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PARTIE III Analyse des données

Chapitre 11 : Conclusion

Si le changement de regard sur le handicap induit par la CIF, la valorisation des rôles sociaux, l’adaptation de l’école aux caractéristiques des élèves liés au « processus de production du handicap », les modèles intégratifs et inclusifs étaient effectivement appliqués, la présente recherche n’aurait pas eu lieu d’être. Quelles sont les raisons de ce décalage ?

Tensions entre théorie et pratique

Dès le début et tout au long de notre travail, nous avons été confrontée à une constatation récurrente et de taille : l’écart existant entre les intentions des pouvoirs publics, développées dans la partie théorique et exprimées sous forme de déclarations ou conventions — anciennes ou nouvelles — ou faisant l’objet d’un concordat intercantonal, et leur mise en œuvre, que nous pouvons pour le moins qualifier de discrète.

Nous avons vu que le passage d’un système séparatif à un système intégratif devrait être l’affaire de toute la communauté. Or, les pratiques observées montrent un manque de concertation et une absence de cohésion entre le pouvoir politique et le monde éducatif.

Le concordat sur la pédagogie spécialisée s’appuie sur des concepts précis : l’intégration, voire l’inclusion, ou la valorisation des rôles sociaux, puisque la notion d’ « assuré » disparaît au profit de celle d’élève. Ici encore, on observe un décalage entre intention et application : les usages observés démontrent en effet que les « chances » pour un enfant d’être intégré s’amenuisent au fur et à mesure qu’il grandit.

Est-ce dû à la croissance des exigences ou à la méconnaissance du problème dans les classes du niveau secondaire ? Nous n’avons pas la réponse à cette question.

La défaillance de la mise en application du concordat est le prix à payer de la liberté laissée aux cantons dans leur organisation scolaire en vertu du fonctionnement du système helvétique. Ledit concordat fait donc l’objet d’une ratification par chaque canton. Les Parlements jurassien et neuchâtelois auraient tous deux dû avaliser le document en 2010. Cela n’a toujours pas été le cas à l’heure où nous terminons ce travail (janvier 2012). Nous en déduisons que, pour ces législatifs, l’intégration n’est peut-être pas la priorité du moment et que, malgré la présence d’un cadre, il existe malgré tout une grande marge de manœuvre pour la phase opératoire.

Les enfants considérés comme différents sont la plupart du temps des élèves dits « séparés ». La Suisse s’est donné pour objectif d’abaisser la moyenne de ces enfants séparés à un taux de 2.5%. Si cette intention est certes louable, la question de fond reste irrésolue : qui seront les élèves séparés ? Selon quels critères le seront-ils ? Selon quel droit et quelle logique ? Ces notions n’étant pas clarifiées, cette idée de moyenne à atteindre ne tient donc pas compte de critères objectifs, et va à l’encontre du respect du droit de chacune et de chacun de prétendre à l’intégration. De plus, l’idée de moyenne met en exergue les notions de normalité et d’anormalité, inconcevables dans les systèmes scolaires intégratifs ou inclusifs.

Selon les personnes et les contextes, les représentations que l’on peut se faire du terme « intégration » sont très diverses, même éloignées. Par exemple, peut-on véritablement parler d’intégration lorsque, comme nous l’avons relevé dans certains cas, les élèves ne passent qu’un ou deux après-midis par semaine au sein de l’école ordinaire ?

Par ailleurs, les pratiques observées dans le canton du Jura, tout comme l’organisation de son système scolaire, ne répondent pas aux caractéristiques de l’Ecole pour tous, néanmoins préconisée sur le site de son service de l’enseignement. Si elle était réellement ouverte à tous, nous aurions alors dépassé le modèle de l’intégration et serions dans un système inclusif.

Dans notre pays, l’école fonctionne encore selon un modèle pour le moins normatif. Résultant d’une construction sociale du handicap, vu comme une particularité de la personne, il est ici question de normalité et d’anormalité. De fait, les pratiques observées montrent que l’intégration est souvent envisagée à partir de la question : « L’enfant peut-il être accueilli ? » Ceci amène deux possibilités de réponses :

- d’un côté les enfants qui « peuvent » être intégrés, mais leur intégration n’est pas gagnée à long terme, car leur statut est revisité à chaque fin d’année scolaire ;

- et d’un autre côté ceux qui « ne peuvent pas » être intégrés.

Des renversements à opérer

Les tensions évoquées ci-haut pourraient être amoindries. La théorie rejoindrait la pratique et vice-versa, si l’on pouvait procéder à quelques renversements…

Une véritable intégration demande un basculement de la question posée ci-avant : « L’école peut-elle accueillir l’enfant ? » Ceci renvoie à la forme que nous voulons donner à l’école : quelles adaptations, quels changements doit-elle apporter pour être en mesure de le recevoir ? Quel environnement doit-elle offrir pour concrétiser cette prise en charge ?

Un deuxième renversement serait que les professionnels de l’éducation, tout comme les parents d’élèves, prennent conscience que les adaptations de l’environnement, de l’enseignement-apprentissage, du matériel pédagogique, requises dans un système intégratif ou inclusif, sont profitables non seulement à l’élève intégré, mais également aux autres enfants de la classe. Rappelons dans ce sens que plusieurs matériels pédagogiques spécifiques présents aujourd’hui dans les classes enfantines et primaires ont été imaginés et conçus par des personnes à qui l’on avait confié des enfants en difficultés, telle Maria Montessori par exemple.

Un troisième renversement consisterait à confier les moteurs de l’intégration conjointement à la société civile, politique, ainsi qu’aux cercles et établissements scolaires ; ils en deviendraient ainsi les porteurs.

Jusqu’à maintenant, l’entière responsabilité en revient aux seul-e-s enseignant-e-s. Si l’opportunité d’une formation adéquate est évidente et nécessaire à leur niveau, d’autres actrices et acteurs devraient pourtant

également supporter ces projets. Cela aurait pour heureuse conséquence de réduire les disparités entre les élèves à besoins particuliers, s’agissant des conditions disparates qu’ils doivent remplir pour être intégrés selon leur provenance géographique d’une part, suivant le bon-vouloir des personnes concernées d’autre part. En effet, une lecture et une compréhension différentes des visées intégratives du concordat engendrent parfois un certain flou s’agissant de savoir qui prend les décisions, quel enfant est intégré et lequel ne l’est pas, sur quels critères, pour combien de temps, etc. Tantôt les enseignant-e-s sont contraint-e-s d’intégrer, tantôt ils ne le sont pas. Tout ceci aboutissant à une mosaïque de projets spécifiques et sur mesure, et souvent à une responsabilité trop lourde dévolue aux seul-e-s enseignant-e-s, particulièrement lors de l’orientation en fin d’année scolaire.

Un concordat plus contraignant ?

Nous avons observé beaucoup de diversité dans les façons d’intégrer, les pratiques allant de l’assimilation à l’inclusion. Les objectifs du concordat laissent une grande marge de manœuvre à tous les acteurs, chacun pouvant les interpréter à sa façon. Un concordat plus contraignant permettrait-il une meilleure égalité des chances en ce qui concerne les modalités d’intégration ?

Puisse le concordat sur la pédagogie spécialisée être davantage considéré comme une injonction plutôt qu’une simple recommandation, à l’instar de celles qui l’ont précédé. Alors on vivra réellement l’ère de l’école intégrative, avec pour étape suivante celle de l’école inclusive, la véritable ECOLE POUR TOUTES ET TOUS.

En définitive : encore du chemin à parcourir …