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Chapitre 3 : Société de la connaissance et mission pédagogique des universités : vers des évolutions notables

3.3.3. De nouveaux modes opératoires en recherche

Les nombreuses possibilités apportées par les NTIC permettent un rapprochement sans précédent entre des disciplines qui développent des programmes de recherche inédits.25 En effet, l’innovation perpétuelle des techniques amène des disciplines de divers horizons, telles que la physique, la biologie, les mathématiques et l’informatique à tisser des liens étroits à développer des programmes de recherches en commun. Le degré de complexité technique de certaines nouvelles technologies exige des coopérations entre différentes disciplines afin que les innovations puissent continuer et évoluer. Il y a une tendance notable depuis le milieu des années 1990 à un essor de la pluridisciplinarité et cela dans un nombre important de domaines : « The model for conducting research has shifted emphasis to teams and networking. This is a change in the culture of the university that has occurred in the last ten years ».26 Cette tendance à l’essor de la collaboration entre chercheurs est permise grâce aux NTIC et elle se caractérise par l’émergence de nouveaux modes opératoires dans la recherche. Il y a un rapprochement sans précédent entre des disciplines voisines, et une complémentarité qui débouche sur de collaborations pluridisciplinaires.

De plus, la recherche s’organise aussi en « réseaux ». Enfin, des collaborations entre différentes disciplines permettent l’acquisition de matériel de pointe nécessairement couteux et qui individuellement n’aurait pas forcément pu se faire. Les échanges entre chercheurs peuvent se faire à travers l’ensemble de la planète et en tout temps, avec une simplicité jusqu’alors inégalée du point de vue technique. Tout cela permet des avancées nouvelles, toujours plus conséquentes, mais ouvre par ailleurs des débats sur plusieurs des questions soulevées auparavant comme par exemple la primauté de la découverte, des droits d’auteurs, et plus généralement sur les liens entre recherche, universités et

25 CASTELLS, Manuel, The Internet Galaxy. Reflections on the Internet, Business, and Society, Oxford,

Oxford University Press, Oxford, 2001.

entreprises privées.27 Ces nouveaux modes de collaboration, cette pluridisciplinarité, ou plus simplement ce rapprochement dans un contexte qui « transcende les disciplines et le contexte de l’université », sont appelé Mode 2 Research, « par opposition au mode de recherche traditionnel des universités, définies par des disciplines académiques spécifiques et évaluées par des pairs de cette même discipline ».28 L’importance que prend l’activité de recherche dans les universités à travers la planète est de plus en plus significative avec les exigences apportées par l’économie du savoir. En effet, devant les pressions de l’économie du savoir et l’importance que prend l’innovation dans cette dernière, la plupart des universités ont accentué leurs efforts en matière de recherche. Nous verrons par ailleurs que les gouvernements qui financent en grande partie la recherche dans les universités canadiennes octroient des subventions dans des secteurs particuliers qui sont de nature à pouvoir apporter des innovations directement applicables à l’économie. Des recherches qui pourraient déboucher sur des innovations arrimées aux spécificités du marché.

Les changements dans les modes opératoires en recherche sont par ailleurs plus profonds et ils diffèrent de ceux qui prévalaient jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle. On parle désormais d’une « nouvelle forme de production du savoir ». Le sociologue Gibbons et ses collaborateurs distinguent deux modes différents de production du savoir.29 Le « mode 1 » qui prévaut, jusqu’en 1950, se caractérisait par un clivage entre le monde universitaire et la société. Celui-ci était fondé sur les bases d’une université autonome, des disciplines et des spécialités scientifiques indépendantes, et la possibilité pour les scientifiques de décider de ce qui est ou n’est pas la science et la vérité. Il n’y a ici, semble-t-il, aucune interaction entre l’université et l’industrie.

Le « mode 2 » de la production du savoir (qui décrirait la science d’aujourd’hui) repose pour ces auteurs, sur l’affaiblissement voire même l’« effondrement de l’université moderne », la disparition des disciplines scientifiques et l’« atrophie » du contrôle des

27 DILL, David,Regulatory Success, Regulatory Failure: A Review of the Regulation of Academic Quality in the United Kingdom. Communication présentée lors du Consortium of Higher Education Researchers

(CHER) à la conférence annuelle tenue à Vienne, Autriche, 7 septembre 2002.

28 RENAUD, Marc, Universities : Change is Mandatory, Survival is optional- Chose Wisely, Fred Aldrich

Lectures, 2004.

29 GIBBONS & Al., The New Production of Knowledge, Thousand Oaks, Sage Publications, London,

scientifiques sur la direction et le contenu des programmes de recherche. Ce « mode 2 » se caractérise par un ensemble d’éléments spécifiques soit :

« une nouvelle interdisciplinarité, une grande mobilité de groupes temporaires d’experts organisés provisoirement autour de problèmes urgents et par la primauté des problèmes économiques et sociaux dans la décision de développer telle ou telle sphère du savoir. La société rejetterait ainsi la légitimité des prérogatives de la science, son autonomie institutionnelle et son identité épistémologique et culturelle ».30

Ce deuxième mode se caractériserait aussi par une recherche plus orientée en fonction des besoins du marché et en ce sens, l’on serait en présence d’une forme particulière de relations entre un ensemble de groupes d’acteurs devenus plus que jamais interdépendants, soit l’université - l’entreprise et l’État. Par ailleurs, « le thème de la pédagogie est très important » et les auteurs qui parlent d’une « nouvelle forme de création du savoir » mettant en avant l’idée que l’on serait en train d’aller vers la création d’une « nouvelle université », ou encore vers une « cyberuniversité ». Dans l’ensemble, il est ici question d’un « savoir socialement robuste » dont les fondements reposent sur « une systématisation de la recherche et du savoir investit d’une mission et orientés vers l’application ».31 Le noyau du mode 2 repose ainsi pour les tenants de la théorie d’une « Nouvelle production du savoir » sur la primauté qui est accordée « à la pertinence sociale des connaissances et en particulier aux demandes de l’Industrie ».32 Cette approche théorique, loin d’être admise par tous est un exemple assez révélateur du point de vue des économistes qui tendent en quelque sorte à réduire la notion de société du savoir à une économie du savoir dont le moteur principal est l’innovation technologique, arrimée aux besoins de l’Industrie (voir à ce sujet les critiques de T. Shinn).33 Dans cette

perspective, la société du savoir est perçue comme « la multiplication des communautés intensives en connaissances ».34 On comprend que l’information et l’innovation, dans cette vision, sont réduites en quelque sorte au rang de marchandises ; le rapport au savoir au sens large est occulté. Ainsi, les notions de société du savoir et d’économie du savoir

30 SHINN, Terry, « Nouvelle production du savoir et triple hélice », Actes de la recherche en sciences

sociales, nº 141, 2002, p. 21-30.

31 Ibid. p.23. 32 Ibid, p. 26. 33 Ibid. p. 27.

34 PAUL & FORAY, « Une introduction à l’économie et à la société du savoir », Revue internationale des

se confondent ; le fruit du savoir est vu uniquement comme source d’innovations qui vont pouvoir être intégrées dans un processus de commercialisation. On attend de l’éducation supérieure qu’elle forme les individus en fonction des évolutions récentes et de manière à pouvoir répondre aux besoins économiques pressants. On attend de la recherche qu’elle soit applicable rapidement et axée sur les besoins concrets du marché. Le service à la communauté de rôle critique de la société qui fait partie des missions premières de l’université est en quelque sorte relayé par celui de levier économique que permet l’innovation en recherche.

Etkowitz et Leydesdorff offrent une analyse complémentaire tout en apportant des critiques à la théorie de la « nouvelle production du savoir » que proposent Giddens et ses collaborateurs. Ils postulent que la recherche dans les universités peut aussi aujourd’hui être comprise comme relevant d’un fonctionnement en « triple hélice ».35 Dans cette approche, l’université traditionnelle constitue toujours -à la différence du point de vue de Giddens- la pierre angulaire des relations et des changements mis en évidences. Ainsi, ils affirment que « si les strates distinctes, mais reliées entre elles que sont l’université, l’industrie et l’État, ont fonctionné efficacement par le passé, il n’en est pas moins vrai que des événements internes à chacune et des changements de relations entre elles ont donné naissance à une nouvelle unité qui réunit les trois éléments de façon historiquement unique, la triple hélice ». Dans cette approche, « à ses fonctions traditionnelles d’enseignement, de remise de diplômes et de recherche, les changements cognitifs et économiques récents ont simplement ajouté de nouvelles fonctions. Le rôle historique des universités est préservé, et s’est étendu pour mieux s’adapter aux circonstances changeantes ».36 Les auteurs parlent de l’émergence d’une nouvelle strate de « développement du savoir », dans laquelle se rencontrent des groupes spécifiques du monde universitaire, de l’industrie et du gouvernement afin de se pencher sur les problèmes nouveaux soulevés par un monde en pleine mutation économique, institutionnelle et intellectuelle. La triple hélice est conçue comme l’expression sociologique de ce qui est devenu un ordre social de plus en plus fondé sur la connaissance. L’université constitue la pierre angulaire de la triple hélice. Les auteurs

35 ETKOWITZ & LEYDESDORFF, “Innovation in Innovation: The Triple Helix of University-Industry-

Government Relations”, Social Science Information, n°42, 2003, p. 291-337.

insistent sur le fait que les départements universitaires basés sur les disciplines convergent de nouvelles façons et que, tout en gardant des lignes de recherche traditionnelles, ils se tournent aussi vers la recherche industrielle et des formes intermédiaires de recherche ».37 Nous verrons qu’au Canada ainsi qu’au Québec, cette tendance est observable. Les gouvernements déploient une énergie particulière pour développer des partenariats avec le privé pour les institutions publiques.

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