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SAAST Acad. MACON

I. C.2.2 Le démembrement de la cité des Eduens : problèmes de chronologie

Entre le début du IIIe siècle et le milieu du IVe siècle, les deux agglomérations secondaires d’Auxerre et Chalon ainsi que leurs campagnes environnantes sont détachées de la cité des Eduens et érigées en ciuitates autonomes (fig. 9, p. 69). Dans les deux cas, la date de cette promotion politique est encore discutée.

A Chalon, la question est brièvement évoquée par L. Armand-Calliat dans son Chalonnais gallo-romain : il se base sur la description des villes de Lyonnaise par Ammien Marcellin301 pour considérer que la ville est un chef-lieu de ciuitas au milieu du IVe siècle302.

Le passage d’Ammien Marcellin invoqué par L. Armand-Calliat (Lugdunensim primam Lugdunus ornat et Cabillona et Senones et Biturigae et moenium Augustoduni magnitudo ornat)303 ne résiste pas à un examen approfondi. En premier lieu, le texte se caractérise par une grande imprécision comme en témoigne la présence de Bourges qui n’a jamais fait partie de la Gaule Lyonnaise. Rien ne permet dans ce passage d’affirmer que Chalon est une capitale de ciuitas, bien qu’Ammien ne mentionne même pas les cités d’Auxerre et des Lingons. Les textes contemporains ne sont guère plus utiles : l’auteur du Panégyrique de Constantin mentionne le port de Chalon304, mais n’indique pas le statut du site.

H. Leclercq et B. Beaujard305 ont rejeté l’existence de l’évêque Donatianus Cabellonorum, présent dans la liste des souscripteurs du concile de Cologne de 346306. L. Duchesne ne le retenait pas dans sa première édition des Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, avant de l’admettre dans la seconde307. En effet, la critique historique moderne a démontré que les actes de ce concile sont un faux d’époque carolingienne308. Sur ces bases, il semble donc qu’il faille accepter que Chalon demeure une importante agglomération de la cité des Eduens durant tout le IVe et une bonne partie du Ve siècle.

A la suite d’H. Leclercq309, l’essentiel des auteurs placent la création de la cité de Chalon vers le milieu du Ve siècle au plus tôt310. On a généralement tiré parti de la Notitia Galliarum (début du Ve siècle),

298 Voisin (J.-L.) – Auxerre gallo-romaine, dans Delor, CAG 89/1, p. 175-178. Sur ce démembrement, infra, § I.C.2.2.

299 Eumène, Oratio pro instaurandis scholis, XVII, 3.

300 Desnier (J.-L.) – La légitimité du Prince, IIIe – XIIe siècle. La justice du fleuve. Paris, 1997, p. 74-75 ; Voisin, op. cit. 301 Ammien Marcellin, XV, XI, 11 : Lugdunensim primam Lugdunus ornat et Cabillona et Senones et Biturigae et moenium

Augustoduni magnitudo ornat.

302 Armand-Calliat, Chalonnais gallo-romain, p. 48.

303 Ammien Marcellin, XV, XI, 11.

304 Panegyricus Constantino dicto, XVIII, 2-3 : Inde adreptis armis portas petiuerunt, tot dierum iter a Rheno usque ad Ararim sine

ulla requie peregerunt indefessis corporibus, animis flagrantibus, crescente in dies ardore uindictae quanto propius accederent. Tum quidem tua, imperator, cura, qua refouendis eorum uiribus a Cabillonensi portu nauigia prouideras, festinantibus paene non placuit.

305 Leclercq (H.) – Saint-Loup de Chalon, DACL, IX, col. 2582-2583. Beaujard, Topographie Chrétienne Chalon ne mentionne pas son existence.

306 Conciles Gaulois IVe siècle, Cologne (346), p. 70. 307 Duchesne, Fastes, II, p. 192.

308 Résumé de la question dans Gauthier, L’évangélisation des pays de la Moselle, p. 447-453.

309 Leclercq (H.) – Saint-Loup de Chalon, DACL, IX, col. 2582-2583.

310 Beaujard, Topographie Chrétienne Chalon, p. 69 ; en dernier lieu, Beaujard (B.) et Prévôt (F.) – Introduction à l’étude des capitales éphémères (Ier s. – début VIIe s.), dans Ferdière, Capitales éphémères, p. 21.

mentionnant Chalon sous le nom de castrum cabillonense, alors que les cités de Lyonnaise I sont qualifiées du terme de ciuitas, pour refuser le statut de cité à Chalon au début du Ve siècle311. La présence, dans la même liste, de Mâcon (castrum Matisconense), qui n’est assurément pas un évêché ni une ciuitas avant 534, a incité certains chercheurs à considérer que ces deux agglomérations avaient été ajoutées à l’archétype du texte à une date tardive, au moment où la Notitia Galliarum sert de document de géographie ecclésiastique312. Sidoine Apollinaire mentionnant une élection épiscopale chalonnaise vers 470313, on place généralement l’accession de Chalon à l’autonomie politique vers 450314.

Une étude récente du concile de Cologne permet de reconsidérer la question. S’il est désormais clairement avéré que les canons sont un faux du VIIIe siècle, N. Gauthier a souligné que les signataires étaient tous attestés dans la liste des évêques gaulois ayant souscrit aux décisions de Sardique en 343, donnée par Athanase315. La différence entre ces deux textes est que le pseudo-concile de Cologne indique le siège des évêques, ce que ne fait pas Athanase. N. Gauthier en conclut donc que le faussaire du VIIIe

siècle a dû copier une liste du milieu du IVe siècle, peut-être celle des signataires d’un concile réuni à l’instigation de Maximin de Trêves. Ainsi, il semble bien que l’évêque Donatianus Cabellonorum ait réellement existé, ce qui indiquerait la présence d’un évêché à Chalon dès la fin de la première moitié du IVe siècle316. Ainsi, il ne nous semble pas que le qualificatif de castrum cabillonense employé par la Notitia Galliarum soit susceptible d’écarter le fait que Chalon est bien une ciuitas autonome dans les années 400. Notons d’ailleurs qu’Augst apparaît sous la forme de Castrum rauracense dans le même document, alors que le site semble toujours être la capitale des Rauraques à cette époque317.

A Auxerre, la tradition tend à placer la promotion politique de la ciuitas quelques années plus tôt. La stèle funéraire d’Aurelius Demetrius, adjoint des procurateurs chargés du recensement des cités des Eduens, des Sénons, des Tricasses, des Meldes et des Parisii, montre qu’au début du IIIe siècle, aucune cité d’Auxerre n’est encore attestée dans la région (fig. 10, p. 69)318. Entre 383 et 388, la ciuitas Autissiodorensium, subdivision de la Lyonnaise IV (Maxima Senonia), honore avec les autres cités de la province son ancien gouverneur qui est désormais son patron319.

La date de création de la cité demeure difficile à déterminer. En se basant sur la Vie de Pèlerin et les Gestes des évêques d’Auxerre320, la présence d’un évêque à Auxerre serait attestée dès le dernier tiers du IIIe

siècle. Notons cependant que ces sources sont tardives – la Vie de Pèlerin date de la fin du VIe siècle, les Gestes de l’époque carolingienne (elles s’inspirent en grande partie de la Vie de Pèlerin) – et donc largement sujettes à caution. En outre, les Gestes rendent Aurélien responsable du martyre de Pèlerin, puis indiquent que l’évêque mourut sous le règne de Valérien et Gallien, donc en 259 au plus tard. Il y a là une contradiction très suspecte, qui incite à utiliser ces sources à titre indicatif.

311 Notitia galliarum, I, 2-6 (éd. Seeck)=éd. Mommsen, p. 584. En dernier lieu : Beaujard (B.) et Prévot (F.) – Introduction à l’étude des capitales « éphémères » de la Gaule (Ier s. – début VIIe s.), dans Ferdière, Capitales éphémères, p. 21 et n. 9.

312 En dernier lieu, Favrod, Royaume burgonde, p. 70, n. 11. La fonction primitive de la Notitia galliarum n’est elle-même pas clairement définie : pour Th. Mommsen, il s’agirait dès le départ d’un document ecclésiastique, alors que d’autres pensent à un document civil réutilisé par l’Eglise. Ces incertitudes conduisent A.L.F. Rivet à remarquer que tant que la nature originelle du texte n’est pas clairement établie, it seems rash to accept the Notitia Galliarum as an indicator of civic

status in late Roman Gaul : The Notitia Galliarum : some questions, dans Goodburn (R.) et Bartholomey (Ph.) (éd.) – Aspects of the Notitia dignitatum. Oxford, 1976 [BAR SS, 15], p. 124. Notons par ailleurs que si Mâcon semble bien un

ajout tardif (cf. Notitia galliarum, éd. Mommsen, p. 585), ce ne serait pas le cas de Chalon (ibid., p. 584).

313 Sidoine Apollinaire, Epistolarum, IV, 25.

314 Bien que B. Beaujard doute de ce fait : Beaujard, Topographie Chrétienne Chalon, p. 69.

315 Gauthier, L’évangélisation des pays de la Moselle, p. 449-453.

316 Et non à Châlons-sur-Marne comme l’indique N. Gauthier, op. cit., p. 452, fig. 26. D’un point de vue philologique, on ne saurait en effet accepter que Donatianus Cabellonorum provienne de cette localité dont le nom antique est

Catalaunum (comme l’indiquent les batailles des Champs catalauniques en 275 et 451 ou Notitia galliarum, VI, 4 : ciuitas Catalaunorum).

317 En dernier lieu : Schwarz (P.-A.) – Kaiseraugst et Bâle (Suisse) aux premiers temps chrétiens, dans Ferdière,

Capitales éphémères, p. 121-124.

318 CIL XIII, 2924. Selon J.-L. Voisin - Auxerre gallo-romaine, dans Delor, CAG 89/1, p. 175, cette opération de recensement serait liée à la naturalisation des pérégrins en 212.

319 CIL XIII, 921. Les tablettes de patronage en bronze ont été découvertes dans une villa des environs d’Agen, où le gouverneur Claudius Lupicinus avait du se retirer. Sur ce personnage, Stroheker, Senatorische Adel, n° 227, p. 189 ; Krause (J.U.) – Das spätantike Städtepatronat, Chiron, 17, 1987, p. 76, n° 165.

Auxerre Nevers Autun Chalon Mâcon Alise Entrains Briare Avallon Beaune Bourbon-L. Tournus CITE d'AUXERRE

CITE DES EDUENS

CITE DE CHALON Bourb ince Dheun e Saôn e Saôn e Doubs Seine Ar ma on Yonne Yonne Loir e Loir e Allie r

Fig. 9. Cités des Eduens, d’Auxerre et de Chalon durant l’Antiquité tardive. LINGONS SENONS ARVERNES SEQ UANES CITE DE LYON BITURIGES

Fig. 10. Cités mentionnées sur la stèle d’Aurelius Demetrius (CIL XIII, 2924), adjoint d’un

procurateur chargé du recensement de plusieurs cités de Lyonnaise centrale dans le courant du IIIe siècle.

Le premier évêque clairement attesté est Valerianus, qui souscrit au pseudo-concile de Cologne de 346321. Les Gestes des évêques d’Auxerre le recensent à peu près à la même époque (elles placent son décès vers 335). La liste des signataires du pseudo-concile étant désormais considérée comme authentique, il n’y a pas lieu de douter qu’Auxerre ait été une capitale de ciuitas à la fin des années 340.

Les recherches de J.-L. Voisin ont permis de reconsidérer la question. Partant du postulat que l’Auxerrois faisait partie de la cité des Eduens au Haut-Empire, cet auteur a proposé que le milliaire de Prégilbert322 ait été érigé au moment de la création de la cité d’Auxerre323. Notons cependant que le problème de restitution de la ligne 6 contribue à mettre en doute l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’une borne frontalière324. Par ailleurs, l’idée selon laquelle le datif de la formule dédicatoire indiquerait que la nouvelle ciuitas ait tenu tout à la fois à borner son territoire, à en faire préciser les limites, en particulier à l’égard de sa cité d’origine, celle des Eduens, et à remercier dans le même mouvement et sur la même borne, celle de Prégilbert, l’empereur qui lui avait offert cette proposition325 se heurte à un contre-argument : sur ce milliaire, les distances sont comptées à partir d’Autun (ab Aug(ustoduno) m(illia) p(assuum)), ce qui indique que, même si l’on admet qu’il s’agit bien d’une borne frontalière, elle a été posée dans la cité des Eduens et non dans celle d’Auxerre, d’où auraient dû être comptées les milles de l’indication de distance.

Ainsi, il semble prudent de se limiter au constat que la cité d’Auxerre existe bel et bien à l’époque constantinienne, mais que la date exacte de sa création ne peut être précisément située à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe siècle. Bien que l’hypothèse de J.-L. Voisin soit pour l’instant la plus intéressante, il manque encore quelques éléments probants pour pouvoir affirmer que la ciuitas Autissiodorensium est une création de l’Empire des Gaules.

L’étendue même de la cité d’Auxerre durant l’Antiquité tardive est difficile à cerner : on sait, sur la base très fiable du règlement d’Aunaire, qu’à la fin du VIe siècle, l’étendue de la ciuitas est alors à peu près identique à celle de la fin du Moyen-Age326. La situation antérieure est en revanche plus floue : la création de la cité de Nevers avant 517 (son premier évêque apparaît au concile burgonde d’Epaone) pose problème (fig. 7, p. 61, n° 1). On a traditionnellement pensé que cette cité avait été créée soit au détriment de la cité des Eduens, soit de celle d’Auxerre, soit des deux à la fois. Alors que la troisième solution paraît peu crédible327, les deux autres opinions paraissent plus vraisemblables. J. Favrod paraît avoir justement démontré que la création de la cité de Nevers doit procéder d’un démembrement de la ciuitas auxerroise : elle serait due à la présence des Burgondes dans la partie sud du territoire, créant à l’occasion une nouvelle cité - et un nouvel évêché - afin de mieux contrôler cette région328.

I.C.3 LA LYONNAISE ORIENTALE DURANT LA PREMIERE MOITIE DU IVE SIECLE

Malgré la poursuite d’incursions alémaniques jusque dans les années 300, comme en témoigne l’épisode où Constance Chlore doit se réfugier en catastrophe dans l’enceinte de Langres sous la menace des Alamans329, la Tétrarchie semble correspondre à une sensible amélioration du contexte politique en Gaule de l’Est.

Dans la cité des Eduens, qui fait désormais partie de la province de Lyonnaise I, le temps des proscriptions de Victorin semble révolu. Les faveurs de Constance Chlore, puis, quelques années plus tard, de son fils Constantin, indiquent un retour en grâce de la ciuitas. Les rares données prosopographiques montrent la présence d’Eduens à la cour impériale : Eumène, directeur des écoles

321 Conciles Gaulois IVe siècle, p. 70. 322 CIL XVII, 2, 491 (= XIII, 9023).

323 Voisin (J.-L.) – Auxerre gallo-romaine, dans Delor, CAG 89/1, p. 175-178.

324 Supra, § I.C.1.2.1.

325 Voisin, op. cit., p. 177.

326 Gesta pontificium autisiodorensium, 19.

327 Ce serait un unicum en Gaule, où la création d’une nouvelle ciuitas se fait toujours au détriment d’une seule cité.

328 En témoignerait selon lui le fait que l’évêché de Nevers fut ultérieurement rattachée au métropolitain de Sens, possible souvenir de l’appartenance antérieure de son territoire à la province de Lyonnaise IV.

329 Panegyricus Constantino dictus, VI, 3 ; Eutrope, IX, 23. Sur cette campagne de Constance, Demougeot, Invasions

71 d’Autun en 298, a été magister memoriae de Constance Chlore330, et deux autres notables, auteurs des panégyriques de Constance en 297 et de Constantin en 310, ont effectué des carrières palatines331.

Les différents auteurs des panégyriques de Constance Chlore et Constantin montrent un certain nombre de mesures en faveur des Eduens : Constance installe des colons et des artisans, fait effectuer des réparations sur des édifices autunois, Constantin procède à un important dégrèvement fiscal en 311. Les Ecoles Méniennes sont réouvertes par les Tétrarques, qui recrutent des professeurs de rhétorique et de droit332, sans doute afin d’assurer la formation des fonctionnaires chargés d’accompagner la réforme provinciale de Dioclétien. L’ampleur de ces tentatives de restauration de la cité des Eduens est encore discutée et parfois mise en doute. Elles montrent, quoi qu’il en soit, une implication soutenue des empereurs de la dynastie constantinienne dans cette cité.

Durant l’époque constantinienne, Autun demeure une ville liée au pouvoir. C’est là que Marcellinus, comes rerum priuatarum de Constance organise en 350 le complot destiné à renverser l’empereur au profit de Magnence333. Ce dernier est immédiatement acclamé par la population, peut-être fière de disposer désormais de son propre empereur334.

Au début du IVe siècle, les sources écrites montrent la poursuite à Autun d’une vie municipale proche de celle du Haut-Empire. Le sénat local est mentionné lors de la visite de Constantin en 311. La restauration des Ecoles payée par Eumène suggère le maintien de pratiques évergétiques, ce qui est rare dans les provinces nord-occidentales de l’Empire à cette époque.

Dans la cité fraîchement créée de Chalon, faisant elle aussi partie de la province de Lyonnaise I, les sources sont beaucoup moins riches qu’à Autun : Constantin et ses troupes embarquent en 310 au port de Cabillonum pour attaquer Maximien à Arles335 ; une constitution du Code Théodosien montre que l’empereur est encore présent dans l’agglomération en 316336 lors d’un voyage de Trêves à Sardique par Vienne et Arles337. Malgré la sécheresse des textes, l’agglomération semble alors relativement importante, puisque Ammien Marcellin la place parmi les principales villes de Gaule Lyonnaise338.

Pour la cité d’Auxerre, les textes sont à peu près inexistants : l’unique mention concerne son évêque Valerianus, présent dans la liste des souscripteurs du pseudo-concile de Cologne339.