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Chapitre deux : Sefarad ou l’écriture de l’Autre

4. Un auditeur-narrateur

Dans La realidad de la ficción149, Muñoz Molina met en exergue l’importance de l’oralité et de l’écoute en racontant deux épisodes marquants de son enfance : l’histoire que lui avait racontée son grand-père sur une femme que l’on avait enterrée vivante et les heures passées à écouter des feuilletons à la radio de la salle à manger familiale. Suivant ce précepte le protagoniste de son œuvre

Sefarad garde parfois le silence et se consacre tout entier à l’acte d’écouter (S,

p. 458). Il est placé en situation de narrataire et, pleinement habité par les expériences et les souvenirs des autres, il devient une caisse de résonance, la mince membrane où vibrent leurs mots (S, p. 458). Il peut donc être auditeur des histoires de personnages secondaires. Aussi, le narrateur extradiégétique de

Sefarad n’est pas le seul à prendre en charge le récit puisque d’autres personnages

assument épisodiquement la narration. Dans le récit cadre, viennent s’intercaler des récits enchâssés, autrement dit des narrations secondaires qui peuvent s’articuler à la trame principale ou fonctionner de façon autonome.

4.1. Les narrations secondaires intercalées dans le récit

premier : « Copenhague », « Sefarad » et « Oh tú que lo

sabías »

Les chapitres « Copenhague », « Sefarad » et « Oh tú que lo sabías » participent à la fois du récit cadre, en raison de la présence du narrateur

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extradiégétique, et du récit enchâssé, puisque des personnages secondaires y font le récit de leur vie. Si le narrateur extradiégétique assume le récit de la trame principale de l’œuvre, il apparaît aussi comme l’auditeur des histoires d’autrui. Aux côtés du protagoniste, se trouve donc une multitude de personnages qui prennent tour à tour en charge une narration de second niveau et dont les propos apparaissent au sein du récit principal. Ces narrateurs intradiégétiques sont, entre autres, Camille Pedersen-Safra, une femme de lettres danoise descendante de juifs espagnols qui, dans « Copenhague », raconte au protagoniste sa fuite hors de France lors la seconde guerre mondiale, Emile Roman, un écrivain roumain d’origine juive, que ce dernier écoute dans « Sefarad » s’insurger, au bar de l’hôtel Excelsior de Rome, des injustices commises contre les juifs depuis cinq siècles, ou Isaac Salama, directeur de l’Athénée espagnole de Tanger, à qui il rend visite dans « Oh tú que lo sabías ». Pour comprendre comment ces récits s’intercalent dans la trame principale, et parce qu’ils fonctionnent peu ou prou de la même façon, nous choisissons arbitrairement, de nous intéresser à ce dernier chapitre, pour déjouer les modalités de l’entremêlement de la trame principale et de la trame secondaire.

Nous pouvons tout d’abord observer qu’un dialogue s’instaure dans « Oh tú que lo sabías » entre le narrateur extradiégétique et le personnage secondaire. La bibliothécaire de l’Athénée confirme que les deux personnages se trouvent dans le bureau de ce dernier par l’usage d’« ustedes » dans son invitation à descendre rejoindre le musicien Andrescu : « cuando ustedes quieren bajar » (S, p. 152). Un échange s’instaure entre les deux hommes, comme nous pouvons le remarquer à travers d’une part les questions que Salama pose au protagoniste : « ¿Y sabe lo que hay allí? » (S, p. 130) « ¿Se ha fijado en lo alta que ondea la bandera francesa? » (S, p. 151) ou : « Qué puede entender usted, y perdóneme que se lo digo si tiene sus dos piernas y sus dos brazos » (S, p. 149) et d’autre part les impératifs par lesquels il l’interpelle : « mire los franceses (…) compare nuestro Ateneo con la Alliance Française » (S, p. 151). Isaac Salama s’adresse bel et bien au narrateur extradiégétique (S, p. 146). Dans ce chapitre se trouve ainsi un texte d’accueil au sein duquel se loge un discours cité c’est-à-dire un discours qui relate des propos tenus par un locuteur différant de celui du discours citant. Dans « Oh tú que lo sabías », l’énonciateur du texte d’accueil est le narrateur extradiégétique de l’œuvre dans la mesure où ce dernier, après avoir été le narrataire d’Isaac Salama,

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relate a posteriori la conversation qu’il a eue avec lui. Nous avons donc dans le récit deux strates : le discours rapportant du narrateur extradiégétique et le discours rapporté d’Isaac Salama.

Les propos d’Isaac Salama sont relayés par le narrateur extradiégétique via des verba dicendi autrement des verbes désignant les actes de parole, comme les verbes suivants : « decía el señor Salama » (S, p. 123), « dijo el señor Salama » (S, pp. 127 et 128), « dice » (S, p. 131) ou « clamaba el señor Salama » (S, p. 150). Ces verbes sont employés pour rapporter les paroles d’autrui comme nous pouvons le constater dans la formulation : « Decía el señor Salama, en Tánger, que fue a visitar el campo de Polonia » (S, p. 123) où l’apodose, la seconde partie de la phrase, qui recouvre les dires de Salama est introduite par le verbe de parole « decía ». Les verbes de parole ne sont néanmoins pas les seuls à pouvoir rapporter les propos d’un personnage. Nous pouvons le constater à travers les exemples : « el señor Salama se culpaba » (S, p. 138) et « había sentido » (S, p. 138) qui rendent compte des paroles d’Isaac Salama, même si les verbes employés ne désignent pas dans leur sens premier des actes de parole. Ce sont des verbes qui expriment des activités intellectuelles ou des sentiments, que nous considérons néanmoins comme des verbes de parole parce qu’ils extériorisent des pensées ou des mouvements affectifs. Ces verbes de parole signalent que le discours du personnage secondaire est rapporté. Il existe deux types de discours rapportés : le discours rapporté indirectement qui est lié à un verbe introducteur et revêt la forme d’une complétive et le discours rapporté directement dans lequel l’énonciateur répète simplement le discours qu’il reprend en l’indiquant par deux-points et des guillemets.

Les propos des personnages secondaires sont tout d’abord rapportés au style indirect. En effet, si l’on se réfère à notre premier exemple : « Decía el señor Salama, en Tánger, que fue a visitar el campo de Polonia » (S, p. 123), nous pouvons remarquer que la proposition subordonnée s’insère dans le récit sans rupture énonciative. Elle n’a pas d’indépendance syntaxique et se construit forcément comme un complément du verbe introducteur. Il existe également une adaptation de la conjugaison du verbe second puisque celui-ci n’est pas « fui » mais « fue » c’est-à-dire qu’il y a un passage de la première à la troisième personne. Cette dernière transposition ainsi que le recours à la subordonnée

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complétive témoignent qu’il s’agit là d’un discours indirect. En somme, l’usage du discours indirect témoigne que le narrateur extradiégétique n’invente pas mais rapporte les propos de son ami Isaac Salama.

Le chapitre « Oh tú que lo sabías » présente enfin de nombreux exemples de discours direct. Isaac Salama poursuit sa complainte en exprimant d’autres regrets introduits eux aussi par la conjonction « si » : « si no las hubiéramos dejado solas en casa, si hubiéramos tardado un poco menos en volver » (S, p. 148). Cependant, ces dernières doléances sont à différencier de celles précédemment étudiées car cette fois la première personne est conservée ce qui démontre que le personnage secondaire assume lui-même le récit de son histoire et que ses regrets sont rapportés au style direct. Le personnage secondaire d’Isaac Salama s’exprime directement à de nombreuses reprises comme lorsqu’il rappelle son enfance : « A nuestros vecinos, a mis amigos de la escuela, a los colegas de mi padre, a todos se los llevaban» (S, p. 127) ou « Yo no quería ser judío cuando los otros niños me tiraban piedras » (S, p. 149). Ce discours direct est délimité par des guillemets et/ou précédé d’un verbe introducteur, comme nous pouvons le remarquer lorsque le narrateur extradiégétique entend, dans un train où voyage un groupe de gens de lettres et de professeurs, un homme prononcer le nom de Salama :

Alguien dice el nombre del señor Salama, seguido por una expresión de burla y asombro y una carcajada: « No me digas que lo conociste tú también, al viejo Salama, años y años sin acordarme de él. (…) Y ahora que me acuerdo, hablando de la cojera: ¿a ti no te contó lo del viaje en el tren a Casablanca, cuando conoció a una tía? Pues ya es raro, porque parece que se lo contaba a todo el mundo, en cuanto bebía dos copas, y empezaba siempre por lo mismo, un poema de Baudelaire, ¿tampoco te lo llegó a recitar? ». (S, pp. 153-154)

Dans cet exemple, plusieurs signes typographiques et énonciatifs permettent d’identifier la présence d’un discours direct : le retrait à la ligne, les guillemets qui introduisent et concluent les propos rapportés et le verbe déclaratif « dice » qui présente ces derniers. Il existe donc dans cet extrait un discours direct dans la mesure où l’énoncé cité de l’homme du train s’insère directement dans l’énoncé citant du narrateur extradiégétique. Ce discours direct transmet l’information en toute neutralité et correspond à la forme la plus littérale de la reproduction de la

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parole d’autrui dans le sens où il reconstitue à l’identique, c’est-à-dire sans adaptation de personne ni de temps, les propos d’un personnage secondaire dans le discours citant du narrateur extradiégétique. Le discours rapporté direct ne modifie donc pas le discours original mais est déposé tel quel dans le texte d’accueil, comme si le lecteur pouvait percevoir la voix du personnage énonciateur. Parfois, le narrateur extradiégétique peut également introduire les propos d’un personnage secondaire puis les restituer au style direct en n’intervenant pas davantage par la suite, de sorte que seule la phrase introductive permet d’affirmer qu’il s’agit d’un discours rapporté comme l’exprime Dorrit Cohn : « Il nous faut considérer (…) le cas, typologiquement intéressant, de textes dans lesquels les formules d’introduction constituent le seul contexte à la troisième personne d’un monologue rapporté »150. Le narrateur extradiégétique nomme dans ce cas le personnage qui va s’exprimer puis le laisse parler à la première personne sans intervenir ensuite. Il en est ainsi du discours d’Isaac Salama lorsqu’il évoque l’arrestation des juifs. Ce monologue à voix haute commence par la phrase où se trouve l’incise manifeste du discours rapporté « dijo el señor Salama » dans : « A nuestros vecinos, a mis amigos de la escuela, a los colegas de mi padre, a todos se los llevaban, dijo el señor Salama » (S, p. 127) et se termine par la référence aux officiers hongrois qu’il considère encore plus sanguinaires et rudes que les SS presque une page plus loin sans autre marque tout du long du discours rapporté. Il en est de même lorsqu’Isaac Salama raconte l’errance avec son père. Ce monologue débute par : « Mi padre y yo habíamos ido a buscar algo de comida, dijo el señor Salama, y cuando volvíamos a casa el marido de la portera, que tenía buen corazon, salió para advertirnos que nos alejáramos » (S, p. 128) et se poursuit durant plus de deux pages jusqu’à « El cobertizo de una estación y un letrero oxidado » (S, p. 130) sans aucun autre signal explicite de la citation que l’indication « dijo el señor Salama » dans la phrase initiale. Par la seule présence de ces deux incises qui introduisent d’emblée la restitution, ces deux extraits s’affichent non comme des monologues autonomes mais comme des monologues rapportés. Dorrit Cohn affirme que : « Cette réduction à leur plus simple expression des formules d’introduction, tout en attirant l’attention sur le monologue en tant que tel, laisse

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ce dernier intact »151. Le discours direct est aussi dans ce cas extrême le plus apte à reproduire littéralement la parole d’autrui.

En définitive, dans « Oh tú que lo sabías », le narrateur extradiégétique converse avec son ami Isaac Salama. Les paroles de ce dernier sont rapportées selon deux modalités : le discours indirect qui témoigne que le narrateur extradiégétique n’invente pas ce qu’il dit mais retranscrit les propos qu’il entend et le discours direct qui reproduit fidèlement les mots de Salama. Dans « Oh tú que lo sabías » mais aussi dans « Copenhague » et « Sefarad », le narrateur extradiégétique introduit au sein de son récit les histoires des personnages qu’il a rencontrés et avec qui il a conversé. Il fait vœu d’authenticité dans la mesure où il rapporte les propos des autres tels quels, sans les dénaturer. Ainsi, non seulement il n’invente rien puisqu’il se restreint strictement aux expériences des autres, mais il cède aussi la parole à des personnages secondaires pour qu’ils narrent leurs propres histoires, ou se fassent eux-mêmes les porte-paroles d’autres.

4.2. Les récits autonomes, autodiégétiques dans « Cerbère » et

« Sherezade », homodiégétique dans « Sacristán » et

hétérodiégétique dans « América »

Dans nombre de chapitres de Sefarad, le narrateur extradiégétique s’efface et laisse la place à des narrateurs intradiégétiques. Dans « Cerbère » et « Sherezade » par exemple, des narratrices de second niveau racontent leur propre histoire. Dans « Cerbère », le narrateur extradiégétique n’assume plus qu’une part minime du récit pour présenter la femme venue rendre visite à son épouse et à lui : « Es una mujer de sesenta y tantos años, con una presencia de clase acomodada » (S, p. 277) et pour s’afficher comme son auditeur : « No hay límite a las historias insospechadas que se pueden escuchar con sólo permanecer un poco atento » (S, p. 277). Le récit de cette femme débute dès les premiers mots du chapitre lorsque

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celle-ci reçoit une lettre de l’ambassade d’Allemagne à Madrid lui demandant de récupérer une boîte en carton qui contient des effets personnels de son père, disparu durant les premiers temps de la guerre civile espagnole. Ce courrier donne l’occasion à la narratrice de revenir sur son histoire et notamment sur son enfance, le départ de son père ou les souffrances subies par sa mère sous le franquisme pour avoir été l’épouse d’un républicain. Cette narratrice est intradiégétique et autodiégétique puisqu’elle raconte une histoire de second niveau dont elle est le personnage central. C’est le cas également de la narratrice de «Sherezade » dont le récit débute dès les premiers mots du chapitre : « Estaba tan nerviosa según cruzábamos aquellos salones dorados que me temblablan las piernas » (S, p. 313) et ne s’achève qu’avec celui-ci : « no recuerdo dónde se quedó mi caja de música (…) y a lo mejor aquella caja la tiene alguien todavía (…) y cuando la abre escucha Sherezade, y se pregunta a quién le perteneció » (S, p. 337). Cette jeune femme communiste y raconte la réception organisée pour les soixante ans de Staline puis revient sur l’exil qui l’a menée dans son enfance depuis l’Espagne jusqu’en Union Soviétique. Tout au long du chapitre, seule la voix du personnage féminin s’élève, le narrateur extradiégétique ayant cette fois presque complètement disparu. Elle est, elle aussi, une narratrice intradiégétique autodiégétique puisqu’elle raconte sa propre histoire dans un récit de second niveau dont elle assume la narration.

Le narrateur de « Sacristán », bien qu’il narre également une trajectoire personnelle, signale quant à lui de surcroît qu’il appartient au groupe de ceux qui ont fait leur vie loin de leur Andalousie natale. Il fait partie d’un ensemble de personnages comme l’indique la première personne du pluriel qu’il emploie pour évoquer la nostalgie de sa terre et de son passé dans les formulations : « Preferíamos (…) la lenta proximidad de nuestra tierra » (S, p. 15) et « a muchos nos gustaría vivir en el pasado » (S, p. 18). Il ne parle pas individuellement mais au nom d'une collectivité. Les histoires qu’il narre sont donc les siennes mais aussi celles de ses compatriotes. Il évoque ainsi sa propre enfance en rappelant qu’à cette époque il était coutumier que sa mère l’envoie effectuer quelque course dans l’échoppe du cordonnier Mateo Chirino (S, p. 29) ou que son père l’accompagne chez le barbier Pepe Morillo (S, p. 31) mais il ne se limite pas à raconter ses propres souvenirs. Son récit s’intéresse surtout aux histoires de ses camarades et

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notamment de Godino qu’il fréquente régulièrement puisque ce dernier, en sa qualité de secrétaire de la délégation des andalous de Madrid, organise des conférences et des récitals de poésie. Par les incises « declama Godino » (S, p. 11), « como dice Godino » (S, pp. 12 et 19), « dice Godino » (S, pp. 18-19), « dijo Godino » (S, p. 26) ou encore « cuenta Godino » (S, p. 27), il montre qu’il adopte le point de vue du personnage de Godino et reprend ses expressions. Il narre non seulement les différentes facettes de son ami comme son goût pour les produits régionaux mais aussi les aventures d’autres personnages que celui-ci lui raconte, comme celle d’Utrera qui donne les traits de Mateo Chirino à sa sculpture de Judas. Ainsi, le narrateur de « Sacristán », qui est un narrateur intradiégétique puisqu’il assume une narration de second niveau, n’est pas un narrateur autodiégétique mais un narrateur homodiégétique dans le sens où il participe en tant que personnage à l’histoire qu’il raconte mais n’en est pas le héros. Il s’intéresse surtout à ses compagnons, comme Godino, mais aussi comme Mateo Chirino que l’on retrouve également dans « América ».

Dans « América », le récit se porte sur une jeune novice qui folâtre secrètement avec le cordonnier. Cependant, la religieuse ne s’exprime directement dans le chapitre que de manière épisodique dans les formulations : « Le hablaba, en voz muy baja » (S, p. 362) et « Sor María del Gólgota, qué suplicio de nombre, si yo no me llamo de verdad Francisca, o mejor todavía Fanny, como me llamaba mi padre » (S, p. 362). Elle n’agit pas en tant que narratrice de son récit puisque son histoire est narrée à la troisième personne : « La hermana joven estaba más pálida de lo habitual esa mañana, la cara apagada y sin brillo, la línea de los párpados enrojecida y las ojeras violáceas » (S, p. 350), « Sor María del Gólgota estaba muy enferma » (S, p. 352). Elle est le personnage principal du récit d’un narrateur intradiégétique présenté de la façon suivante : « el que cuenta (…) recita unos versos: La morcilla, gran señora/ Digna de veneración » (S, p. 353). Ces vers sont ceux que citait le narrateur de « Sacristán » pour désigner son ami Godino dans le sens où cette ode aux aliments est strictement propre à ce personnage. Ils prouvent non seulement la présence du personnage de Godino dans « América » mais, puisque dans l’exemple suscité ils sont attribués explicitement à celui qui raconte (S, p. 353), ils affirment aussi son statut de narrateur. Ainsi, Godino est dans « América » un narrateur intradiégétique

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hétérodiégétique dans la mesure où il raconte les sentiments amoureux de son acolyte Mateo pour une religieuse, c’est-à-dire une histoire de second niveau à laquelle il ne participe pas en tant que personnage.

En somme, le narrateur extradiégétique de Sefarad apparaît souvent comme un auditeur-narrateur puisque l’œuvre est constituée d’un vaste réseau de locuteurs. En adoptant une posture d’allocutaire, le narrateur extradiégétique fonde une partie de son récit sur les expériences et les histoires des autres montrant par là même sa démarche d’authenticité et son refus d’inventer. Le narrateur de premier niveau permet à des personnages secondaires de prendre la parole et laisse place à des discours de second niveau dont la retranscription, suivant deux modalités, autrement dit les styles direct et indirect, garantit l’exactitude. De cette façon, le narrateur extradiégétique intercale dans son récit les histoires de personnages secondaires comme celles de Salama dans « Oh tú que lo sabías ». Cependant, dans nombre de chapitres, le protagoniste de l’œuvre vient à s’effacer, laissant par conséquent des personnages secondaires assumer eux-mêmes la narration. Ces narrateurs intradiégétiques peuvent être autodiégétiques comme c’est le cas par exemple des héroïnes de « Cerbère » et de « Sherezade », homodiégétique tel le protagoniste de « Sacristán » ou hétérodiégétique à l’instar de Godino dans « América ». L’œuvre n’est plus uniquement le récit d’une histoire personnelle mais elle est l’écriture des autres. Dans Sefarad, les voix se font écho et