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L'intégration des élèves à besoins particuliers à l'école enfantine et à l'école primaire. Pratiques singulières et formation des futures enseignantes et futurs enseignants

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Master

Reference

L'intégration des élèves à besoins particuliers à l'école enfantine et à l'école primaire. Pratiques singulières et formation des futures

enseignantes et futurs enseignants

BRAHIER, Agnès

Abstract

En 2007, les directrices et directeurs de l'instruction publique adoptent un accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée. Ce concordat inclut le principe selon lequel il faut encourager l'intégration des enfants et adolescents en situation de handicap dans les classes ordinaires. Les étudiant-e-s HEP d'aujourd'hui sont les futur-e-s actrices et acteurs de la mise en oeuvre du concept d'école intégrative. Ils et elles seront nécessairement amené-e-s à ouvrir leur classe à des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers. La partie théorique de cette recherche s'articule autour du domaine de l'éducation spéciale et son histoire, de la notion de handicap avec l'évolution de ses représentations, et décline plusieurs modèles et niveaux d'intégration. Elle évoque aussi la formation des enseignant-e-s intégratifs. La partie empirique repose sur les fondements épistémologiques de l'approche compréhensive. L'analyse des données permet d'une part de mettre en évidence plusieurs composantes favorisant un projet d'intégration, d'autre part de dégager des [...]

BRAHIER, Agnès. L'intégration des élèves à besoins particuliers à l'école enfantine et à l'école primaire. Pratiques singulières et formation des futures enseignantes et futurs enseignants. Master : Univ. Genève, 2012

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:20246

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MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU MASTER EN SCIENCES DE L'EDUCATION -

ORIENTATION FORMATION D'ADULTES

PAR Agnès Brahier

DIRECTRICE DU MEMOIRE Caroline Dayer

JURY

Britt-Marie Martini-Willemin Gisela Chatelanat

GENEVE, février 2012

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

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En 2007, les directrices et directeurs de l’instruction publique adoptent un accord

intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée. Ce concordat inclut le principe selon lequel il faut encourager l'intégration des enfants et adolescents en situation de handicap dans les classes ordinaires.

Les étudiant-e-s HEP d’aujourd’hui sont les futur-e-s actrices et acteurs de la mise en œuvre du concept d’école intégrative. Ils et elles seront nécessairement amené-e-s à ouvrir leur classe à des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers.

La partie théorique de cette recherche s'articule autour du domaine de l'éducation spéciale et son histoire, de la notion de handicap avec l'évolution de ses représentations, et décline plusieurs modèles et niveaux d'intégration. Elle évoque aussi la formation des enseignant-e- s intégratifs.

La partie empirique repose sur les fondements épistémologiques de l'approche

compréhensive. L'analyse des données permet d'une part de mettre en évidence plusieurs composantes favorisant un projet d'intégration, d'autre part de dégager des réflexions et des pistes d'action pour la formation des enseignant-e-s.

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Mémoire de Master en Sciences de l’Education – Orientation formation d’adultes

L’intégration des élèves à besoins particuliers à l’école enfantine et à l’école primaire. Pratiques singulières et formation des futures enseignantes et futurs enseignants.

Agnès Brahier Porrentruy

Directrice : Caroline Dayer Membres du jury :

Britt-Marie Martini-Willemin

Gisela Chatelanat Février 2012

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SOMMAIRE

Introduction ... - 5 -

PARTIE I : Contexte de la recherche et apports théoriques ... - 9 -

Chapitre 1 : Contexte de la recherche, le concordat sur la pédagogie spécialisée ... - 9 -

1.1. Historique ... - 9 -

1.2. Les instruments découlant du concordat ... - 10 -

1.3. Le concordat dans l’espace BEJUNE, Berne, Jura et Neuchâtel ... - 10 -

Apports théoriques ... - 14 -

Chapitre 2 : La notion de handicap, un regard historique ... - 14 -

2.1. La personne en situation de handicap à travers les différents contextes historiques ... - 15 -

2.1.1. De l’Antiquité au 19ème siècle ... - 15 -

2.1.2. Le 19ème siècle ... - 17 -

2.1.2.1. Le développement de la notion de handicap mental ... - 18 -

2.1.2.2. L’évolution du mouvement institutionnel ... - 18 -

2.1.2.3. L’éducation spécialisée ... - 19 -

2.1.3. Des espoirs éphémères (1900-1945) ... - 19 -

2.1.3.1. Tests et handicap mental léger ... - 20 -

2.1.3.2. De l’eugénisme à l’extermination ... - 20 -

2.1.4. Au lendemain de la 2ème Guerre mondiale ... - 21 -

2.1.4.1. Le développement de l’explication scientifique ... - 21 -

2.1.4.2. Les associations de parents ... - 22 -

2.1.4.3. Les notions de normalisation et d’intégration ... - 24 -

2.1.5. Synthèse ... - 25 -

2.2. Le développement des classes spéciales ... - 25 -

2.2.1. Synthèse ... - 27 -

2.3. Plusieurs manières de penser la notion de handicap ... - 28 -

2.3.1. Conception classique de la notion de handicap ... - 28 -

2.3.2. La classification internationale des handicaps (CIH) ... - 29 -

2.3.3. Le processus de production de handicap (PPH) ... - 30 -

2.3.4. La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) ... - 31 -

2.4. Synthèse ... - 32 -

Chapitre 3 : Intégration, intégrations ... - 33 -

3.1. L’intégration, un processus interactif ... - 33 -

3.2. De l’exclusion au principe d’intégration ... - 34 -

3.3. Intégration scolaire, un terme polysémique ... - 35 -

3.3.1. Quatre modèles d’intégration ... - 36 -

3.4. Plusieurs niveaux d’intégration ... - 37 -

(6)

3.5. L’intégration comme réponse à la « valorisation des rôles sociaux » ... - 39 -

3.6. La pédagogie de l’inclusion ... - 40 -

3.7. Stigmate et stigmatisation ... - 41 -

3.8. Synthèse ... - 43 -

Chapitre 4 : La formation des enseignantes et des enseignants ... - 44 -

4.1. Pratiques actuelles de formation à la HEP- BEJUNE ... - 44 -

4.2. Un nouveau programme de formation ... - 46 -

4.3. Les besoins de formation des futures enseignantes et enseignants ... - 46 -

4.3.1. Formation liée aux besoins spécifiques ... - 47 -

4.3.2. Formation liée aux rôles spécifiques des enseignantes et enseignants ... - 47 -

4.3.3. Formation liée aux conditions de réussite de l’intégration ... - 48 -

4.3.4. Formation liée à l’attitude de l’enseignante et de l’enseignant ... - 49 -

4.4. Inclusion scolaire et formation à l’enseignement ... - 49 -

4.5. Synthèse ... - 50 -

PARTIE II : Démarche méthodologique ... - 52 -

Chapitre 5 : Questionnements et hypothèses ... - 52 -

Chapitre 6 : Méthodologie ... - 53 -

6.1. Démarche compréhensive et entretiens semi-directifs ... - 53 -

6.2. Recueil des données : questionnaires et entretiens ... - 54 -

6.2.1. A l’échelle cantonale ... - 54 -

6.2.2. Personnes interrogées ... - 55 -

6.3. Les personnes interrogées et leurs élèves intégrés ... - 57 -

6.4. Démarche analytique ... - 63 -

PARTIE III Analyse des données ... - 64 -

Chapitre 7 : Attitude et expérience de l’enseignante et de l’enseignant ... - 64 -

7.1. Points de vue des enseignantes et des enseignants ... - 64 -

7.2. Retours conceptuels ... - 73 -

7.3. Perspectives pédagogiques ... - 75 -

Chapitre 8 : Collaborations professionnelles, nouveaux rôles et nouvelles formes de travail .. - 78 -

8.1. Points de vue des enseignantes et des enseignants ... - 78 -

8.2. Retours conceptuels ... - 94 -

8.3. Perspectives pédagogiques ... - 98 -

Chapitre 9 : D’un modèle éducatif séparatif à un modèle éducatif intégratif ou inclusif ... - 100 -

9.1. Points de vue des enseignantes et des enseignants ... - 100 -

9.2. Retours conceptuels ... - 109 -

9.3. Perspectives pédagogiques ... - 114 -

Chapitre 10 : Synthèse ... - 118 -

10.1. Retour sur la question de recherche et les hypothèses... - 118 -

(7)

10.2. Une approche systémique ... - 122 -

10.3. Limites du travail et perspectives ... - 124 -

Chapitre 11 : Conclusion ... - 126 -

Chapitre 12 : Remerciements et souhaits ... - 129 -

Bibliographie ... - 130 -

Annexes ... - 135 -

Annexe 1 : Accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée du 25 octobre 2007 : but et principes de base

Annexe 2 : L’intégration en Italie

Annexes 3a et 3b : Questionnaire à l’intention des responsables de la mise en œuvre des modalités d’intégration définies par les trois cantons de l’espace BEJUNE

Annexe 4 : Guide d’entretien pour les enseignantes et enseignants titulaires

Annexe 5 : Plan cadre pédagogie spécialisée HEP-1

Annexe 6 : Plan cadre pédagogie spécialisée HEP-2

Annexe 7 : Plan cadre pédagogie spécialisée HEP-3

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I NTRODUCTION

Cette recherche s’inscrit dans le cadre de notre activité professionnelle à la HEP-BEJUNE1 en section préscolaire et primaire, et, d’une manière plus globale, dans le contexte politique de l’entrée en vigueur du concordat sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée2. Dès le 1er janvier 2008, l’école publique est seule responsable des offres de pédagogie spécialisée, et, par conséquent, des enfants et des jeunes ayant des besoins éducatifs particuliers. Un autre enjeu repose sur le principe que les solutions intégratives sont préférées aux solutions séparatives en matière de scolarisation, ceci dans le respect du bien-être et des possibilités de l’élève et en tenant compte de l’environnement scolaire.

Le point de départ de notre questionnement est sans nul doute le module de pédagogie spécialisée3 inscrit dans le cursus de formation des étudiantes et étudiants de 3ème année sur lequel nous avons eu l’opportunité de poser un double regard.

Dans un premier temps en 2008, lors du stage rattaché au module professionnel du Master option formation des adultes (FPSE, université de Genève), nous avons effectué, en tant qu’étudiante stagiaire et pour une demande institutionnelle, un inventaire des contenus de ce module de pédagogie spécialisée et des pratiques spécifiques pour chacun des trois sites de formation de la HEP-BEJUNE : Bienne, Porrentruy et La Chaux-de-Fonds.

Dans un second temps, dès 2009, notre collaboration en tant que formatrice sur le site de La Chaux-de- Fonds à l’organisation partielle de ce module selon ses modalités habituelles a permis un regard plus approfondi sur les pratiques mises en œuvre.

Deux questions de départ ont émergé des observations et constats issus de ce double mandat. En premier lieu, dans quelle mesure les étudiantes et étudiants en formation préscolaire et primaire sont préparés pour répondre aux exigences de l’école intégrative de demain ? En d’autres termes, est-ce que les contenus des cours abordés durant le cursus de formation, en particulier durant le module de pédagogie spécialisée, répondent réellement aux objectifs du concordat, ou, de manière plus générale, à ceux d’une école intégrative ?

La 2ème question est liée aux doutes et aux sentiments mitigés des étudiantes et étudiants en regard des pratiques intégratives. Aussi, nous nous demandons pour quelles raisons un certain nombre parmi eux se montrent réticents, sceptiques voire critiques en regard de la problématique de l’intégration des élèves à besoins particuliers dans les classes ordinaires. Leurs arguments les plus fréquemment cités sont le retard pris par la classe ordinaire en termes d’atteinte des objectifs en fin d’année, le risque

1 Haute école pédagogique de Berne, Jura et Neuchâtel.

2 Ce point est développé dans le chapitre 1.

3 Voir chapitre 4, en particulier la section 4.1.

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d’iniquité et d’inégalité entre les élèves face à l’apprentissage dû à davantage de temps passé avec l’élève intégré, la surcharge de travail pour les titulaires, la méconnaissance de diverses situations de handicap.

Nous avons choisi de nous intéresser à la 1ère question dans cette étude, ceci en raison de la réorganisation actuelle des programmes de formation du cursus HEP. Ainsi, les réflexions conduites durant l’année 2010-2011 dans les groupes de travail de chaque domaine de formation en HEP ont-elles abouti à la rédaction de nouveaux plans cadres en septembre 2011, pour une entrée en vigueur en août 2012. Pour notre part, nous avons collaboré dans le groupe de travail « pédagogie spécialisée ». Il nous semblait donc pertinent et intéressant pour l’institution de nous pencher sur la problématique de l’intégration des enfants à besoins particuliers dans les classes ordinaires sous l’angle de la formation des futures enseignantes et enseignants, parallèlement à la construction du nouveau programme de formation.

Cette recherche autour du thème général de l’intégration nous conduit, dans le chapitre 1 du travail, à observer brièvement comment l’intégration visée par le concordat sur la pédagogie spécialisée est mise en œuvre dans les trois cantons de l’espace BEJUNE, pour une meilleure compréhension de la législation en vigueur. A l’issue de cette première étape opérationnelle où cadre et contexte sont posés, émergent des questions d’un autre ordre, liées à un des principes fondamentaux de l’accord intercantonal stipulant que les mesures intégratives doivent être préférées aux solutions séparatives, conformément à la loi fédérale de 2002 sur l’égalité pour les personnes handicapées. Dans les faits, il s’agit d’intégrer des élèves à besoins éducatifs particuliers dans les classes ordinaires préscolaires et primaires. Développées dans le cadre théorique, nos questions se précisent :

Elèves à besoins éducatifs particuliers ? De qui parle-t-on ? Qui sont ces élèves ?

Nous nous intéressons à ces élèves en particulier dans le chapitre 2, en questionnant deux domaines distincts mais complémentaires : le domaine de l’éducation spéciale avec son histoire, et la notion de handicap. Au niveau conceptuel, nous développons la notion de handicap avec l’évolution de ses représentations, ses diverses classifications montrant l’évolution des conceptions. Ceci débouche sur le concept de normalisation. Nous montrons le rôle important des parents au niveau de la prise en charge de leurs enfants pas comme les autres.

Qu’est-ce que l’intégration ? Que signifie intégrer ? Qu’est-ce qu’une école intégrative ?

Le chapitre 3 met en lumière plusieurs modèles et niveaux d’intégration. On y trouve notamment développés la notion d’insertion comparée à l’assimilation et à l’inclusion, la norme liée aux processus de stigmatisation, et le concept de normalisation par la valorisation des rôles sociaux.

Comment la formation peut-elle préparer les étudiantes et étudiants au passage d’un système éducatif séparatif à un système éducatif favorisant l’intégration de toutes et de tous à l’école ? Le chapitre 4 revient à la première question de départ. Toutefois, il ne s’agit plus de considérer si les contenus actuels de la formation des étudiantes et étudiants sont suffisants dans le contexte d’une école

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intégrative, étant donné la perspective du nouveau programme et son incidence positive sur l’importance du domaine de la pédagogie spécialisée dans la formation initiale. Des pratiques de formation, issues pour la plupart du contexte québécois, nous apportent quelques pistes de réponses à cette question.

La deuxième partie du travail, avec les chapitres 5 et 6, s’articule autour de la démarche méthodologique et des fondements épistémologiques qui réfèrent à l’approche compréhensive.

Des pratiques intégratives ont déjà cours dans l’espace BEJUNE, ceci avant même l’entrée en vigueur du concordat en janvier 2011. Aussi, c’est avec des enseignantes et enseignants déjà concernés par l’accueil d’élèves à besoins particuliers que nous nous entretenons.

Les chapitres 7 à 9 composent la troisième partie de la recherche, qui se centre sur la phase d’analyse des entretiens, d’où sont dégagées des réflexions et des pistes d’action pour la formation des futures enseignantes et enseignants de l’école primaire.

En définitive, les objectifs de ce travail sont :

• observer les modalités de mise en œuvre du concordat sur la pédagogie spécialisée par les cantons de l’espace BEJUNE (Berne, Jura et Neuchâtel)

• répertorier les caractéristiques de pratiques intégratives diverses conduites par des enseignantes et des enseignants sur le terrain

• à partir de leurs discours et réflexions sur leurs pratiques, dégager des éléments susceptibles d’être intégrés dans le domaine de la pédagogie spécialisée du nouveau programme de formation HEP, en phase terminale de construction

• préciser les caractéristiques d’une école intégrative, voire d’une école inclusive

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Préambule au sujet de la terminologie

- Le terme intégration doit être entendu dans son sens générique. Il englobe toutes formes d’intégration qui sont distinguées en sections 3.3.1. et 3.6.

- Plusieurs termes ou expressions en lien avec la notion de handicap apparaissent en italique dans le chapitre 2. Le choix de cette forme d’écriture veut respecter les terminologies en vigueur au cours de l’histoire, mais signifie également notre refus d’utiliser une terminologie stigmatisante et connotée péjorativement aujourd’hui. Aussi, dès le chapitre 3, le substantif handicapé par exemple, sera-t-il remplacé par l’expression « personne en situation de handicap », selon la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’OMS (2001) développé dans la section 2.3.4. Néanmoins, les citations directes sont reprises telles quelles des auteurs, il n’apparaît donc pas de lexique en caractères italiques dans celles-ci.

- on distingue les enseignantes et enseignants réguliers, ordinaires, titulaires ou généralistes des enseignantes et enseignants spécialisé-e-s

- on distingue les classes ordinaires ou régulières des classes spécialisées

- les enfants intégrés dans les classes ordinaires sont les élèves à besoins éducatifs particuliers ou élèves à besoins spécifiques. Pour Plançon (2010), un élève à besoins éducatifs particuliers, abrégé parfois élève à BEP dans les textes, est « un élève qui demande une attention particulière ou qui rencontre à un moment précis une difficulté particulière ».

- sous les lexiques élève et enfant on entend les garçons et les filles

- pour la commodité de la lecture, nous utilisons souvent le masculin pour désigner les personnes ; le masculin peut désigner indifféremment une femme ou un homme. Cette règle d’écriture ne s’applique pas lorsqu’il s’agit des enseignantes et des enseignants, des étudiantes et des étudiants, étant donné que les métiers de l’enseignement sont occupés majoritairement par des femmes.

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PARTIE I : C ONTEXTE DE LA RECHERCHE ET APPORTS THÉORIQUES

Le fait même d’évoquer l’intégration des élèves à besoins spécifiques dans les classes ordinaires implique une connaissance de la législation actuellement en vigueur, notamment du concordat sur la pédagogie spécialisée, ce dernier servant parfois à justifier l’intégration préconisée. Le côté politique de la question porte avant tout sur les enjeux de cet accord intercantonal.

C HAPITRE 1 : C ONTEXTE DE LA RECHERCHE , LE CONCORDAT SUR LA PÉDAGOGIE SPÉCIALISÉE 1.1. H ISTORIQUE

Le 28 novembre 2004, le peuple suisse et les cantons acceptent la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la confédération et les cantons (RPT). Ceci a pour conséquence, entre autres, un nouvel accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée, que l’assemblée plénière de la conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) adoptent sans opposition le 25 octobre 2007.

Dès le 1er janvier 2008, les cantons reprennent à leur compte la totalité de la responsabilité conceptuelle, juridique et financière concernant la scolarisation spéciale des enfants et des jeunes, et les mesures de pédagogie spécialisée. En effet, l’assurance-invalidité (AI) retire sa participation au financement et à la gestion des mesures correspondantes. Il est stipulé que le concordat entrera en vigueur dès que 10 cantons l’auront ratifié, mais au plus tôt le 1er janvier 2011. Pendant cette période transitoire de trois ans, les cantons doivent garantir pour les enfants et les jeunes en situation de handicap (les anciens assurés de l’AI) une offre conforme à celle en vigueur jusqu’à fin 2007 définie par l’AI.

Le concordat sur la pédagogie spécialisée inclut le principe selon lequel il faut encourager l’intégration des enfants et adolescents en situation de handicap dans les classes ordinaires. Ceci découle d’une prescription de la loi fédérale sur l’égalité pour les handicapés (LHand) de 2002. Il est précisé également que les solutions intégratives doivent être préférées aux solutions séparatives, ceci dans le respect du bien-être et des possibilités de développement de l’enfant ou du jeune concerné, et en tenant compte de l’environnement et du contexte scolaire. Les cantons organisent librement la mise en place des mesures de soutien ; ils décident également de la forme des classes spéciales ou des classes à effectifs réduits qu’ils proposent. Les écoles spécialisées sont quant à elles maintenues.

Le 26 septembre 2010 le canton de Bâle-Ville est le 11ème canton à adhérer au concordat. Auparavant, les cantons d’OW, SH, VS, GE, LU, VD, FR, TI, AR et BS avaient ratifié cet accord. Le nombre d’adhésions

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nécessaires à l’entrée en vigueur de ce concordat est ainsi atteint. Ces cantons s’engagent à mettre à disposition l’offre de base décrite dans le concordat.

1.2. L ES INSTRUMENTS DÉCOULANT DU CONCORDAT

Trois instruments sont issus du concordat. Une terminologie uniforme d’une part, des standards de qualité d’autre part ont déjà été approuvés par l’assemblée plénière de la CDIP. Celle-ci, lors de son assemblée du 10 juin 2010, a approuvé le troisième instrument : une procédure d’évaluation standardisée pour la détermination des besoins individuels :

Grâce à cette procédure standardisée, les services cantonaux d'évaluation disposeront d'un instrument similaire pour définir les objectifs de formation que peut atteindre un enfant qui a des besoins éducatifs particuliers et pour déterminer les mesures de soutien à prendre dans chaque cas individuel. Le fait que tous les cantons appliquent une procédure commune est envisagé de manière très positive. (CDIP, 2010)4

1.3. L E CONCORDAT DANS L ’ ESPACE BEJUNE, B ERNE , J URA ET N EUCHÂTEL

Dans le canton de Berne, le conseil exécutif bernois a adopté, en date du 19 septembre 2007, une ordonnance régissant les mesures pédagogiques particulières à l'école enfantine et à l'école obligatoire (OMPP). L’article 17 de la loi sur l’école obligatoire (LEO) de 1992 révisé en 2001 a pu ainsi être mis en œuvre le 1er janvier 2008. Les alinéas 1 et 2 stipulent:

En règle générale, il convient d'offrir aux élèves qui présentent des troubles ou des handicaps de nature à perturber leur formation scolaire la possibilité d'être scolarisés dans des classes régulières. […]. Au besoin, des mesures particulières comme l'enseignement spécialisé, l'appui pédagogique ou la scolarisation de l'élève dans une classe spéciale généralement intégrée à une école régulière seront adoptées si les objectifs de formation ne peuvent être atteints d'une autre manière. (DIP, 1992)5

Aussi, les élèves dont la scolarité est entravée par des troubles ou des problèmes d'intégration linguistique ou culturelle, ainsi que les élèves surdoués devront-ils normalement être scolarisés dans des classes régulières.

Au 1er août 2009, le conseil exécutif a adopté, avec l’ordonnance de 2007 (OMPP), un nouveau système de répartition des ressources : les fonds destinés aux mesures particulières telles les classes spéciales, l’enseignement spécialisé, ont été augmentés et mis à la disposition des communes sous la forme de

« pools » de leçons. Les communes et le corps enseignant ont dès lors davantage de moyens pour organiser et planifier les mesures pédagogiques particulières et encourager les mesures d’intégration dans

4 Voir référence électronique : site de la CDIP.

5 Voir référence électronique : site de la Direction de l’instruction publique du canton de Berne, LEO.

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les classes régulières. L’OMPP préconise de ne pas consacrer plus de 50% des ressources aux mesures séparatives ; cette disposition a déjà conduit à la fermeture de nombreuses classes spécialisées.

Au 1er août 2011, le canton de Berne passe de la phase d’introduction à la phase de mise en œuvre ; les règlements communaux et scolaires sont adaptés, la mise en place des mesures pédagogiques particulières est achevée. Au 1er août 2012, un nouveau calcul du pool de leçons sera effectué et communiqué aux communes. Selon Chételat6, le Parlement devrait ratifier le concordat en 2015 voire en 2016.

Bernhard Pulver, conseiller d’Etat bernois en charge de l’éducation, s’exprime ainsi :

Façonner une école qui tienne compte en même temps des forces et des faiblesses individuelles des enfants relève aussi bien du défi que de l’art. Il nous faut introduire des programmes de soutien à l’école qui permettent d’encourager tant les surdoués que les enfants souffrant de handicaps, à partir du potentiel qui est le leur. C’est dans la perspective de ces objectifs à atteindre que j’ambitionne à long terme une école obligatoire intégrative focalisée si possible sur l’encouragement de tous. L’égalité des chances et l’encouragement individuel occupent ainsi une place centrale. (IMEP)7

Dans son article 2, l’ordonnance du 29 juin 1993 portant exécution de la loi scolaire jurassienne de 1990 évoque la question de l’intégration des enfants en situation de handicap à l’école : « Dans la mesure du possible, l'enfant handicapé est intégré dans une classe ordinaire si cela sert ses intérêts et si ses parents ou son représentant légal le souhaitent ». L’alinéa 2 précise :

Le service de l'enseignement prend les mesures d'ordre pédagogique adéquates à cet effet, en collaboration avec les enseignant-e-s, les directions et les commissions d'école concernés. Il peut notamment accorder une dérogation aux normes relatives à l'effectif des élèves (art. 96 à 98), un appui à l'enseignant ou un soutien ambulatoire à l'élève. (1993) 8

Il est également fait mention d’une « Ecole pour tous » 9, sous la rubrique « Enseignement spécialisé » du site officiel du service de l’enseignement, précisant que

la loi scolaire jurassienne engage une pratique aussi large que possible de l'intégration au sein de l'école ordinaire des élèves à besoins éducatifs particuliers, notamment les enfants en situation de handicap et migrants. Dans tous les cas, cette intégration doit être bénéfique à l'élève et répondre au besoin de ce dernier par des mesures diversifiées et graduées les moins restrictives, tout en garantissant la qualité de l'enseignement général.10

6 Chételat, D., chef de la section francophone, office de l’enseignement préscolaire et obligatoire, du conseil et de l’orientation, s’exprimant à Bienne le 19 mai 2011, dans le cadre des journées d’études sur l’« Impact des réformes dans l’enseignement et la formation des enseignants » organisées par la HEP-BEJUNE.

7 Voir référence électronique : site de la Direction de l’instruction publique du canton de Berne, intégration et mesures pédagogiques particulières (IMEP).

8 Voir référence électronique : Ordonnance scolaire de 1993.

9 Le concept d’Ecole pour tous, ou école de quartier, est discuté en section 3.6.

10 Voir référence électronique : site de l’Ecole jurassienne, enseignement spécialisé.

(15)

Selon Régis Riat, responsable de la section Intégration au service de l’enseignement jurassien cité par Maillard (2009), la loi scolaire « était à l’avant-garde, précédant l’évolution au niveau fédéral, où la nouvelle péréquation financière a pour conséquence que les cantons prennent en charge l’élève dans sa globalité, handicap éventuel y compris » (p. 3).

Quand bien même ces diverses déclarations d’intentions, et même si l’intégration d’élèves à besoins particuliers dans les classes ordinaires se pratique dans le Jura, il n’existe aujourd’hui pas de document spécifique, voire, à l’instar de l’OMPP citée plus haut, de lignes directrices qui clarifieraient l’état d’avancement de la question de l’intégration et sa mise en œuvre effective dans le terrain. La nomination à fin 2011 d’une conseillère pédagogique pour l’enseignement spécialisé devrait permettre de faire avancer la problématique et de clarifier la situation. Notons que le Parlement doit encore se prononcer à propos du concordat. Toujours selon Riat, « les effets typiques de l’accord adviendront lorsque le canton aura ratifié cet accord ».

Nous observerons plus loin que les pratiques examinées dans le cadre de notre travail ne correspondent pas réellement aux caractéristiques du concept d’Ecole pour tous, ce qui génère un sentiment de flou dans les pratiques actuelles.

En ce qui concerne l’espace neuchâtelois, le service de l’enseignement obligatoire a émis un guide et des directives pour les projets d’intégration d’élèves qui vivent avec une déficience intellectuelle dans les classes de l’école obligatoire, entrés en vigueur dès le 1er janvier 2009. Ce guide définit le cadre général des projets d’intégration et résume les démarches essentielles à prendre en compte.

Le concept cadre prévoit la mise en place d’un projet d’intégration dans lequel sont définis des objectifs pédagogiques et socio-éducatifs, l’instauration d’une collaboration claire entre tous les partenaires et d’une pédagogie adaptée en classe, et la mise en place de mesures d’aide s’adressant à la fois à l’élève en situation de handicap, à la classe et aux enseignant-e-s, titulaire et spécialisé-e.

Selon Daniel Marthe (2010)11, chef de l’office de l’enseignement spécialisé neuchâtelois, le concordat devait initialement être soumis au Grand conseil courant 2011. Il est reporté à la session de printemps 2012. S’il est accepté, on irait, d’après Marthe, vers « un renforcement et une légitimité des pratiques actuelles, avec notamment l'utilisation de la PES (procédure d'évaluation standardisée) ». Pour lui, un nouvel équilibre scolaire serait défini avec un renouvellement dans la répartition des tâches, des ressources, des procédures, etc. « Bref, un changement considérable pour tous les acteurs concernés », poursuit-il.

11 Les propos de Marthe sont tirés du questionnaire présenté en section 6.2.1 et figurant en annexe 3a.

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D’après ces mêmes sources, les intégrations à l’école primaire sont actuellement en augmentation continuelle dans le canton de Neuchâtel, également celles où les élèves bénéficient de soutien pédagogique spécialisé (SPS). « Cette année scolaire, nous comptons 146 élèves en situation de handicap fréquentant l'école ordinaire à plein temps et bénéficiant d'une forme de SPS et 96 élèves d'écoles spécialisées en classes intégrées » (Marthe, 2010).

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A PPORTS THÉORIQUES

L’approche de l’intégration d’élèves à besoins particuliers dans les classes, vue sous l’angle du concordat sur la pédagogie spécialisée, évoque trois thématiques traitées dans le chapitre deux :

- les différentes conceptions de la notion de handicap au fil du temps ; - l’éducation spécialisée ;

- les classes spéciales.

Nous remarquons que les personnes en situation de handicap font parfois encore naître des sentiments de pitié ou de peur. Ces enfants, adolescents et/ou adultes, aujourd’hui regroupés dans des institutions spécialisées, donnent l’impression de former un groupe à part, voire ségrégué. La littérature spécifique explique dans un premier temps les phénomènes de l’exclusion, ouvrant ensuite le principe de l’intégration, objet du chapitre 3.

C HAPITRE 2 : L A NOTION DE HANDICAP , UN REGARD HISTORIQUE

La notion de handicap est apparue au moment où l’homme est apparu et chaque société l’a traitée et considérée de manière particulière. Ainsi, au fil du temps, diverses représentations du handicap se sont- elles construites, puis déconstruites, au profit de nouvelles reconstructions. Pour Stiker (2005) usant de la métaphore, la manière de considérer la personne en situation de handicap « est un peu le morceau de poterie découvert dans une fouille et qui permet des indications importantes sur la culture dont il est le vestige » (p. 175). Afin de comparer les différents regards portés par les sociétés sur les personnes handicapées, Bonjour et Lapeyre (2000) empruntent à Auguste Comte la loi des trois états, distinguant trois périodes de développement de l’humanité. Le premier stade nommé par le fondateur de la sociologie philosophique positive est le stade théologique, ou celui de la superstition, durant lequel les phénomènes sont expliqués en faisant appel aux génies, aux dieux, au surnaturel. Le deuxième stade, le stade métaphysique ou celui de l’abstraction, où l’homme tente de réfléchir de façon rationnelle. Enfin, le stade positif, ou celui de la science et de la méthode expérimentale, où l’on ne se réfère qu’à l’observation des faits et à l’analyse de leurs relations, et durant lequel est considéré vrai que ce qui peut être démontré.

Comte décrit également trois états hiérarchisés de société : une société primitive ou tribale, puis une société traditionnelle ou religieuse qui se sont construites de l’Antiquité à la fin du 16ème siècle, et, plus récemment, une société scientifique, agnostique et positive, qui débute au 17ème siècle pour trouver son apogée aux 19ème et 20ème siècles.

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2.1. L A PERSONNE EN SITUATION DE HANDICAP À TRAVERS LES DIFFÉRENTS CONTEXTES HISTORIQUES

Dans ce chapitre, nous empruntons à Lambert (1986) un découpage en quatre périodes correspondant à quatre moments phares dans l’évolution des relations entre la société et le handicap, en particulier le handicap mental.

2.1.1. D E L ’A NTIQUITÉ AU 19

ÈME

SIÈCLE

Dans l’Antiquité et ses sociétés archaïques représentant le premier état comtien, le handicap est perçu comme un châtiment, un maléfice envoyé par les dieux qui expriment leur colère à l’encontre de la société. A ce propos, Bonjour et Lapeyre (2000) notent que l’on « expose les enfants nés difformes ; on les place en quelque sorte hors de l’espace social afin qu’ils ne contaminent pas l’ensemble » (p. 66).

Cette exposition n’est pas considérée comme une mise à mort, mais plutôt comme une exclusion à caractère sacrificiel apaisant la colère divine, l’infirmité étant située du côté du mal. Selon Lamontagne- Müller (2007), « peu d’enfants différents survivaient et ceux qui arrivaient à rester en vie se voyaient souvent refuser la citoyenneté. Les enfants […] étaient la plupart du temps laissés à eux-mêmes dans le but d’être éliminés » (p. 25). Il faudra attendre le 4ème siècle pour que l’infanticide pratiqué chez les Romains soit définitivement abandonné.

Pénétrant les siècles médiévaux, la perspective judéo-chrétienne transforme les mentalités, cela correspond au « deuxième état », celui de la raison. D’après Bonjour et Lapeyre (2000), « le religieux disparaît au profit de l’éthique. L’anormalité, la différence hier liées au péché se trouvent dès lors dépendre de l’homme, et seulement de lui. Le principe de charité, encouragé par le Nouveau Testament, devient un véritable organisateur social » (p. 68).

Avec le Moyen Age, un nouveau régime commence pour l’infirme ; si on lui vient en aide, il est celui par qui on fait son salut. On lui reconnaît sa dignité. Des institutions de charité accueillant les infirmes, confondus avec les pauvres et les miséreux de la société, voient le jour et sont confiées à l’Eglise.

L’aumône est pratiquée.

Entre les 14ème et 16ème siècles, suite aux famines et aux épidémies, le nombre de mendiants et de miséreux augmente ; la charité cède le pas à des réactions de peur. Les marginaux sont dès lors considérés comme inutiles, voire nuisibles, et la mendicité tout comme l’oisiveté, vues comme sources de désordre, sont condamnées. La notion de sécurité prévaut sur la charité ; pour la garantir, on distingue ceux qui ont droit à l’aumône des simulateurs.

Dès lors, selon Lambert (1986), après l’indifférence vis-à-vis des personnes handicapées caractérisant la première partie du Moyen Age, deux conceptions vont-elles progressivement émerger. La première tend à

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reconnaître aux handicapés mentaux le statut d’enfants de Dieu et à les protéger tant dans les villes que dans les campagnes. La seconde, à l’inverse, va voir la naissance d’un sentiment de rejet à l’égard de ces personnes : considérées comme des créatures du diable, il faut les combattre.

Le 16ème siècle est marqué par l’apparition de la réflexion médicale de type scientifique amenant, avec les sciences, la philosophie, la littérature, une nouvelle façon de considérer le handicap : dans une perspective naturaliste, on recherche dès lors les origines et les causes des infirmités. La morale n’a plus cours.

Bonjour et Lapeyre (2000) précisent :

Entre le début du 17ème siècle et le 20ème siècle, la pensée diagnostique a des conséquences importantes sur la prise en charge des handicapés. La société jette un autre regard sur la différence : la science lui fait repousser les fantasmatisations divines et les présomptions métaphysiques. (p. 70)

Lambert (1986) considère les 17ème et 18ème siècles comme « un pont entre les conceptions de la Renaissance et l’intérêt soudain et définitif porté au handicap mental durant le 19ème siècle par Itard et Seguin » (p. 13). La naissance de L’Europe moderne durant le 17ème siècle est marquée par l’émergence de l’industrie et des relations commerciales. Avec la révolution industrielle, l’homme devient progressivement un élément du processus mécanique de production.

Les années 1800 sont abordées à travers un nouveau concept : « l’idiotie, qui devient le terme accepté par les scientifiques pour définir le handicap mental » (Lambert, 1986, p. 13). La philosophie de Locke en particulier permettra de poser les bases d’une attitude positive envers le traitement des personnes handicapées mentales. Ce philosophe croit à la nature rationnelle de l’homme et dans l’installation d’un ordre social adéquat. Deux notions vont influencer les siècles à venir : la méthode expérimentale selon laquelle l’être humain apprend grâce à ses sens et à sa réflexion, doublée de la pensée déductive ou inductive.

Ainsi, aux 17ème et 18ème siècles, l’anormal devient-il un problème à traiter (Bonjour & Lapeyre, 2000) : la création à Paris de l’Hôpital général de La Salpêtrière par Louis XIV illustre cette période appelée par Foucault l’ère du « grand enfermement », celui d’une population composée de mendiants, pauvres, idiots.

Inspirant le dégoût, ceux-ci doivent être séquestrés afin « d’éviter le danger que représentent les différentes marginalités » (Stiker, 2005, p. 108).

Imprégnée par la science et la raison et luttant contre l’obscurantisme, la société ne cherche ni à rééduquer ni à reclasser cette population, seulement, précisent Bonjour et Lapeyre (2000), « à se substituer à la religion en déstabilisant fortement son pouvoir explicatif » (p. 70). Comme le démontre Auguste Comte, l’humanité en devenir doit atteindre un troisième état, scientifique et positif : « […] stade adulte où l’homme, mûr et raisonnable, ne se réfère qu’à l’observation des faits et à l’analyse de leurs relations, ne tient […] pour vrai que ce que sa raison explique et démontre » (pp. 70-71). Une ère nouvelle apparaît dès 1770, marquée par la naissance du corps médical, désireux de soigner et de guérir,

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avec en arrière-fond la norme sociale, définie à travers les normes de la vie et de la santé. À présent la raison leur commande d’identifier, de classer, amenant des distinctions entre les incurables et les curables, les inéducables et les éducables, autant de mots qui construisent des différences nouvelles et renforcent les frontières.

C’est ainsi que le siècle des Lumières, puis la Révolution, marqués par la pensée rationnelle, contrôlent, désignent, encadrent tout ce qui est défini comme désordre et marginalité. Bonjour et Lapeyre (2000) poursuivent : « Dans l’organisation de ce nouvel univers mental, seule s’impose bientôt exclusivement la distinction entre le normal et l’ ‘a-normal’. La responsabilité sociale est transférée à la médecine, qui, désormais, a charge de réguler la déviance » (p. 71). Le médecin aliéniste apparaît dans le monde de la maladie mentale ; Pinel (1745-1826) soucieux de décrire et d’expliquer les problèmes mentaux, propose de distinguer les criminels, aliénés et insensés des handicapés mentaux, susceptibles de guérison. C’est lui qui délie en 1793 les chaînes des aliénés de Bicêtre, même si cette institution reste encore à la fois

« hospice, hôtel-dieu, pensionnat, maison de force et de correction » (Stiker, 2005, p. 114). Par ce geste significatif dans l’histoire des soins institutionnels, Pinel « aura restitué la dignité aux malades mentaux en préconisant l’importance définitive de la prise en charge et du traitement sur la négligence et l’abus » (Lambert, 1986, p. 15). L’éducation au 17ème siècle, réservée en majorité aux riches, ne s’est que peu préoccupée de l’éducation des personnes handicapées mentales.

Il faut attendre le 18ème siècle où deux mouvements marquent pour longtemps les conceptions en matière d’éducation spécialisée : le mouvement lié aux conceptions éducatives de Pestalozzi et de Froebel et le second, d’ordre institutionnel, marqué par la création en Europe des premières écoles spéciales pour les enfants sourds et aveugles. C’est dans cette mouvance que l’Abbé de l’Epée crée en 1760 la première école publique au monde pour les enfants sourds à Paris.

2.1.2. L E 19

ÈME

SIÈCLE

Grâce à l’action de personnes de renom et d’expérience s’opère au 19ème siècle une véritable prise de conscience du sort difficile dans lequel sont maintenues les personnes handicapées. Ces différentes personnalités sont rassemblées autour d’un même idéal philosophique, le saint-simonisme, précurseur du socialisme, qui reconnaît à tous le droit à l’instruction. Ce siècle est considéré comme un tournant par Lambert (1986) tant les progrès et innovations y sont nombreux. L’auteur propose de regrouper ces avancées en trois domaines : la compréhension de la notion de handicap mental, l’évolution du mouvement institutionnel et l’émergence de l’éducation spécialisée.

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2.1.2.1. L E DÉVELOPPEMENT DE LA NOTION DE HANDICAP MENTAL

Parmi les progrès touchant tous les domaines de l’activité humaine, deux éléments en particulier liés à la notion de handicap sont à relever : le développement de la médecine qui va préciser le concept de handicap mental, et les apports de Darwin.

Esquirol est le premier à poser les bases d’une distinction entre le handicap mental ou l’idiotie et la maladie mentale appelée aussi démence. Ainsi, la démence est-elle considérée « comme une privation momentanée ou durable de l’exercice de facultés préalablement présentes chez l’être » (Lambert, 1985, p.

17). Il s’agit donc d’une maladie susceptible d’être réversible, contrairement à l’idiotie, considérée comme incurable, en tant qu’ « atteinte développementale commençant à la naissance ou à l’âge précédant le développement des capacités intellectuelles » (p. 17). Une autre figure médicale, Seguin (1812-1880), va reprendre, développer et enrichir le système catégoriel d’Esquirol en apportant des degrés supplémentaires dans la classification. Down propose en 1866 « une classification ethnique des arriérés fondée sur l’aspect prédominant des signes dégénératifs de leur physionomie » (Bonjour &

Lapeyre, 2000, p. 74) ; le syndrome qu’il étudie sera par la suite nommé trisomie 21. Le 19ème siècle est marqué par deux courants de pensée opposés : tels Seguin, les uns souhaitent le droit à l’éducation pour tous ; les autres, forts des découvertes de Darwin (1809-1882), mettent en place les fondations de l’eugénisme, doutant de cette notion d’éducabilité de tous. Dans sa thèse, Lamontagne-Müller (2007) caractérise l’eugénisme comme « la détermination d’améliorer l’espèce humaine en assurant l’accroissement et la prédominance des êtres humains considérés supérieurs » (p. 27). Ce désir existe depuis l’Antiquité ; il s’exprime par des actions qui visent l’élimination des caractères jugés incapacitants, c’est un eugénisme négatif, ou de promotion des caractères bénéfiques, eugénisme positif en l’occurrence.

2.1.2.2. L’ ÉVOLUTION DU MOUVEMENT INSTITUTIONNEL

Lambert (1986) relève les conditions de vie difficiles des personnes handicapées mentales au 19ème siècle où la « majorité des asiles et des hôpitaux restent des lieux où les mauvais traitements prédominent.

Les enfants pauvres, orphelins, errants ou handicapés mentaux se retrouvent dans ces endroits où sévissent la brutalité et l’abandon affectif […] » (p. 19). Néanmoins s’opère une avancée importante à travers la promulgation de décrets et de lois visant une meilleure prise en charge des personnes démunies par les services publics. Citons deux personnages illustres qui vont servir d’exemples pour la prise en charge des enfants et adultes handicapés mentaux. En 1842 Guggenbühl fonde dans le canton de Berne la première institution pour enfants déficients intellectuels. Par ailleurs, Seguin, élève d’Itard dont nous parlerons dans la section suivante, fervent défenseur des concepts de soin et d’éducabilité des enfants déficients intellectuels va développer ses théories sur l’aménagement des institutions pour enfants. Pour cet instituteur devenu médecin, l’institution est un instrument au service de l’éducation ; elle doit adapter ses structures aux besoins des enfants et être située dans la communauté afin de prévenir l’isolement.

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C’est aussi un lieu de recherche et d’observation, devant proposer aux parents une aide extérieure afin de les aider à garder les jeunes enfants en situation de handicap dans le milieu familial. D’après Lambert, c’est à Seguin que l’on doit le premier système d’éducation spécialisée digne de ce nom.

2.1.2.3. L’ ÉDUCATION SPÉCIALISÉE

Le pionnier de l’éducation spécialisée est sans nul doute Itard (1774-1838), chirurgien devenu médecin spécialiste de la surdité. C’est à lui que fut confiée en 1801 l’éducation de Victor, un « enfant sauvage » découvert en 1799 dans les forêts de l’Aveyron. Ainsi commence, selon Lambert (1986), « l’histoire d’une relation entre deux personnes qui va révolutionner l’ensemble des vues de l’époque sur l’éducation de l’homme » (p. 20). A travers Victor, premier enfant déficient intellectuel qui s’est vu proposer une prise en charge éducative, Itard mettra en œuvre plusieurs principes pédagogiques, tels la socialisation, l’éducation sensorielle, l’imitation dans l’apprentissage du langage ou encore le transfert et la généralisation des acquis. Outre ce programme éducatif qui laisse une place importante à l’éducation sensorielle, Itard crée une méthode orale pour l’éducation des sourds. Il est le premier spécialiste de l’ouïe et de la parole, également le précurseur d’une méthode globale pour l’apprentissage de la lecture. On retrouvera le prolongement de son œuvre en particulier chez Seguin, Montessori et Decroly.

Dès la seconde moitié du 19ème siècle, Seguin ouvre à Paris la première classe pour enfants idiots. Il poursuit son œuvre aux Etats-Unis en contribuant au développement des classes spéciales pour enfants handicapés mentaux. Sa méthode d’intervention est basée sur le postulat qu’il existe une relation neurophysiologique définie entre l’activité sensorielle et les niveaux supérieurs de la pensée. Selon Lambert (1986), il faut considérer Seguin comme le créateur de la psychomotricité et un des précurseurs de l’éducation active.

Par la suite, Montessori (1870-1952), première femme médecin en Italie et Decroly (1871-1932), médecin et pédagogue belge, poursuivent les réflexions et travaux de ces précurseurs en mettant au point respectivement une méthode éducative centrée sur l’éducation sensorielle et une méthode de rééducation active pour les enfants déficients mentaux. Ces grands noms attachés à la médecine ont développé les bases d’une réflexion pédagogique et un matériel adapté à l’enfance en difficulté. Convaincus de

« l’éducabilité des arriérés et de la nécessité morale de cette tâche », ils ne représentaient selon Bonjour et Lapeyre (2000, p. 73) toutefois qu’une minorité active.

2.1.3. D ES ESPOIRS ÉPHÉMÈRES (1900-1945)

La période s’étalant entre 1900 et 1945 est divisée par les historiens du handicap mental en trois moments, basés sur des considérations sociales et politiques : la découverte du handicap mental léger, l’avènement de l’eugénisme esquissé au siècle précédent, l’extermination partielle des personnes déficientes intellectuelles pendant la 2ème Guerre mondiale.

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2.1.3.1. T ESTS ET HANDICAP MENTAL LÉGER

L’instruction devenue obligatoire en Europe, les écoles voient arriver de grandes cohortes d’élèves dans les classes du primaire. Si une majorité arrive à mener à bien sa scolarité, d’autres élèves éprouvent des difficultés à suivre les programmes, voire échouent de manière irrémédiable.

Répondant à une demande de l’Instruction publique française, à savoir la nécessité de reconnaître les enfants qui ne parviendront pas à suivre le cycle officiel, Binet (1857-1911) et son collaborateur Simon (1873-1961) vont proposer en 1905 un premier test visant à « mesurer l’intelligence ».

Lambert (1986) précise que « le but poursuivi est clair : différencier, parmi les enfants d’âge scolaire, les normaux des anormaux » (p. 24). Ainsi, poursuit ce dernier, la psychologie expérimentale de Binet « a pour finalité de rendre aux aptitudes humaines le rôle social qui leur est dévolu » (p. 25).

Cette philosophie de l’adaptation conduit Binet à justifier l’évaluation des enfants en difficultés afin de les placer dans des classes spéciales où ils recevront une éducation adaptée. Il différencie les anormaux d’hospice des anormaux d’école, éducables ceux-ci : c’est la naissance des classes de développement, liée à la prise en compte de la notion de handicap mental léger. Néanmoins, conscient des risques d’une orientation en classes spéciales, Binet, cité par Lambert (1986), rend attentifs les enseignants et les pouvoirs publics en ces termes :

Il est incontestable qu’on devra admettre dans les écoles et classes beaucoup de débiles légers, qui sont destinés à faire retour, le plus tôt possible, à l’école ordinaire et on mettrait obstacle à ce retour, on le rendrait même impossible si, du jour où l’enfant entre dans la classe spéciale, on l’aiguillait dans une direction toute différente de l’école ordinaire. (p. 26)

Nous déplorons encore aujourd’hui que les enfants orientés en classes spéciales n’en ressortent que rarement, sinon pas du tout. Cette constatation confirme les assertions de Binet qui, il y a quelque deux cents ans, évoquait ce souci et mettait en garde à cet égard.

2.1.3.2. D E L ’ EUGÉNISME À L ’ EXTERMINATION

Nous avons évoqué en section 2.1. l’esprit scientifique caractérisant les 19ème et 20ème siècles, marqués par la nécessité de classer, catégoriser ou désigner pour comprendre. Toutefois, pour Bonjour et Lapeyre (2000), les excès aboutiront à des pratiques ou orientations parfois douteuses ; avec la désignation apparaît l’effet de ségrégation, où l’enfant est davantage objet que sujet. Par ailleurs, l’enthousiasme qui habitait les précurseurs de l’éducation spéciale à la fin du 19ème siècle diminue. L’efficacité des prises en charge d’enfants handicapés se révèle inférieure aux résultats escomptés, aboutissant à de forts doutes et à la déception quant aux croyances en leur éducabilité. La science se tourne alors vers les théories de la dégénérescence développées par Darwin, amenant des arguments liés au risque social encouru si le nombre d’idiots continue à s’accroître. Bonjour et Lapeyre (2000) précisent que « pour l’opinion

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publique, affirmer la transmission héréditaire des tares, c’est rejeter l’utilité de poursuivre la recherche de diagnostics ainsi que tout effort d’éducation » (p. 78). Ces auteurs relèvent encore la « mise à l’écart des déficients mentaux afin qu’ils ne risquent pas de provoquer une dégradation de la race » (p. 78). De ce fait les handicapés mentaux ne sont plus considérés comme des innocents, ou des malchanceux, mais plutôt comme un danger pour la société. Pour Lambert, la montée du racisme et la promulgation de lois limitant l’immigration en particulier aux Etats-Unis va faire apparaître le « spectre de la dégénérescence » (p. 30) dans le monde occidental, et l’on va assister à une réaction générale des sociétés envers la différence. Et cet auteur d’ajouter que « toutes les personnes qui dévient des normes vont être considérées comme des dangers sociaux mettant en péril la civilisation » (p. 31). La morale eugénique avec une idéologie de sélection sociale se diffuse progressivement ; Praz (2006) citant Korpes (1988) précise que, « malgré l’émergence du désir d’éducation des déficients et des défavorisés, réapparaissent, de façon brutale, des attitudes de rejet, d’exclusion et d’élimination sur la base d’idéologies très porteuses n’ayant pourtant aucun fondement scientifique » (p. 20). Ces idéologies et le mouvement d’eugénisme qui les accompagne se concrétisent, selon Lambert (1986), par « la stérilisation et la ségrégation des personnes dans les institutions » (p. 31), et par les programmes d’euthanasie dont les auteurs préconisent « la mort pour les idiots incurables, ceux qui souffrent de déformations sévères, ou de maladies graves » (p. 33). Ceux-ci seront mis en œuvre dans l’idéologie nazie, particulièrement dans le programme de persécution des Juifs, avec la mort de sept à neuf millions de personnes dans les camps de concentration, et à « des quantités de meurtres […] commis ailleurs » (p. 33).

2.1.4. A U LENDEMAIN DE LA 2

ÈME

G UERRE MONDIALE

À partir des années 1950, la notion de handicap mental est abordée sous trois angles distincts : un renouveau scientifique, la création d’associations de parents, l’émergence des notions de normalisation et d’intégration. La notion de normalisation est évoquée brièvement dans cette section ; associée à la notion d’intégration, elle est reprise en section 3.5.

2.1.4.1. L E DÉVELOPPEMENT DE L ’ EXPLICATION SCIENTIFIQUE

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale la recherche dans le domaine des sciences médicales, psychopédagogiques et sociologiques offre des progrès considérables dans la connaissance du handicap mental. Deux développements scientifiques de poids ont marqué cette période. Le premier, lié à la conception de l’intelligence, s’éloigne du débat entre l’inné et l’acquis et offre une position interactionniste dans laquelle, selon Lambert (1986), « l’intelligence est considérée comme le produit d’une interaction entre l’héritage génétique et le milieu » (p. 35). Cette perspective environnementaliste reprend les points de vue d’Itard et de Seguin, pour lesquels l’action du milieu offrait des possibilités importantes dans l’éducation des personnes ayant un déficit intellectuel. Le deuxième permet d’envisager la notion de handicap à travers une approche sociologique : alors que les pratiques antérieures reposaient

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uniquement sur la mesure du quotient intellectuel (QI) comme moyen d’identification et de classement, cette perspective sociologique offre une nouvelle clé de compréhension, en identifiant un ensemble de facteurs sociaux tels la pauvreté, l’analphabétisme, les séquelles de la guerre, envisagés d’après Lambert

« comme autant de variables contribuant à l’émergence et au développement de ce que l’on appelle le handicap mental » (p. 36). Parallèlement à cette approche sociologique, les avancées de la médecine et notamment de la biologie génétique et de la neurologie, également de la gynécologie et de l’obstétrique, l’amélioration des outils d’observation viennent compléter les recherches sur la psychologie de l’enfant et la psychopédagogie, et renouvellent le regard sur l’enfance déficiente intellectuelle. La notion de handicap est redéfinie, notamment en abaissant la limite supérieure du handicap mental de 85 à 70 de QI, et Lambert de constater « qu’une fois encore ce sont les critères sociaux qui donnent leur signification aux tests de QI et non l’inverse » (p. 37). Pour Marti (2009), cette période de l’après-guerre est effectivement caractérisée par une approche « médico-scientifique » (p. 18) qui, progressivement, s’est substituée aux explications théologiques individualistes et culpabilisantes que nous avons évoquées précédemment.

Ces avancées dans la connaissance de la déficience mentale amènent un regard plus compréhensif et plus approprié sur les personnes en situation de handicap. Toutefois, l’héritage des mesures de QI justifient de nos jours encore les catégorisations et, partant, le placement dans diverses institutions spécialisées. Ces tests étant marqués par nos formes acquises de comportement et de socialisation, sont-ils dès lors aussi applicables aux cultures non occidentales ? La question reste posée.

2.1.4.2. L ES ASSOCIATIONS DE PARENTS

Ce nouveau regard est repris en Suisse par les politiques et l’Etat à travers la création d’une assurance- invalidité (1959) par exemple, également par de nouveaux acteurs, les parents, qui, selon Marti (2009) ont été jusque-là « confinés au secret, voire à la honte, et qui vont jouer un rôle important dans la

« publicisation » de cette nouvelle approche » (p. 18). Aux Etats-Unis, en Europe, ceux-ci s’associent, souvent après un important travail des mères dans l’ombre et en amont, pour, d’après Lambert (1986),

« réclamer et obtenir ce que la société n’a pas pu ou n’a pas voulu leur donner » (p. 38), tels des conditions éducatives décentes pour leurs enfants, le droit d’être reconnus comme partenaires, la création de loi instaurant leurs droits et ceux de leurs enfants handicapés, la création d’écoles ou d’ateliers protégés.

En Suisse, deux grandes associations voient le jour à la fin des années cinquante : la Ligue suisse des parents d’enfants infirmes moteurs cérébraux (IMC), actuellement Association Cerebral Suisse (1957), et la Fédération suisse des associations de parents d’enfants mentalement déficients (FSAPEMD) en 1958.

D’autres associations suivront, regroupant des parents d’enfants aveugles et malvoyants, d’enfants épileptiques, d’enfants déficients auditifs, d’enfants autistes, etc. Notons qu’avant de voir le jour au niveau national, ces diverses associations émergent la plupart du temps d’abord au niveau régional ou cantonal en bâtissant leurs propres structures.

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Dans le Jura, c’est sous l’égide d’une quinzaine de mères « d’enfants pas comme les autres », expression fréquemment utilisée selon Marti (2009), alors qu’elles n’avaient encore ni le droit de vote ni celui de contracter un emprunt bancaire, que l’Association jurassienne de personnes handicapées physiques ou mentales (AJPHPM) voit le jour en 1965. Ces pionnières étaient à la recherche d’appuis, d’échanges, de solutions nouvelles pour, selon Marti, « essayer de vivre et de faire vivre leurs enfants dans de meilleures conditions » (p. 12). Par la suite, cette association d’abord féminine sera renforcée par les pères et les maris, deviendra un partenaire de référence et accédera peu à peu à un « statut de véritable groupe de pression dans le domaine de la déficience mentale » (Marti, p. 12). Cette association répond à un véritable besoin : outre quelques institutions de type asilaire constituant une alternative au maintien à domicile, tels le Foyer jurassien d’éducation créé en 1940 à Delémont, ou encore deux homes-ateliers à Renan et un autre à Tavannes destinés à une clientèle alémanique, il n’existe pas de structure d’accueil ou de scolarisation en français et sans internement complet. Aussi, ces fondatrices, en tant que personnes véritablement concernées par la problématique de la différence au travers de leurs expériences personnelles et quotidiennes, auront-elles à cœur, selon Marti, « de défendre, promouvoir et concilier des intérêts personnels et privés et de les faire converger vers des intérêts communs et collectifs » (p. 31).

Dans le canton de Neuchâtel, afin de pallier l’absence de structures d’accueil et de structures scolaires pour les personnes handicapées, une association de parents voit le jour en 1959 : le Groupement neuchâtelois de parents d’enfants mentalement déficients (GNPEMD). Ce groupement offre plusieurs lieux d’accueil tant pour les enfants, adolescents et adultes en situation de handicap : en 1964 s’ouvrent à Neuchâtel une garderie et une classe. En 1965, une école, équipée pour accueillir des enfants et des adolescents dans plusieurs classes en journées continues s’ouvre à La Chaux-de-Fonds. En référence à la première fleur du printemps, cette école est tantôt baptisée « Perce-Neige », nom bien connu aujourd’hui sur le territoire neuchâtelois, qui, bientôt transformée en fondation, permettra à toute personne handicapée de vivre une vie en communauté, et non plus d’être rejetée comme le voulaient les pratiques du début du 20ème siècle.

Notons encore que le GNPEMD deviendra l’Association neuchâteloise de parents de personnes mentalement handicapées (ANPPHM) en 1994. En 2007, cette association change de nom pour devenir INSIEME. De la même manière que nous l’évoquions ci-dessus, ce sont en premier lieu les mères qui, cherchant des solutions nouvelles pour leurs propres enfants, sont devenues les militantes de la cause du handicap et les chevilles ouvrières du changement des mentalités.

L’organisation progressive de ces différentes associations de parents, tant au niveau helvétique qu’au niveau international permet, d’après Marti (2009) d’« en faire de véritables groupes de pression, qui vont

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marquer de leur empreinte le débat et contribuer à une reconfiguration complète de la manière d’aborder socialement la question de la différence » (p. 21).12

Cette pugnacité marquée des parents perdure encore, comme en témoigne cette maman13 d’une « fille en situation de handicap mental, intégrée à cent pour cent à l’école du village, cinq ans d’un parcours semé d’embûches, empli de persévérance et de collaboration avec le collège ». Le fait que l’enfant ne soit pas intégré une fois pour toutes ajoute encore à la difficulté, pour de nombreux parents, de faire accepter leurs

« enfants pas comme les autres ». Chaque cas doit être rediscuté régulièrement. A chaque fois, poursuit cette mère de famille, ces étapes sont « sources d’inquiétude et de désarroi » et représentent un véritable parcours du combattant. Aussi, il est aisé d’imaginer les impacts sur ces parents et leurs enfants….

2.1.4.3. L ES NOTIONS DE NORMALISATION ET D ’ INTÉGRATION

Avec le développement de l’explication scientifique et la naissance des associations de parents, la deuxième partie du 20ème siècle voit émerger la notion de normalisation dans le domaine du handicap mental. Le principe de normalisation développé dans les pays scandinaves par Nirje en 1969 veut permettre aux personnes déficientes intellectuellement de vivre une existence aussi normale que possible.

Nirje (1969) le définit ainsi : « […], le principe de normalisation signifie de rendre disponibles à la personne déficiente sur le plan mental, des modes et des conditions de vie quotidienne qui sont aussi proches que possible des normes et des modes de vie du courant-cadre de la société » (p. 24).

Ce principe de normalisation, synonyme d’intégration, a suscité grand nombre de critiques dans les milieux des professionnels et des parents, interpellant certains auteurs tel Lambert (1986) puisque, à travers la définition de Nirje, il s’agit d’offrir aux personnes handicapées mentales des conditions de vie les plus proches possible de celles des personnes de même âge de leur communauté d’appartenance.

Néanmoins, il a eu un impact important sur l’organisation des programmes et des services dans le domaine du handicap mental. Lambert (1986) en relève singulièrement deux: la prise de conscience des effets néfastes véhiculés par le labelling (handicapé mental, handicapé socio-culturel), et la remise en question des bienfaits et des vertus de l’enseignement spécialisé. Cet auteur ajoute que l’introduction de ce principe a entraîné un bouleversement dans les conceptions sur le handicap mental : en premier lieu, il faut rechercher des solutions qui soient basées « sur des valeurs plutôt que sur des réponses scientifiques » (p. 40) ; par ailleurs l’avènement de la reconnaissance des droits des personnes handicapées mentales élargit les perspectives de prise en charge : les parents, les citoyens, les

12 Le texte «L’intégration en Italie» situé en annexe 2 illustre ces revendications des parents, également celles des enseignantes et des enseignants.

13 Texte de Madame Sophie Moulin (FAPEN, Fédération des associations de parents d’élèves, Neuchâtel), présenté lors de son intervention auprès d’étudiant-e-s HEP en septembre 2011.

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