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PARTIE III Analyse des données

Chapitre 10 : Synthèse

10.1. Retour sur la question de recherche et les hypothèses

La première hypothèse s’intéresse à la disposition de l’enseignant-e intégratif. Tant les chercheurs que les personnes interrogées insistent sur la « bonne attitude » que le ou la titulaire doit manifester envers la différence et l’élève à besoins particuliers. Il ou elle doit faire montre, entre autres, de respect et, surtout, d’acceptation de la dissemblance. Par ses répercussions, un tel comportement a une influence prépondérante sur l’attitude des élèves ordinaires et, partant, sur le bien-être et l’intégration de l’élève en situation particulière. Cette « bonne attitude » exige de laisser tomber les peurs, d’accepter les difficultés des élèves et d’être convaincu du bien-fondé de l’adage « tous égaux, tous différents », garant des valeurs d’égalité des chances et de justice scolaire et sociale. La « bonne attitude » de l’enseignant-e, en plus de compétences relationnelles significatives, a de nombreux impacts sur la classe. Grâce à l’effet Pygmalion mentionné ci-avant, le regard de l’enseignant-e sur l’élève, en considérant avant tout ses ressources et ses capacités et non ses lacunes et ses difficultés, peut en influencer favorablement le comportement. Cela crée indéniablement de réelles conditions de réussite de l’intégration.

L’empathie, la patience, l’écoute et la capacité à clarifier et à expliciter les choses face aux élèves réguliers, à l’élève intégré et aux parents, sont autant d’éléments considérés comme facilitateurs.

Une « longue » expérience professionnelle déjà acquise en amont serait plutôt à considérer comme un élément facilitateur, en tenant compte du fait que les plus jeunes enseignant-e-s interrogé-e-s ne semblent pas juger leur pratique plus « courte » comme un obstacle.

L’expérience professionnelle prendrait toutefois le statut de condition, dans la mesure où un-e enseignant-e débutant-enseignant-e pourrait renseignant-encontrenseignant-er denseignant-es difficultés enseignant-en assumant la chargenseignant-e, enseignant-en plus denseignant-e sa classenseignant-e ordinairenseignant-e, d’un projet d’intégration exigeant des investissements en temps et en énergie conséquents.

La deuxième hypothèse considère la place de l’enseignant-e intégratif dans sa classe, de même que la mise en œuvre de situations de travail adaptées en coopération avec la personne ressource présente et les membres du réseau.

Le véritable enjeu de l’intégration est de répondre aux nécessités spécifiques de l’élève intégré. A lui seul, l’enseignant-e ne peut répondre à la fois aux besoins des élèves réguliers et à ceux de l’enfant à besoins particuliers. Nous estimons dès lors que si le ou la titulaire accepte qu’un autre adulte collabore efficacement et simultanément dans sa classe autour d’objectifs prédéfinis, cela représente véritablement une condition garante de la réussite du projet. Cela nécessite toutefois une bonne entente entre le généraliste et le spécialiste, ainsi qu’un partage des tâches judicieux et une répartition des rôles bien définie. Demeure toutefois une « condition » à cette composante, celle du lâcher prise, induit par le passage de l’école séparative à l’école intégrative: le rôle de l’enseignant-e titulaire devient complémentaire à celui de l’enseignant-e spécialisé-e. Quand bien même de par son statut de titulaire il assume la responsabilité de tous les élèves, cela modifie son implication dans sa classe, et il doit être ouvert à ce changement. Pour mener à bien le projet, il doit apprendre à travailler, à communiquer et à collaborer de manière constructive avec plusieurs autres intervenant-e-s, professionnels du réseau et parents.

Si ces exigences sont remplies, elles deviendront facilitatrices du projet, dans le sens où l’enseignant-e spécialisé-e connaît parfois les capacités et les besoins de l’élève intégré pour l’avoir déjà suivi antérieurement. Dans tous les cas, il apporte sa vision de spécialiste en complément au regard généraliste des titulaires, par exemple en termes d’adaptation d’activités ou de matériel, mais également grâce à sa connaissance spécialisée de divers troubles. Cette personne peut aussi apporter un soutien moral aux titulaires, et le co-enseignement peut amener des échanges constructifs sur la classe en général.

Dans le même sens, les parents peuvent faciliter quelque peu le travail de l’enseignant-e par les informations qu’ils sont susceptibles de lui transmettre, de même que par les indications qu’ils peuvent donner aux parents des élèves réguliers.

Le ou la titulaire doit remplir deux autres conditions encore. D’une part savoir mettre en œuvre des situations d’enseignement-apprentissage-évaluation non plus centrées sur le groupe, mais sur les individualités présentes dans la classe, tout en tenant compte des capacités et des limites de chacun, en

particulier de l’élève intégré, d’autre part pouvoir adapter les objectifs à atteindre par les élèves en difficulté.

En plus de l’ouverture au changement précitée, d’autres comportements de l’enseignant-e intégratif seront considérés comme des éléments facilitateurs : pouvoir s’adapter en étant créatif, gérer le stress face à l’imprévu.

La troisième hypothèse présuppose que les chances de réussite des projets d’intégration soient liées à un changement dans les représentations sociales, et que le passage d’un système scolaire séparatif à un modèle intégratif se fasse tant au niveau institutionnel que politique.

L’analyse opérée dans le chapitre 9 permet les constats suivants :

A l’école primaire, il apparaît que ce sont les modalités cantonales de l’espace BEJUNE qui conditionnent les formes d’intégration :

- assimilation si aucune ressource humaine n’est allouée au projet ; - intégration si elles sont peu importantes ;

- inclusion si les moyens alloués le sont en quantités suffisantes.

De la même façon, le type d’intégration conditionne les objectifs : dans le cas du modèle assimilation correspondent uniquement des intentions de socialisation (être avec les camarades de son village ou de son quartier) ; dans les contingences du type intégration, voire inclusion, sont visés tant des objectifs de socialisation que des buts cognitifs, liés à des apprentissages scolaires.

La présente discussion tient précisément compte de l’intégration et de l’inclusion telles que définies par Vaney dans le chapitre 3. Nous estimons donc que, pour l’élève intégré, le but à atteindre est la socialisation, et l’apprentissage, au même titre que les élèves réguliers. Une des conditions de base d’une école intégrative, voire inclusive, est le recours à des ressources supplémentaires, humaines et matérielles, en quantité adéquate.

Cette condition en amène une seconde : la personne ressource intervenant dans la classe intégrative doit être issue du domaine de l’enseignement spécialisé, afin que la complémentarité avec la ou le titulaire généraliste soit possible et optimale. Il s’agit d’un transfert de compétences de l’enseignement spécialisé vers l’enseignement régulier. C’est une des nouveautés qui découle des modèles intégratif et inclusif: le soutien particulier n’est plus apporté uniquement à l’élève à besoins particuliers à l’extérieur de l’école, mais à l’intérieur, à la fois à l’élève intégré, à l’enseignant-e titulaire et aux autres enfants de la classe.

De ces deux conditions en découle une troisième: la nécessité de moyens financiers supplémentaires injectés dans la filière de l’enseignement régulier. Par le principe des vases communicants, ces ressources seraient issues de la filière de l’enseignement spécialisé ; ceci ne devrait donc pas affecter les budgets de l’éducation.

Dans les conditions liées à la deuxième hypothèse, ont été mentionnées les collaborations nécessaires entre les différents acteurs et actrices du projet. Les contacts se nouent aussi bien lors des réunions

régulières de réseau qu’avec la personne ressource attribuée à la classe, donc hors temps scolaire. Le fait qu’un minimum de temps requis pour ces échanges soit intégré dans le cahier des charges des enseignant-e-s intégratifs pourrait être un élément facilitateur, voire une condition.

Une autre condition est le profil de la classe, son effectif devant être limité, voire réduit selon les contextes, et des élèves qui la composent, le cumul d’enfants à problèmes différents augmentant la difficulté. Ceci est du ressort des autorités scolaires responsables de la composition des classes et peut être rendu possible grâce à une répartition judicieuse des ressources financières, selon le principe des vases communicants cité plus haut.

Une condition sine qua non rend possibles toutes celles précitées et fonde l’entier du processus : le changement dans les façons de voir et de considérer le monde. C’est donc en premier lieu l’affaire de toutes et de tous et pas uniquement celle des enseignant-e-s. Si la phase de l’action, concrétisée par la mise en œuvre de projets d’intégration dans les classes, se passe effectivement à leur niveau, c’est parce qu’il y a eu en amont une réflexion opérée par une collectivité, autour d’une éthique et des valeurs communes. Pasquier (2011) illustre ce point ainsi : « […] passer d’une école très normative, avec des classes prétendument homogènes, à une école ouverte à tous, où tous les élèves sont considérés comme ayant des besoins plus ou moins particuliers, nécessite plus qu’une adaptation. C’est un changement d’état d’esprit et de culture professionnelle » (p. 26).

Cette réflexion a été initiée au niveau de la Confédération suisse par la CIIP ; elle a abouti à la rédaction du concordat sur la pédagogie spécialisée en 2007. Cette convention reste néanmoins prudente dans le sens où elle précise, dans son article 2, que l’intégration doit « tenir compte de l’environnement et de l’organisation scolaires44 ».

Les cantons ont été chargés de sa mise en place dès le 1er janvier 2008 ; mais quatre ans plus tard, la réalité montre une certaine frilosité, quand bien même, selon le président du SER45 Pasquier (2011), « un immense travail a été effectué et continue de l’être dans plusieurs cantons, qui sollicite nombre d’enseignantes et d’enseignants et des responsables à tous les niveaux » (p. 27). Pasquier poursuit en relevant pourtant le « désarroi qui prévaut ici ou là » et relaie à ce propos l’inquiétude du SER :

« L’inclusion, qui devrait être souhaitée par tous, se heurte souvent au principe de réalité, qui est de ‘tenir compte de l’environnement et de l’organisation scolaires’. L’école reste principalement normative et peine à se réinventer pour être ouverte à tous » (p. 27). Il revient donc aux cantons, par la prise de décisions politiques et, à l’interne, par le biais des responsables des systèmes éducatifs, de poursuivre, voire d’accélérer les réflexions entamées au sujet d’une société plus inclusive.

44 Voir en annexe 1 les bases de l’accord intercantonal.

45 SER : Syndicat des enseignants romands.

Trois besoins - formation, soutien et temps à disposition - des enseignant-e-s intégratifs ont été mentionnés dans le chapitre 4. Les discours des personnes interrogées dénotent une préférence marquée pour les deuxième et troisième aspirations déterminées. Elles n’évoquent que rarement le besoin de formation, sinon sous forme de stages dans le domaine de l’enseignement spécialisé. Nous sommes cependant d’avis que les enseignant-e-s doivent être sensibilisé-e-s et formé-e-s aux caractéristiques de l’intégration, et de l’inclusion.

La formation initiale des futur-e-s enseignant-e-s, qui sera évoquée dans la section suivante, est donc pour nous l’une des conditions nécessaires à la réussite de l’intégration. Elle est du ressort et de la responsabilité des HEP. Il convient aussi de ne pas négliger la formation continue destinée à deux publics cibles potentiels : celui qui n’a pas été sensibilisé au sujet lors de sa formation de base, mais qui est néanmoins concerné par l’intégration, et celui qui, bien qu’initié, a besoin de soutien ou d’accompagnement lorsqu’il est confronté à une situation particulière sur le terrain. Un tel complément de formation est mis en œuvre et placé sous la responsabilité des chargés des systèmes éducatifs ; pour ce faire, ils ont besoin des moyens financiers et du personnel spécialisé adéquats.

Les conditions et facilitateurs qui viennent d’être énumérés sont à considérer comme autant de composantes et de facteurs d’une intégration réussie, ce qui répond à notre question de recherche. Cela ne permet toutefois pas de définir une fois pour toutes un projet d’intégration réussi, tant celui-ci comporte de variables selon les contextes dans lesquels il est produit et conduit. Néanmoins, nous pourrons qualifier de réussis les projets s’inscrivant manifestement dans le cadre d’une école intégrative co-construite (ne dépendant pas que des enseignant-e-s) et qui ne feront plus seulement figures d’exception ou de « petits arrangements » (Giust-Desprairies, 2002, cité par Doudin & Ramel, 2009, p. 6). Aussi, pour que l’école intégrative puisse être co-construite, il est indispensable de prendre en compte les trois niveaux d’intervention de nos hypothèses : micro, méso et macro.