savoir dépend de l’examen des choses». Ce traitement particulier semble suggérer que pour l’auteur le développement du savoir est certes une antériorité nécessaire mais il ne constitue pas forcément un objectif en soi.

Nous verrons plus loin un autre traitement particulier qui a pour effet de privilégier un des six objectifs explicitement énumérés par ce passage.

Les commentaires classés dans les chapitres 6 à 10 sont relatifs aux différentes idées exprimées dans ce passage ; les plus importants sont résumés ci-dessous : • rendre authentique sa pensée c’est ne pas se duper soi-même ; il y a unité entre le cœur et le corps ; ce qui existe authentiquement à l’intérieur se manifeste à l’extérieur ; la vertu imprègne toute la personne ; le cœur étant détendu, le corps est à l’aise ;

• quand on dit : «Cultiver sa personne, cela dépend de la rectification de son cœur », cette idée peut être illustrée par l’exemple suivant : « Quand un homme est sous l’emprise de la colère, du ressentiment, de la crainte, de l’attachement, de l’inquiétude, de l’affliction, il ne peut être correct dans sa conduite.» ; quand le cœur est absent, on regarde sans voir, écoute sans entendre, mange sans reconnaître les saveurs ;

• les commentaires sur le thème : «Mettre de l’ordre dans sa famille, cela dépend de la culture de sa personne» insistent surtout sur le caractère partial de l’être humain qui subit l’influence de ses sentiments d’affection ou d’aversion, de vénération ou de mépris… ; on ne peut donc mettre de l’ordre dans sa famille sans cultiver d’abord sa propre personne ;

• sur le thème : « Avant de bien gouverner son pays, il est nécessaire de mettre d’abord de l’ordre dans sa famille », les commentaires mettent notamment en exergue la grande capacité d’influence de l’exemple : « Une famille pratique la vertu d’humanité et tout le pays aime à la pratiquer » ; ils soulignent aussi le fait que celui qui est incapable d’éduquer les membres de sa propre famille ne peut pas éduquer les autres ;

• sur le thème : « Apporter la paix au monde, cela dépend du bon gouvernement de son propre pays » les commentaires qui sont nombreux mettent surtout en valeur l’idée selon laquelle un prince sage, vertueux, qui privilégie le sens du juste et non l’intérêt, donne l’exemple au peuple et gagne l’affection des hommes ; quand on a les hommes, on a les terres…

Sur le plan linguistique, notons que dans ce passage pour exprimer une activité de type volitif, l’auteur a employé six fois le verbe yu 欲=vouloir ; l’objet de ce verbe va depuis le désir de rendre authentique son intention jusqu’à celui de faire briller, partout sous le ciel, les illustres vertus ; nous sommes donc bien loin de la définition dépréciative du Shuowen jiezi (par Xushen, fin du 1er siècle après J.C.) qui n’a retenu pour yu qu’un seul sens :

Yu 欲= Tan yu ye 贪欲也 soit Yu = convoiter ou plus précisément convoiter les richesses.

Ce point confirme les résultats de l’étude des caractères yu 欲 du Lunyu qui tendent à montrer que la langue chinoise, outre le caractère yao 要 très utilisé

actuellement, dispose aussi du caractère yu 欲 pour désigner de façon neutre une activité de nature volitive.