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PARTIE II : Démarche méthodologique

Chapitre 6 : Méthodologie

6.3. Les personnes interrogées et leurs élèves intégrés

Il nous paraît pertinent de commenter le tableau ci-dessus en présentant de façon succincte les enseignant-e-s interrogé-enseignant-e-s, et leurs élèves intégrés. Les portraits qui suivent, construits à partir d’informations glanées au fil des entretiens, sont non exhaustifs ; ils présentent néanmoins l’avantage de se familiariser avec les personnes.

Après une courte présentation des titulaires, des précisions sont apportées sur les profils des élèves intégrés dans leur classe, et sur les modalités principales des projets. Les propos en italique appartiennent aux personnes interrogées. Les termes entre crochets apportent un complément d’information de notre part.

1) Elisa et Jacqueline ont toutes deux une trentaine d’années d’enseignement à leur actif et travaillent en duo depuis 26 années dans une petite bourgade bernoise. Elles ont demandé à participer ensemble à l’entretien. Elles n’avaient jamais participé à un projet d’intégration avant d’accueillir pendant 2 années (1P-2P) Céline et Anatole. Actuellement en 3P, ces deux élèves ne sont plus dans leur classe.

Ayant passé trois ans à l’école enfantine dont deux en intégration, Céline a un an de plus que ses camarades lorsqu’elle arrive en 1P où elle est intégrée à plein temps dans la classe. Une enseignante spécialisée apporte du soutien pendant six périodes hebdomadaires dans la classe-même. Selon Elisa, Céline est une enfant qui avait été diagnostiquée quand même avec des problèmes assez conséquents, ils ont jamais pu vraiment mettre de mots non plus sur ce qu'elle avait vraiment. A l’école enfantine, elle n’avait pas dit un mot, ne faisait rien donc, mais elle avait beaucoup progressé aux niveaux personnel et relationnel.

D’après Jacqueline, c’était presque une enfant à mettre en institution, et puis les parents se sont beaucoup battus parce que c'était déjà décidé qu'elle ne pouvait pas suivre [à l’école primaire].

Les parents de Céline connaissent bien Elisa :

Donc la maman quand elle a appris qu'elle ne pourrait pas suivre, qu'elle ne pourrait pas intégrer cette classe, elle s’est dit il faut que je demande aux enseignantes de première année

(…) ; elle m'a téléphoné avant et puis elle me dit voilà mon problème « est-ce que toi tu accepterais l'enfant dans ta classe ? (Elisa).

Lorsque l’on interroge les enseignantes au sujet des objectifs de l’intégration, Jacqueline précise :

Au départ c'était un essai, et puis on voulait voir si elle pourrait éventuellement quand même apprendre quelques lettres, un ou deux chiffres, donc au départ les objectifs étaient pas fixés donc pour Céline.

Elisa poursuit :

Et puis petit à petit, avec les maîtresses spécialisées plus le CPCJB31 et le réseau, on a mis les objectifs à la baisse pour elle.

Après trois années passées dans la classe 1P-2P où elle a redoublé sa deuxième, Céline sait lire et faire, selon Jacqueline, des petits calculs jusqu’à 15. Ces résultats vont au-delà des attentes des spécialistes, poursuit l’enseignante. Au sortir de cette classe, l’intégration s’organise selon des modalités différentes.

Céline est scolarisée dans une classe de soutien :

Elle en sort pour suivre des leçons comme la gym, l’environnement, le dessin dans une classe…

(Jacqueline)… dans une autre classe, dans une classe normale, quoi, complète Elisa.

Anatole, du même âge que ses pairs, est intégré selon les mêmes principes que Céline dans la classe de 1P. Il avait suivi auparavant la 2ème EE en intégration :

Mais à l'école enfantine ça s'était très mal passé […] ça n'avait pas très bien fonctionné mais quand même les maîtresses d'intégration elles disaient, « mais, il a du potentiel ! » (Elisa).

Selon les pronostics, pour Anatole c'était prévu - donc il ne pouvait pas écrire - qu'il aurait certainement besoin d'un clavier parce qu'il avait des problèmes moteurs », poursuit l’enseignante.

D’après Jacqueline, Anatole était un des meilleurs élèves en maths, il faut le dire. Elisa acquiesce :

Ah oui, et en français il a vite, vite su lire, c'était impressionnant ; il aimait tout ce qui était structuré, alors il a trouvé une structure dans l'apprentissage : chaque semaine une lettre, des sons, et puis il emmagasinait bien.

Moyennant des adaptations particulières au niveau du cadre et de l’organisation de son travail, Anatole suit le même enseignement et a les mêmes objectifs à atteindre que ses pairs de 1P et 2P. Après deux années passées dans la classe, il rejoint une 3P régulière.

Cette intégration c'était vraiment une réussite magnifique parce que […] ils pensaient vraiment qu'il irait en institution et puis d'ailleurs ils pensaient qu'il aurait un clavier. Il a appris à écrire comme tous les autres, bon il a pas une belle écriture, mais il écrit aussi rapidement que les autres. […] . Je pense qu'Anatole il pourra suivre sa scolarité…(Elisa)…

31 « C’est pour offrir une école adaptée à l’enfant différent que le Centre de pédagogie curative du Jura bernois (CPCJB) a été créé en 1961 ». Cette école spéciale située à Tavannes « accueille des enfants et adolescents en situation de handicap mental, moteur, cognitif ou sensoriel ayant besoin d’un encadrement particulier que l’école publique n’est pas en mesure de leur fournir » (source Internet : voir référence électronique).

…tout à fait normalement, oui, oui, termine Jacqueline.

Avec deux élèves en intégration, Elisa et Jacqueline disposent au total 12 périodes hebdomadaires de soutien apportées par deux enseignantes spécialisées mandatées par le CPCJB, selon une organisation dépendant des besoins des enseignantes et de ceux des deux élèves intégrés.

2) Christine enseigne depuis une vingtaine d’années au niveau préscolaire. Elle accueille aujourd’hui Kevin et David en intégration dans sa classe située dans un quartier populaire de la ville de Bienne.

Kevin est un enfant dont les difficultés et le retard de développement ont été décelés au Ried, une maison d’accueil pour jeunes enfants située à Bienne, où il réside régulièrement à cause d’une situation familiale difficile. De par ses difficultés il est conseillé aux parents de reporter d’un an son entrée à l’école. Kevin est déjà suivi par le service éducatif itinérant et les services orthophoniques lorsqu’il entre à l’école enfantine régulière il y a six mois.

Bien que déjà suivi par le service éducatif itinérant et une orthophoniste depuis une année, David entre en 1EE sans avoir été annoncé comme un cas d'intégration. Les démarches pour son signalement et la demande de soutien n’aboutiront qu’à l’automne.

Hormis un demi-jour de congé accordé aux petits de la classe et un autre demi-jour où ils se rendent chez l’orthophoniste, les deux enfants sont accueillis à plein temps à l’école de leur quartier. Du fait de la présence de deux enfants en intégration, Christine est secondée par une collègue, Mme J., durant 14 périodes hebdomadaires. Christine regrette :

Mme J. n’est pas enseignante spécialisée, elle a un brevet -2+6. […]. Sur le marché il y avait personne de disponible.

Au sujet des objectifs liés à l’intégration de Kevin, la titulaire explique :

J'ai pas d'objectifs spécifiques pour lui, je ne connais pas bien son handicap, je ne connais pas bien l'enfant […] j’ai bien vite remarqué les difficultés qu'il avait. C'est un enfant qui est très sociable qui pose pas de problème de discipline […] qui joue toujours aux mêmes jeux- si on veut le faire progresser il faut vraiment quelqu'un avec lui. […]. On y va au coup par coup (Christine).

3) Pierre est dans sa 38ème année d’enseignement à l’école primaire. Thomas et René sont accueillis dans sa classe de 3P depuis quatre mois, dans une petite commune jurassienne, qui, avec ses deux voisines, forment un cercle ou regroupement scolaire.

Après avoir suivi l’école enfantine dans son village, René est orienté au centre Pérène32 : Il n’a jamais suivi la filière normale de l’école » explique Pierre, qui poursuit :

Il est à Pérène depuis le début de sa scolarité, et puis là, donc depuis la rentrée d’août 2010, […]

ils ont voulu faire un essai d’intégration pour qu’il puisse retrouver ses copains du village.

René est donc intégré dans la classe ordinaire un après-midi par semaine pour les cours de dessin et de chant. Il passe le reste de la semaine à Pérène. Selon Pierre, la demande d’intégration émane de Pérène :

C’était surtout Pérène qui, le voyant grandir, le voyant un petit peu être en décalage avec ses copains, ont décidé de l’intégrer pendant une année dans une classe normale. […] C’est vrai que la maman elle est aussi très satisfaite de ça […], donc elle est contente, elle m’a dit, c’est bien, comme ça au moins un après-midi il ne se sent pas différent.

Thomas, après avoir été scolarisé régulièrement dans le même cercle scolaire durant un an et demi est placé en cours de 2P à La Villa-Blanche, un espace d’accueil pour enfants et adolescents avec des troubles psychopathologiques33. Pierre explique :

C’est un enfant qui est non cadré, c’est un enfant qui a énormément de violence en lui, de colère en lui, c’est aussi un élève qui est contre la soumission, et puis c’est aussi un élève qui est totalement réfractaire à l’écriture […] il est vraiment réfractaire aux apprentissages.

Thomas est intégré dans une classe du cercle scolaire deux après-midis hebdomadaires : il suit durant deux périodes les cours de gymnastique avec Pierre et les activités manuelles avec une autre enseignante durant deux autres périodes. L’objectif principal de cette intégration est de garder le contact avec les amis de son village, pour une réintégration prochaine à l’école régulière.

Thomas et René sont intégrés à des moments différents ; aussi, durant deux après-midis par semaine, la classe de Pierre compte-t-elle un élève en plus.

32 Centre de pédagogie et d’éducation spécialisées dont la « mission est la scolarisation et le suivi éducatif d’enfants et d’adolescents […] ayant des besoins éducatifs particuliers. [La Fondation Pérène ] accompagne des enfants et des adolescents connaissant des difficultés significatives d’apprentissage scolaire, consécutives à un handicap mental (pouvant être associé à un handicap physique), à des atteintes psychopathologiques, à des troubles du développement, du comportement ou du langage » (source Internet : voir référence électronique).

33 CMP Enfants et adolescents (CMPEA). L'unité cantonale de pédopsychiatrie à l'Hôpital de Jour «La Villa Blanche» à Porrentruy offre:

un lieu de soins psychiatriques et psychothérapeutiques intensifs à la journée

des possibilités de scolarité interne pour des enfants souffrant de troubles psychopathologiques graves

un encadrement psychopédagogique assuré par une équipe pluridisciplinaire composée de médecins pédopsychiatres, de psychologues, de logopédistes, de psychomotricien-ne-s, d'art-thérapeutes, d'éducateurs/trices, d'infirmier-ère-s, d'enseignant-e-s spécialisé-e-s (source Internet : voir référence électronique).

4) Mireille enseigne à l’école enfantine depuis 13 ans. Sa classe située dans un quartier d’une grande commune jurassienne accueille depuis plus d’une année Marie et Denis, habitant ce quartier.

Marie, atteinte d’une affection des muscles, se déplace en chaise roulante. Excepté deux demi-journées consacrées à des mesures thérapeutiques comme la physiothérapie et l’ergothérapie, elle passe le reste de la semaine dans la classe avec les élèves de son âge. Son ergothérapeute est aussi présente dans la classe un matin par semaine ; cette présence régulière vise à rendre Marie plus autonome par rapport à ses déplacements dans la classe à l’aide d’un déambulateur ; elle lui apporte également du soutien pour toutes les activités manuelles telles le découpage, poinçonnage, dessin, peinture. Pour Marie, les objectifs d’apprentissage sont identiques à ceux des élèves de son âge.

L’intégration de Denis s’est déroulée de manière très progressive, passant d’une demi-journée par semaine en 1EE à quatre demi-journées en 2EE aujourd’hui ; des discussions sont en cours afin de passer prochainement à cinq demi-journées hebdomadaires. Denis passe le reste du temps à La Villa Blanche, ce qui occasionne pour lui des déplacements quotidiens importants. L’objectif principal pour Denis est la socialisation. Mireille explique :

Donc, nous ce qu'on essaie de faire, c'est de l'adapter, c’est de le socialiser, c'est ce qu’ils peuvent pas faire à La Villa Blanche parce qu'ils disent qu’ils sont des petits groupes, puis ils ne peuvent pas faire la même chose qu'ici où on est des grands groupes, donc le but premier c'est la socialisation.

L’enseignante poursuit :

Denis a un peu un problème, je dirais il est pas autiste mais au départ ils le pensaient autiste, alors justement il faisait des crises dans son coin, il supportait pas qu'on le touche, il supportait pas d'être en groupe enfin toutes ces choses-là. […] et puis il est très évolué donc il est capable d'aller à l'ordinateur, d'écrire… des sites ; il sait déjà un peu- à peu près lire je pense donc il est assez doué, il sait compter très loin il sait faire plein de choses puis par contre il y a d'autres choses où il a beaucoup de retard (Mireille).

Une collègue est engagée de manière à apporter un soutien à Mireille lorsque Denis est présent dans la classe. La demande d’intégration émane fortement des parents, longuement en conflit avec l’équipe éducative de La Villa Blanche qui voyait là un échec assuré.

5) Gérard enseigne à l’école primaire dans une ville neuchâteloise depuis cinq ans. Fulvio est intégré partiellement dans sa classe de 3P, avec ses camarades de quartier et de son âge.

Fulvio a suivi un parcours régulier à l’école enfantine, puis a redoublé la classe 1P. La suite de sa scolarité en 2P et 3P se passe en alternance dans l’école de son quartier et à Clos-Rousseau34, occasionnant des déplacements conséquents. Aujourd’hui en 3P, il passe deux journées hebdomadaires dans la classe de Gérard où il suit les cours de gymnastique et d’activités manuelles, également des cours de français et de mathématiques. Il est accueilli le reste du temps à Clos-Rousseau. Pour Fulvio certains objectifs d’apprentissage sont revus à la baisse, comme le souligne Gérard :

On regarde aussi par rapport à ses capacités, histoire de ne pas le tirer en bas parce que de toute façon il y a des objectifs, ça serait inutile de les mettre sachant qu'il n'y arrivera pas, mais il y en a d'autres qu'on essaye quand même de mettre, et puis essayer de le tirer ; pour certaines choses il a le niveau de troisième et puis il y en a d'autres où il a le niveau de deuxième et puis il y en a d'autres où il a même le niveau de fin de première année.

Deux leçons hebdomadaires de soutien spécialisé accompagnent le projet d’intégration de Fulvio.

6) Brigitte est titulaire d’une classe de niveau préscolaire depuis six ans, après avoir accompagné pendant 18 années un public de jeunes enfants dans divers ateliers d’expression. Elle accueille dans sa classe du Val-de-Ruz neuchâtelois deux enfants à besoins éducatifs particuliers, Louise, 6 ans, et Alain, 4 ans.

Louise est entrée dans la classe de Brigitte il y a bientôt trois ans ; la 1ère année elle suivait le programme 1EE, et depuis 2 ans elle suit la 2EE, en partie dans la classe, l’autre partie au Petit Pontarlier, l’école enfantine spécialisée, précise Brigitte. La demande d’intégration provient des parents :

Ils avaient vraiment vraiment envie qu'elle soit intégrée au niveau social dans le village. Comme ils viennent du petit village c'est important de la garder justement dans le contexte (Brigitte).

Alain est intégré depuis quelques mois en 1EE durant trois demi-journées au lieu des quatre réglementaires ; le reste de la semaine il ne va pas à l'école, il a énormément d'autres choses à côté, il a l'orthophonie, il a le pédopsychiatre etc. donc je dirais c'est rempli comme ça, explique l’enseignante. A propos des objectifs de l’intégration, elle poursuit :

Au niveau social […] ça n'a pas encore beaucoup bougé, il est un peu à part, il reste souvent dans un coin et puis il faut essayer de l’attirer un petit peu, il vient par petits moments, et puis il s'isole. […]. Et puis le diagnostic n'est pas encore clair, donc on ne sait pas trop non plus où on va, ce qu'on peut faire, ce qu'on ne peut pas faire avec lui (Brigitte).

Durant la 1ère année d’intégration de Louise, comme aujourd’hui pour Alain, aucune aide extérieure n’est accordée, parce que la demande de soutien peut être faite qu’une fois qu'ils sont scolarisés, et puis quand

34 Centre pédago-thérapeutique pour l'enfance, de la Fondation neuchâteloise en faveur des personnes avec une déficience intellectuelle « Les Perce-Neige », Clos-Rousseau accueille, en internat ou en externat, dans des groupes mixtes, des enfants d'âge préscolaire et scolaire souffrant de troubles relationnels graves, ainsi que des enfants atteints d'un retard du développement mental » (Coquoz & Sid Ahmed, source Internet, voir référence électronique).

ils sont scolarisés, on peut [la] faire que pour l'année d'après, explique Brigitte, qui peut compter aujourd’hui sur la présence d’une enseignante spécialisée durant quatre périodes hebdomadaires dans sa classe.

Ces présentations de personnes et de contextes laissent paraître une forte hétérogénéité dans les pratiques en cours. Nous constatons déjà qu’un même terme, intégration, est associé à des conceptions disparates voire éloignées, allant, en ce qui concerne la présence de l’élève à besoins particuliers dans la classe, d’un taux inférieur à 10% à une intégration complète.