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SAAST Acad. MACON

I. B.2.2 La sigillée luisante

I.B.2.2.1 Définition et historique des recherches

L’identification de la sigillée luisante est due à N. Lamboglia, qui en a publié le premier catalogue typologique112. Cependant, l’auteur avait peiné à dissocier sigillée claire B et sigillée luisante. Ces deux productions, définies grâce au matériel des fouilles de Vintimille sont des dérivés de sigillée présentant des aspects métallescents. A. Desbat et M. Picon ont montré que la sigillée claire B et la luisante diffèrent autant dans le répertoire typologique que dans la chronologie. L’analyse chimique des pâtes met en évidence deux groupes d’ateliers distincts : ceux de la claire B se situent dans la vallée du Rhône, en aval de Lyon et doivent être datés de la fin du Haut Empire, ceux de la luisante dans les environs du lac du Bourget (Savoie), et datent de l’Antiquité tardive113.

La sigillée luisante est une céramique massivement diffusée, du nord du val de Saône et du plateau suisse au nord, de la Catalogne à la région de Vintimille au sud114.

La publication des ateliers de Portout et Conjux (Savoie) a permis de dresser le catalogue le plus complet des formes de la sigillée luisante115. Le site producteur de Portout n’offrant pas la stratigraphie d’un site de consommation, les datations proposées dans la publication sont relativement imprécises. Par ailleurs, seuls deux phases certaines ont été mises en évidence : la fin du IIIe siècle et le Ve siècle, la phase tardive ayant essentiellement été datée par les importations méditerranéennes. À Portout, les amphores associées au dépotoir tardif sont des types classiques dans la première moitié du Ve siècle (amphores africaines Keay XXV, amphores ibériques Dr 23, Almagro 51 A-B et 51 C)116. Se basant sur ce matériel, les fouilleurs ont proposé un arrêt des productions autour de 450, sans exclure toutefois la poursuite ultérieure de la production117.

I.B.2.2.2 Aspects typologiques et chronologiques

En 1993, la publication de l’article Sigillée luisante dans le DICOCER constitue un tournant dans la recherche118. C. Raynaud abandonne la typologie de N. Lamboglia pour ne retenir que celle de l’atelier de Portout. Il apparaît en effet que la première est notoirement incomplète, et qu’elle regroupe sous un même type des formes montrant de sensibles variations. Par ailleurs, C. Raynaud propose quelques modifications de la typologie de J. et C. Pernon, mais surtout une datation de la plupart des productions119. D’une manière générale, les propositions chronologiques demeurent larges car rares sont les publications d’ensembles contenant de la sigillée luisante.

Selon C. Raynaud :

- les formes Pernon 2, 19, 32/34, 37a (Lamboglia 1/3), 71, 94 apparaissent au début du IVe siècle. Toutes sont attestées jusqu’au milieu du siècle suivant à l’exception de la forme P 37a qui donne naissance à la forme P 37b à partir de 350.

- la forme Pernon 36 est postérieure aux années 330 et est produite jusqu’au début du Ve siècle.

112 Lamboglia (N.) – Nuove osservazione sulla « terra sigillata chiara » I, tipi A e B, Revue d’Etudes Ligures, 24, 1958, p. 257-330.

113 Desbat (A.) et Picon (M.) – Sigillée claire B et « luisante » : classification et provenance, Figlina, 7, 1986, p. 5-18.

114 Desbat et Picon, op. cit.

115 Pernon (J. et C.) – Les potiers de Portout. Productions, activités et cadre de vie d’un atelier au Ve siècle ap. J.C. en Savoie. 20e

suppl. à la R.A.N., 1990.

116 Villedieu (F.) – Portout : le matériel importé : amphores et lampes, dans Pernon Portout, p. 189-199.

117 Pernon, Portout, p. 214-216.

118 Raynaud (C.) – Céramique luisante, dans Py (M.) (dir.) – DICOCER. Dictionnaire des céramiques antiques (VIIe s. av.

n.è. – VIIe s. de n. è.) en Méditerranée nord-occidentale (Provence, Languedoc, Ampurdan). Lattes, 1993 [Lattara, 6], p. 504-510. 119 Celles-ci reposent en grande partie sur les contextes de consommation de l’agglomération de Lunel-Viel (Hérault) : Raynaud (C.) – Le village gallo-romain et médiéval de Lunel-Viel (Hérault). La fouille du quartier ouest (1981-1983). 1990, Paris, 1990 [ALUB, 422], p. 115-220.

37 - les formes Pernon 8, 9, 10 (Lamboglia 33), 11, 12, 14, 15, 20, 21, 22, 28, 31/33, 37b, 38, 39, 50, 52/60, 61, 70, 72, 73, 91, 93, 97, 110 sont postérieures au milieu du IVe et produites au moins jusqu’au milieu du Ve siècle.

- la forme Dicocer P 41 serait attestée durant tout le Ve siècle.

De nombreuses formes ayant une datation extrêmement large (allant parfois de la fin du IIe au milieu du Ve siècle) et leur évolution typologique étant mal cernée, leur utilisation comme fossile directeur est donc difficilement envisageable120.

Malgré son utilité, le classement de C. Raynaud semble comporter quelques invraisemblances typologiques et chronologiques, notamment avec certaines formes des plus courantes. Ainsi, il propose un arrêt de la fin de la production de la forme Pernon 37 au milieu du IVe siècle alors que de nombreux contextes consommateurs infirment cette supposition. Dans le dépotoir 95-110 de Lunel-Viel (Hérault), on retrouve sept bols Pernon 37 (Lamb. 1/3) associés a plusieurs formes de sigillée africaine D (trois Hayes 59b, un Hayes 67) et décors de style A, une amphore africaine Keay XXVb, mais aussi une imitation d’aes 4 théodosien. C. Raynaud date ce comblement de l’extrême fin du IVe et du premier tiers du Ve siècle121. Notons en revanche l’absence de bols Pernon 37 dans la tranchée d’épierrement 14, datée de la fin de la première moitié du Ve siècle. A Narbonne, quelques P 37 sont associés à un très abondant matériel du premier quart du Ve siècle122. En Arles, l’état 6B du site de l’Esplanade, datable du tout début du Ve siècle a livré cinq Pernon 37 (Lamb. 1/3), un P 27 (Lamb. 2), trois gobelets Pernon 62 (Lamb. 14 et 14/26), associés à de la sigillée africaine D (formes Hayes 59, 61 et 91 essentiellement)123. Enfin, à Lyon, la période 7 de la fouille de Saint-Jean, datée par G. Ayala de la première moitié au milieu du Ve siècle a livré de très nombreux exemplaires, malheureusement non illustrés dans la publication124. Ainsi, il apparaît que la forme Pernon 37 (Lamb. 1/3) se rencontre très fréquemment dans des contextes postérieurs au milieu du IVe siècle et que sa production semble plus longue que celle suspectée par C. Raynaud.

En revanche, quelques aspects techniques et typologiques non signalés par C. Raynaud méritent d’être relevés. L’aspect de l’engobe paraît constituer un critère relativement fiable permettant de distinguer les sigillée luisantes du IVe siècle de celles du Ve siècle : alors que les productions précoces possèdent un engobe foncé, virant parfois au bordeaux, avec des aspects métallescents prononcés, les productions du Ve

siècle ont un aspect généralement bien plus orangé125 et une métallescence moins maîtrisée. Par ailleurs, J. et C. Pernon avaient noté que les formes les plus tardives de Portout étaient généralement les plus carénées126. Dans leur catalogue, nous attribuerions volontiers au Ve siècle de nombreuses variantes de la forme Pernon 37 (XXVIII-86, 88, 91, 92 ; XXIX-96, 97 et 104, XXX-106 à 108), ce que semblent confirmer les quelques contextes consommateurs du Ve siècle disponibles à Genève et Mâcon127. Enfin, l’étude de contextes consommateurs indique que certaines formes de sigillée luisante doivent être exclusivement attribuées au Ve siècle. Outre la forme Pernon 37 carénée, la forme Pernon 39, qui paraît être une variante évoluée de la forme Pernon 37 se caractérisant par un bord anguleux et une carène marquée, n’apparaît jamais dans des contextes antérieurs au Ve siècle. Il est préjudiciable que les articles de G. Congès et de G. Ayala128 n’incluent pas de reproductions des nombreux Lamb. 1/3 qu’ils signalent dans leurs niveaux du Ve siècle, car il est possible que cette forme ait été confondue, en raison de la

120 Ce problème concerne principalement les formes P 27, 62 (Lamboglia 14/26) et 74 (Lamboglia 28), fréquentes dans les contextes tardifs.

121 Raynaud (C.) – Le village gallo-romain et médiéval de Lunel-Viel (Hérault). La fouille du quartier ouest (1981-1983). 1990, Paris, 1990 [ALUB, 422], p. 200-209.

122 Sabrié (M. et R.) – Les céramiques importées, dans Solier (Y.) (dir.) – La basilique paléochrétienne du Clos de la

Lombarde à Narbonne. Cadre archéologique, vestiges et mobiliers. Paris, 1991 [23e suppl. à la RAN] p. 116-117.

123 Congès (G.) et Leguilloux (M.) – Un dépotoir de l’Antiquité tardive dans le quartier de l’Esplanade à Arles, RAN, 24, 1991, p. 201-234.

124 Ayala (G.) – Lyon Saint-Jean : évolution d’un mobilier céramique au cours de l’Antiquité tardive, RAE, 49, 1998, p. 207-247.

125 C’est ainsi le cas de la jatte Pernon 37 en couverture de la publication de Portout, op. cit.

126 Pernon, Portout, p. 216.

127 Haldimann (M.-A.) – Genève 6, dans Schucany (C.), Martin-Kilcher (S.), Berger (L.), Paunier (D.) (dir.) – Römische

Keramik in der Schweitz. Bâle, 1999, p. 104 et pl. 12, n° 12-13 et 13, n° 40 ; [71270-01], pl. 369, n° 13 et 370, n° 11. 128 Congès et Leguilloux, op. cit. ; Ayala, op. cit.

simplicité de la typologie de N. Lamboglia, avec la forme Pernon 39. C. Raynaud a observé à juste titre une « géométrisation » des bords des Lamb. 1/3 au Ve siècle, particulièrement à partir des années 450129.

La forme P 20-21 semble, en l’attente de publications complémentaires, uniquement attestée dans des contextes du Ve siècle130, tout comme une forme de Portout classée par J. et C. Pernon comme étant une variante du numéro 34/36, pl. XXVII, n° 66. Il pourrait s’agir d’une variation autour du thème de la jatte carénée en céramique commune claire bistre, fréquente dans les contextes des Ve et VIe siècles dans le bassin Saône / Rhône. Ce type est d’ailleurs présent dans une fosse du début de la seconde moitié du Ve

siècle à Mâcon131.

L’arrêt de la production des sigillées luisantes demeure difficile à dater. Il s’agit pourtant d’un sujet de première importance, dans la mesure où cette céramique fine constitue le principal fossile directeur de l’Antiquité tardive dans le bassin Saône / Rhône. Comme pour de nombreuses productions gauloises de l’Antiquité tardive, nous nous heurtons ici au redoutable problème des datations postérieures aux années 450 en l’absence de matériel d’importation méditerranéenne. Lors de la publication de l’atelier de Portout, J. et C. Pernon avaient proposé un arrêt de la production de Portout au milieu du Ve siècle tout en envisageant prudemment la possibilité de quelques productions postérieures132. Quelques rares études dans la vallée du Rhône ont depuis envisagé une pérennité des productions dans la deuxième moitié du Ve

siècle133, mais les ensembles significatifs demeurent particulièrement rares pour ces époques134. I.B.2.3 Les céramiques à revêtement argileux de Jaulges / Villiers-Vineux (Yonne)

I.B.2.3.1 Présentation

L’atelier de potiers est situé à cheval sur les communes de Jaulges et Villiers-Vineux (Yonne), dans la vallée de l’Armançon. Dans l’Antiquité, il se trouve dans une agglomération secondaire située à la limite des cités des Sénons et des Lingons, le long de la voie de Sens à Alesia par Tonnerre135. Son activité semble s’étendre du IIe au Ve siècle. Ses productions sont variées : céramique sigillée au IIe - IIIe siècle, céramique à revêtement argileux (métallescente), amphores, céramique commune. Les productions à revêtement argileux sont actuellement les mieux connues.

Les premières investigations scientifiques sur le site de production remontent au début des années 1970. Son importance durant l’Antiquité tardive a alors rapidement été reconnue. Les travaux de J.-P. Jacob et H. Leredde ont en effet permis d’attribuer à l’atelier de Jaulges-Villiers-Vineux la forme céramique spécifique Chenet 323, jusque là considérée comme une production argonnaise malgré son absence sur les ateliers connus de G. Chenet136. Ces chercheurs ont par ailleurs proposé un début de typo-chronologie des productions, où ils affinent la typologie de la forme Ch 323 en lui attribuant trois variantes (Ch 323a, b et c)137.

L’importance de la diffusion des productions de cet atelier dans le Bassin Parisien et la Bourgogne septentrionale a récemment été rappelée par J.-M. Séguier et D. Morize, qui ont en outre réactualisé le

129 Raynaud, Lunel Viel, p. 208-209, fig. 111, n° 1116-1118 (silo 230).

130 Comme à Mâcon, rue Dinet [71270-01].

131 Kasprzyk, Cognot, op. cit.

132 Pernon, Portout, p. 216.

133 Raynaud, Lunel-Viel.

134 On citera celui de la cathédrale de Genève, publié par M.-A. Haldiman, qui suggère un arrêt définitif de la production au début du VIe siècle : Haldimann, op. cit.

135 Jacob (J.-P.) et Leredde (H.) – Les potiers de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne), étude d’un centre de production,

Gallia, 42, 1985, p. 167-192.

136 Chenet (G.) – La céramique gallo-romaine d’Argonne et la terre sigillée décorée à la molette. Mâcon, 1941, p. 73 (maintenant cité Chenet, Argonne IVe ) : Je n’ai jamais encore rencontré en atelier de manqués complets, ni même de tessons de cette écuelle 323,

mais comme on la trouve toujours dans les cimetières du IVe siècle avec du mobilier céramique d’Argonne, je tiens à la signaler, d’autant plus que sa pâte et sa facture me paraissent bien argonnaises.

137 On consultera notamment Jacob (J.-P.) et Leredde (H.) – L’officine de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne), RAE., 25, 1974, p. 365-386 ; A propos des jattes de forme Chenet 323, Actes RCRF, XIX-XX, 1977, p. 77-84 ; Les potiers de Jaulges-Villiers-Vineux (Yonne), étude d’un centre de production, Gallia, 42, 1985, p. 167-192.

39 répertoire des formes dressé il y a vingt-cinq ans 138. Il semble désormais certain que la jatte Ch 323 est exclusive à Jaulges-Villiers-Vineux et que d’autres productions caractéristiques de l’Antiquité tardive dans le nord de la Gaule, comme le gobelet Ch 333, sont attestées sur l’atelier.

I.B.2.3.2 Aspects technologiques et typologiques

Les productions de Jaulges présentent une pâte sableuse, sans mica et légèrement feuilletée. Aux IVe – Ve siècles, l’engobe perd son aspect métallescent au profit de couleurs orangées.

Selon J.M. Séguier et D. Morize139, deux formes sont caractéristiques de l’Antiquité tardive : - la forme Ch 323 (= Séguier 5.01 et 02), postérieure au milieu du IIIe siècle, est produite jusque dans les années 450. Les formes abâtardies (épaississement de la lèvre, engobe mat, décor à la lame vibrante presque inexistant) sont typiques des productions les plus tardives et seront considérées comme postérieures à 400. L’utilisation de forme Ch 323 comme moyen de datation ne semble pas a priori poser de problème car sa chronologie a été clairement définie. Toutefois, dans le détail, la typo-chronologie pourrait s’avérer plus complexe. C’est le cas, par exemple, de la forme Chenet 323b (Séguier 5.02140), datée des années 230 et 350 apr. J.-C. Le type illustré dans la publication semble correspondre à une variante ancienne du Ch 323 qui, en Bourgogne, est absente des contextes postérieurs à l'époque tétrarchique. Un problème de définition similaire se pose avec le type Ch 323a (Séguier 5.01141). L’analyse de contextes de consommation datables du IVe siècle conduit à penser que cette forme, telle qu'elle est illustrée dans leur publication, n'est jamais attestée dans des contextes antérieurs à l'époque valentinienne. Les Ch 323 retrouvés dans les contextes des deux premiers tiers du IVe correspondent au type défini et dessiné par Chenet142, que nous proposons d'appeler « Ch 323a, variante précoce ». Dès lors, il est hautement envisageable que le Ch 323a dessiné dans l'article de J.-M. Séguier et D. Morize soit en fait caractéristique des variantes évoluées du Ch 323a, sans doute datables de la fin du IVe et du Ve siècle.

Ces observations sont importantes lors de l'étude du mobilier de fouille comme de prospection, dans la mesure où admettre un arrêt de la production de la forme Ch 323b au milieu du IVe siècle a pour conséquence d'augmenter très fortement le nombre de sites de cette période. De même, dater la production de la variante « évoluée » du Ch 323a entre les années 300 et le milieu du Ve siècle fausserait la vision que l’on pourrait avoir de l’occupation au Ve siècle.

- la forme Ch 333 (Séguier 6.03) postérieure à 350 (antécédents possibles dans la première moitié du IVe

siècle), elle est produite jusqu’au tout début du Ve siècle.

- par ailleurs certaines formes attestées à la fin du IIIe siècle perdurent après 300 (formes Séguier 1.01, 2.01, 5.03 (Ch 323c) et 04 (Drag 45), 6.02, 7.01 et 02 (Nied 33). Toutefois, à l’exception des Ch 323c et Drag 45 dont la production s’interrompt vraisemblablement à la fin de la première moitié du Ve siècle, aucune ne perdure après le milieu du IVe siècle.