8 Normes géométriques
Théorème 8.21. Soit E un k-espace vectoriel de dimension finie muni d’une norme géométrique non archimédienne p
8.6 Comparaison avec la notion de norme pour les corps localement compacts
On suppose que le corps k soit localement compact comme espace topologique. Si la valeur abso-lue est archimédienne c’est toujours le cas ; si la valeur absoabso-lue de k est non archimédienne, le corps
k est localement compact si et seulement si son corps résiduel ek est un corps fini.
Soit E un k-espace vectoriel de dimension finie. Si la valeur absolue de k est archimédienne (resp. non archimédienne) on considère l’ensembleN (E,k) des normes archimédiennes (resp. non archi-médiennes) sur le k-espace vectoriel de dimension finie V(E)(k) = E∨.
Comme k est localement compact, l’espace topologique P(E)(k) (la topologie étant induite par l’inclusion canonique de P(E)(k) dans P(E)) est compact. Si p, q ∈ N (E,k), leur rapport p/q descend en une fonction continue sur l’espace topologique P(E)(k) et on pose
dN (E,k)(p, q) := sup x∈P(E)(k) ¯ ¯ ¯ ¯ logp(x) q(x) ¯ ¯ ¯ ¯ .
L’application dN (E,k)définit une distance et on munit l’ensembleN (E,k) de la topologique induite par cette distance. Le Théorème de Ascoli-Arzelà montre que l’espace topologiqueN (E,k) est locale-ment compact.
Soit p une norme géométrique sur le k-espace vectoriel E. Si la valeur absolue de k est archimé-dienne (resp. non archiméarchimé-dienne) on suppose qu’elle soit hermitienne (resp. non archiméarchimé-dienne). Pour toute extension finie k0de k, l’application que p induit sur le k0-points de V(E),
p(k0) : V(E)(k0) = E∨⊗kk0−→ R+,
est une norme hermitienne (resp. non archimédienne). Elle est de plus invariante sous l’action du groupe Autk(k0) des automorphismes de k0en tant que k-algèbre. On définit ainsi une application
ρ(k0) :N (E) −→ N (E,k0)Autk(k0). Pour tout p, q ∈ N (E), comme P(E)(k0) ⊂ P(E)0
k, on a
dN (E,k0)(p(k0), q(k0)) ≤ dN (E)(p, q).
En particulier, l’applicationρ(k0) est continue et propre au sens topologique. Comme les espaces to-pologiquesN (E) et N (E,k0) sont localement compacts, elle est donc fermée.
Si la valeur absolue de k est archimédienne, l’applicationρ(k) est une bijection et donc un ho-méomorphisme (même une isométrie). Si la valeur absolue est non archimédienne et la dimension du k-espace vectoriel E est plus grande ou égale à 2,ρ(k) n’est jamais une bijection. Cela est lié au fait suivant. Soit k0une extension finie galoisienne du corps k : si l’extension k0est assez ramifiée, les points de l’immeuble de GL(E) — ou en général d’un k-groupe réductif — sur k0fixes sous l’action de groupe de Galois Gal(k0/k) contiennent strictement les points de l’immeuble de sur k. En on montrera un exemple élémentaire pour k = Q2.
On suppose dorénavant que la valeur absolue de k soit non archimédienne. Soit p une norme non archimédienne sur le k-espace vectoriel E∨. En vertu de [GI63, Proposition 1.1] il existe une base
t1, . . . , tndu k-espace vectoriel E et des nombres réels strictement positifsα1, . . . ,αntels que, pour tout
x ∈ E∨on ait
p(x) = max{α1|t1(x)|,...,αn|tn(x)|}.
La norme p s’étend alors en une norme géométriquep sur le k-espace vectoriel E en posant, pourb
tout x ∈ V(E),
b
p(x) := max{α1|t1(x)|,...,αn|tn(x)|}.
La définition dep ne dépend pas du choix des nombres réelsb α1, . . . ,αnet de la base t1, . . . , tn tels que
Proposition 8.39. L’application
σ(k) : N (E,k) −→ N (E)
ainsi définie est une section deρ(k), i.e., ρ(k) ◦ σ(k) = id. En outre, elle est une isométrie qu’identifie N (E,k) avec un sous-espace fermé de l’espace topologique N (E).
Démonstration. Il est clair par définition queρ(k)◦σ(k) = id. Il s’agit donc de vérifier que l’application σ(k) est une isométrie. Soient p,q des normes sur le k-espace vectoriel V(E)(k). D’après [GI63, Propo-sition 1.3] il existe une base t1, . . . , tndu k-espace vectoriel E et des nombres réels strictement positifs α1, . . . ,αn,β1, . . . ,βntels que
p = max{α1|t1|, . . . , αn|tn|}
q = max©
β1|t1|, . . . , βn|tn|ª En vertu de [GI63, Proposition 2.1] on a alors
dN (E,k)(p, q) = log max
i =1,...,n ½αi βi ,βi αi ¾ . Le même calcul, fait sur toute extension analytique de k, montre que
dN (E)(p,bq) = log maxb
i =1,...,n ½ αi βi ,βi αi ¾ , ce qui termine la preuve.
Pour toute extension finie k0de k on obtient donc une application d’extension des scalaires ρ(k0) ◦ σ(k) : N (E,k) −→ N (E,k0)Aut(k0/k).
Il s’agit d’une application isométrique et donc continue, propre au sens topologique et injective. Il n’est pas vrai en général qu’elle est surjective : au contraire, lorsque l’extension k0est assez ramifiée, elle ne l’est jamais.
Exemple 8.40. Cet exemple est inspiré par [RTW11, Example 5.2]. On considère le corps des nombres 2-adiques k = Q2muni de l’unique valeur absolue |·| telle que |2| = 1/2. Soient E un Q2-espace vectoriel de dimension 2 et k0= Q2(θ) avec θ2= 2.
Soient t1, t2une base du Q2-espace vectoriel E etα ∈]p2, 2p
2] un nombre réel. On considère la norme non archimédienne p sur le k0-espace vectoriel V(E)(k0) définie par
p(x) := max{|t1(x)|,α|t2(x) − θt1(x)|}.
La norme p est invariante sous l’action du groupe de Galois Gal(k0/Q2) = {id,τ}. En effet, l’élément τ agit envoyantθ en −θ, et :
– si |t1(x)| ≥ α|t2(x) − θt1(x)|, alors p(τ(x)) = |t1(x)| = p(x) ;
– si par contre on a |t1(x)| < α|t2(x) − θt1(x)|, alors il s’agit de montrer qu’on a |t2(x) − θt1(x)| = |t2(x) + θt1(x)|.
D’autre part, on a
|t2(x) + θt1(x)| = |(t2(x) − θt1(x)) + 2θt1(x)| = |t2(x) − θt1(x)| car par hypothèse on a :
|2θt1(x)| < α 2p
On montre qu’elle ne provient pas par extension des scalaires d’une norme non archimédienne sur le
k-espace vectoriel E. Plus précisément on va voir que la restriction de la norme p au k-espace vectoriel
E est la norme non archimédienne
q(x) := p|E∨(x) = max{α|θ||t1(x)|,α|t2(x)|}. (8.6.1) On suppose pour l’instant de l’avoir montré et on note qk0la norme sur le k0-espace vectoriel V(E)(k0) déduite de q par extension des scalaires. Soit e1, e2la base du k-espace vectoriel E∨duale à la base
t1, t2. On considère l’élément de V(E)(k0),
x = e1+ θe2. On a alors
qk0(x) = max{α|θ|,|θ|} = α p
2> 1 = max{1, 0} = p(x) et donc p n’est pas la norme déduite de q par extension des scalaires à k0.
On passe à montrer (8.6.1). Pour le faire on va suivre la procédure dans la démonstration du Théo-rème 8.21 (et donc de [GI63, Proposition 1.1]). Les fonctions q := p|E∨et |t2| sont des fonctions homo-gènes sur le k-espace vectoriel E∨et leur rapport |t2|/p descend donc en une fonction continue
|t2|/q : P(E)(k) −→ R+
La fonction |t2|/p atteint son maximum en le point [e2] défini par la classe d’équivalence de e2: il s’agit de montrer que pour toutλ ∈ Q2on a
1 max{|λ|,α|1 − θλ|}≤ 1 α= |t2(e2)| q(e2) , et donc, de manière équivalente,
max{|λ|,α|1 − θλ|} ≥ α. Si |λ| ≥ α, c’est vrai. Si |λ| < α et |θλ| 6= 1 alors
|1 − θλ| = max{1, |θλ|} ≥ 1
etα|1 − θλ| ≥ α. D’autre part, on a toujours |λ| 6= |θ|−1=p2 car par hypothèseλ appartient à Q2. Tout élément v ∈ E∨s’écrit sous la forme v = t1(v)e2+t2(v)e2. Puisque la norme géométrique q est non archimédienne, on a
q(v) ≤ max©|t1(v)|q(e1), |t2(v)|q(e2)ª = max{α|θ||t1(x)|,α|t2(x)|}. D’autre part, la fonction |t2|/q atteint son maximum en le point e2. Par conséquent,
q(v) ≥ α|t2(v)| et donc
q(v) = max{α|θ||t1(x)|,α|t2(x)|}, ce qui termine la démonstration de (8.6.1).
Soient k0une extension finie galoisienne du corps k et p une norme non archimédienne sur le k0 -espace vectoriel V(E)(k0) invariante sous l’action du groupe de Galois Gal(k0/k). La construction faite avant donne alors une norme géométrique non archimédiennep sur le kb 0-espace vectoriel E ⊗kk0. De
plus, elle est invariante sous l’action de Galois et elle descend donc en une norme géométrique non archimédienne sur le k-espace vectoriel V(E) que l’on note encorep.b
On définit ainsi pour toute extension finie galoisienne k0de k une application isométrique σ(k0) :N (E,k0)Gal(k0/k)−→ N (E)
telle queσ(k0) ◦ ρ(k0) = id. En particulier, si la dimension de E est plus grand ou égale à 2, l’application ρ(k) : N (E) −→ N (E,k)
n’est pas une bijection.