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PARTIE I : Contexte de la recherche et apports théoriques

Chapitre 2 : La notion de handicap, un regard historique

2.1. La personne en situation de handicap à travers les différents contextes historiques

2.1.4. Au lendemain de la 2 ème Guerre mondiale

À partir des années 1950, la notion de handicap mental est abordée sous trois angles distincts : un renouveau scientifique, la création d’associations de parents, l’émergence des notions de normalisation et d’intégration. La notion de normalisation est évoquée brièvement dans cette section ; associée à la notion d’intégration, elle est reprise en section 3.5.

2.1.4.1. L E DÉVELOPPEMENT DE L ’ EXPLICATION SCIENTIFIQUE

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale la recherche dans le domaine des sciences médicales, psychopédagogiques et sociologiques offre des progrès considérables dans la connaissance du handicap mental. Deux développements scientifiques de poids ont marqué cette période. Le premier, lié à la conception de l’intelligence, s’éloigne du débat entre l’inné et l’acquis et offre une position interactionniste dans laquelle, selon Lambert (1986), « l’intelligence est considérée comme le produit d’une interaction entre l’héritage génétique et le milieu » (p. 35). Cette perspective environnementaliste reprend les points de vue d’Itard et de Seguin, pour lesquels l’action du milieu offrait des possibilités importantes dans l’éducation des personnes ayant un déficit intellectuel. Le deuxième permet d’envisager la notion de handicap à travers une approche sociologique : alors que les pratiques antérieures reposaient

uniquement sur la mesure du quotient intellectuel (QI) comme moyen d’identification et de classement, cette perspective sociologique offre une nouvelle clé de compréhension, en identifiant un ensemble de facteurs sociaux tels la pauvreté, l’analphabétisme, les séquelles de la guerre, envisagés d’après Lambert

« comme autant de variables contribuant à l’émergence et au développement de ce que l’on appelle le handicap mental » (p. 36). Parallèlement à cette approche sociologique, les avancées de la médecine et notamment de la biologie génétique et de la neurologie, également de la gynécologie et de l’obstétrique, l’amélioration des outils d’observation viennent compléter les recherches sur la psychologie de l’enfant et la psychopédagogie, et renouvellent le regard sur l’enfance déficiente intellectuelle. La notion de handicap est redéfinie, notamment en abaissant la limite supérieure du handicap mental de 85 à 70 de QI, et Lambert de constater « qu’une fois encore ce sont les critères sociaux qui donnent leur signification aux tests de QI et non l’inverse » (p. 37). Pour Marti (2009), cette période de l’après-guerre est effectivement caractérisée par une approche « médico-scientifique » (p. 18) qui, progressivement, s’est substituée aux explications théologiques individualistes et culpabilisantes que nous avons évoquées précédemment.

Ces avancées dans la connaissance de la déficience mentale amènent un regard plus compréhensif et plus approprié sur les personnes en situation de handicap. Toutefois, l’héritage des mesures de QI justifient de nos jours encore les catégorisations et, partant, le placement dans diverses institutions spécialisées. Ces tests étant marqués par nos formes acquises de comportement et de socialisation, sont-ils dès lors aussi applicables aux cultures non occidentales ? La question reste posée.

2.1.4.2. L ES ASSOCIATIONS DE PARENTS

Ce nouveau regard est repris en Suisse par les politiques et l’Etat à travers la création d’une assurance-invalidité (1959) par exemple, également par de nouveaux acteurs, les parents, qui, selon Marti (2009) ont été jusque-là « confinés au secret, voire à la honte, et qui vont jouer un rôle important dans la

« publicisation » de cette nouvelle approche » (p. 18). Aux Etats-Unis, en Europe, ceux-ci s’associent, souvent après un important travail des mères dans l’ombre et en amont, pour, d’après Lambert (1986),

« réclamer et obtenir ce que la société n’a pas pu ou n’a pas voulu leur donner » (p. 38), tels des conditions éducatives décentes pour leurs enfants, le droit d’être reconnus comme partenaires, la création de loi instaurant leurs droits et ceux de leurs enfants handicapés, la création d’écoles ou d’ateliers protégés.

En Suisse, deux grandes associations voient le jour à la fin des années cinquante : la Ligue suisse des parents d’enfants infirmes moteurs cérébraux (IMC), actuellement Association Cerebral Suisse (1957), et la Fédération suisse des associations de parents d’enfants mentalement déficients (FSAPEMD) en 1958.

D’autres associations suivront, regroupant des parents d’enfants aveugles et malvoyants, d’enfants épileptiques, d’enfants déficients auditifs, d’enfants autistes, etc. Notons qu’avant de voir le jour au niveau national, ces diverses associations émergent la plupart du temps d’abord au niveau régional ou cantonal en bâtissant leurs propres structures.

Dans le Jura, c’est sous l’égide d’une quinzaine de mères « d’enfants pas comme les autres », expression fréquemment utilisée selon Marti (2009), alors qu’elles n’avaient encore ni le droit de vote ni celui de contracter un emprunt bancaire, que l’Association jurassienne de personnes handicapées physiques ou mentales (AJPHPM) voit le jour en 1965. Ces pionnières étaient à la recherche d’appuis, d’échanges, de solutions nouvelles pour, selon Marti, « essayer de vivre et de faire vivre leurs enfants dans de meilleures conditions » (p. 12). Par la suite, cette association d’abord féminine sera renforcée par les pères et les maris, deviendra un partenaire de référence et accédera peu à peu à un « statut de véritable groupe de pression dans le domaine de la déficience mentale » (Marti, p. 12). Cette association répond à un véritable besoin : outre quelques institutions de type asilaire constituant une alternative au maintien à domicile, tels le Foyer jurassien d’éducation créé en 1940 à Delémont, ou encore deux homes-ateliers à Renan et un autre à Tavannes destinés à une clientèle alémanique, il n’existe pas de structure d’accueil ou de scolarisation en français et sans internement complet. Aussi, ces fondatrices, en tant que personnes véritablement concernées par la problématique de la différence au travers de leurs expériences personnelles et quotidiennes, auront-elles à cœur, selon Marti, « de défendre, promouvoir et concilier des intérêts personnels et privés et de les faire converger vers des intérêts communs et collectifs » (p. 31).

Dans le canton de Neuchâtel, afin de pallier l’absence de structures d’accueil et de structures scolaires pour les personnes handicapées, une association de parents voit le jour en 1959 : le Groupement neuchâtelois de parents d’enfants mentalement déficients (GNPEMD). Ce groupement offre plusieurs lieux d’accueil tant pour les enfants, adolescents et adultes en situation de handicap : en 1964 s’ouvrent à Neuchâtel une garderie et une classe. En 1965, une école, équipée pour accueillir des enfants et des adolescents dans plusieurs classes en journées continues s’ouvre à La Chaux-de-Fonds. En référence à la première fleur du printemps, cette école est tantôt baptisée « Perce-Neige », nom bien connu aujourd’hui sur le territoire neuchâtelois, qui, bientôt transformée en fondation, permettra à toute personne handicapée de vivre une vie en communauté, et non plus d’être rejetée comme le voulaient les pratiques du début du 20ème siècle.

Notons encore que le GNPEMD deviendra l’Association neuchâteloise de parents de personnes mentalement handicapées (ANPPHM) en 1994. En 2007, cette association change de nom pour devenir INSIEME. De la même manière que nous l’évoquions ci-dessus, ce sont en premier lieu les mères qui, cherchant des solutions nouvelles pour leurs propres enfants, sont devenues les militantes de la cause du handicap et les chevilles ouvrières du changement des mentalités.

L’organisation progressive de ces différentes associations de parents, tant au niveau helvétique qu’au niveau international permet, d’après Marti (2009) d’« en faire de véritables groupes de pression, qui vont

marquer de leur empreinte le débat et contribuer à une reconfiguration complète de la manière d’aborder socialement la question de la différence » (p. 21).12

Cette pugnacité marquée des parents perdure encore, comme en témoigne cette maman13 d’une « fille en situation de handicap mental, intégrée à cent pour cent à l’école du village, cinq ans d’un parcours semé d’embûches, empli de persévérance et de collaboration avec le collège ». Le fait que l’enfant ne soit pas intégré une fois pour toutes ajoute encore à la difficulté, pour de nombreux parents, de faire accepter leurs

« enfants pas comme les autres ». Chaque cas doit être rediscuté régulièrement. A chaque fois, poursuit cette mère de famille, ces étapes sont « sources d’inquiétude et de désarroi » et représentent un véritable parcours du combattant. Aussi, il est aisé d’imaginer les impacts sur ces parents et leurs enfants….

2.1.4.3. L ES NOTIONS DE NORMALISATION ET D ’ INTÉGRATION

Avec le développement de l’explication scientifique et la naissance des associations de parents, la deuxième partie du 20ème siècle voit émerger la notion de normalisation dans le domaine du handicap mental. Le principe de normalisation développé dans les pays scandinaves par Nirje en 1969 veut permettre aux personnes déficientes intellectuellement de vivre une existence aussi normale que possible.

Nirje (1969) le définit ainsi : « […], le principe de normalisation signifie de rendre disponibles à la personne déficiente sur le plan mental, des modes et des conditions de vie quotidienne qui sont aussi proches que possible des normes et des modes de vie du courant-cadre de la société » (p. 24).

Ce principe de normalisation, synonyme d’intégration, a suscité grand nombre de critiques dans les milieux des professionnels et des parents, interpellant certains auteurs tel Lambert (1986) puisque, à travers la définition de Nirje, il s’agit d’offrir aux personnes handicapées mentales des conditions de vie les plus proches possible de celles des personnes de même âge de leur communauté d’appartenance.

Néanmoins, il a eu un impact important sur l’organisation des programmes et des services dans le domaine du handicap mental. Lambert (1986) en relève singulièrement deux: la prise de conscience des effets néfastes véhiculés par le labelling (handicapé mental, handicapé socio-culturel), et la remise en question des bienfaits et des vertus de l’enseignement spécialisé. Cet auteur ajoute que l’introduction de ce principe a entraîné un bouleversement dans les conceptions sur le handicap mental : en premier lieu, il faut rechercher des solutions qui soient basées « sur des valeurs plutôt que sur des réponses scientifiques » (p. 40) ; par ailleurs l’avènement de la reconnaissance des droits des personnes handicapées mentales élargit les perspectives de prise en charge : les parents, les citoyens, les

12 Le texte «L’intégration en Italie» situé en annexe 2 illustre ces revendications des parents, également celles des enseignantes et des enseignants.

13 Texte de Madame Sophie Moulin (FAPEN, Fédération des associations de parents d’élèves, Neuchâtel), présenté lors de son intervention auprès d’étudiant-e-s HEP en septembre 2011.

associations voire les personnes handicapées mentales elles-mêmes, dans la mesure de leurs possibilités, participent aux décisions et aux projets. Les plans d’intervention ne sont plus réservés aux professionnels ou aux experts uniquement. Aussi, le terrain est-il prêt à présent pour accueillir le concept d’intégration et ses multiples déclinaisons…