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PARTIE I : Contexte de la recherche et apports théoriques

Chapitre 3 : Intégration, intégrations

3.7. Stigmate et stigmatisation

En section 2.1 a été présenté le sort réservé aux enfants nés difformes par les Grecs et les Romains : ces nouveau-nés étaient exposés, c’est-à-dire abandonnés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Par ailleurs, le peuple grec inventa le terme de stigmate, pour « désigner des marques corporelles destinées à exposer ce qu’avait d’inhabituel et de détestable le statut moral de la personne ainsi signalée » (Goffman, 1975, p.

11). Ces marques, gravées sur le corps au couteau ou au fer rouge signifiaient qu’il fallait éviter l’individu qui les portait, en particulier dans les lieux publics.

Nous avons vu comment, par la suite au fil des siècles, les personnes en situation de handicap ont été tour à tour persécutées, classées, exhibées, catégorisées, ségréguées. Peut-on voir par là d’autres formes d’exposition, telle la stigmatisation pratiquée dans l’Antiquité ?Cette question en appelle d’autres. Aussi peut-on s’interroger, dans la mouvance intégrative voire inclusive d’aujourd’hui, sur la nature du regard porté sur la personne différente, celle qui n’est « pas comme les autres ». Comment l’élève, intégré dans la classe ordinaire et de ce fait différent, est-il perçu par l’enseignante ou l’enseignant qui l’accueille, ou par ses pairs ? Comment sa différence est-elle appréhendée ? Peut-on encore parler de stigmatisation ? Le développement qui suit ne prétend pas répondre aux questions soulevées ci-dessus, mais il semble à tout le moins utile de s’arrêter sur le concept de stigmate proposé par Goffman (1975) afin de comprendre les enjeux de la rencontre entre la personne différente et les autres. Ce détour par la sociologie permet une meilleure prise de conscience d’un phénomène humain, la plupart du temps inconscient ; il s’agit du classement, ou de la répartition dans diverses catégories, des individus que nos rapports sociaux nous amènent à rencontrer.

Dans l’Antiquité on faisait porter des stigmates par des auxiliaires visuels aux individus peu recommandables. De nos jours, la société perpétue d’une autre manière le phénomène en reliant des catégories de personnes à des contingents d’attributs, procédant ainsi à une forme moderne de marquage.

De ce fait, dès le premier contact avec un individu, l’on procède à des anticipations que l’on transforme en attentes normatives, contribuant de manière inconsciente à la construction d’une identité sociale virtuelle. Ce n’est que lors d’une forte remise en question de cette identité virtuelle que l’on prend

conscience que l’on a cessé de poser les hypothèses qui nous auraient permis, face à cet individu, de construire son identité sociale réelle. Aussi, pour Blanc (2006), reprenant le propos de Goffman (1975), l’identité sociale virtuelle est définie par « le caractère qu’autrui impute à un individu en fonction de son apparence : le stigmate ne pouvant être dissimulé, c’est un être discrédité » (pp. 184-185). L’identité sociale réelle est le caractère d’une personne « qui relève de ses caractéristiques propres : dans ce cas d’un stigmate non visible, […], l’individu fera passer son identité virtuelle pour son identité réelle, c’est un être discréditable » (Blanc, 2006, p. 185).

D’après Goffman (1975), le terme de stigmate sert ainsi à donner un attribut à une personne, permettant par la suite de la discréditer. Cet attribut, constituant un écart par rapport aux attentes normatives, permet de disqualifier l’individu lors de ses interactions avec autrui. Dès lors, dans les rencontres et les rapports sociaux, la personne possédant une forme de stigmate, « différence fâcheuse d’avec ce à quoi nous nous attendions » (Goffman, 1975, p. 15), ne répond pas aux attentes et à l’idée de ceux qui ne partagent pas cet attribut. Ces derniers sont appelés les normaux par le sociologue. Partant du postulat que les personnes porteuses d’un stigmate ne sont pas tout à fait humaines, les normaux pratiquent à leur encontre diverses formes de discriminations, de différenciations, réduisant ainsi, inconsciemment, leurs chances. En face de personnes porteuses d’un stigmate, les normaux n’agissent de ce fait pas de la même manière que lorsqu’ils sont entre eux, avec une tendance à accorder moins de crédit aux stigmatisés.

Le problème selon Goffman (1975) n’est pas l’attribut lui-même, mais les conséquences relationnelles qu’il engendre, pouvant diminuer à nos yeux la personne qui passe du rang de « personne accomplie et ordinaire […] au rang d’individu vicié, amputé » (p. 12). Ceci avec pour conséquence la négation d’une partie de ses droits dans ses rapports sociaux, que l’auteur précise comme suit :

Un individu qui aurait pu aisément se faire admettre dans le cercle des rapports sociaux ordinaires possède une caractéristique telle qu’elle peut s’imposer à l’attention de ceux d’entre nous [les normaux] qui le rencontrent, et nous détourner de lui, détruisant ainsi les droits qu’il a vis-à-vis de nous du fait de ses autres attributs. (p. 15)

Blanc (2006) ajoute :

Le stigmatisé, ne disposant pas d’un droit d’entrée gratuit pour cause de stigmate, […] doit offrir ce qui lui est refusé : donner la possibilité à autrui de se doter des moyens lui permettant d’adopter une face et une ligne d’action. Le stigmatisé doit prendre la plus grande part de l’interaction sur ses épaules déjà affaiblies. (pp. 186-187)

A présent, que se passe-t-il lors d’une rencontre mixte, interaction entre un individu stigmatisé et un individu dit normal ? D’après Goffman (1975), l’individu stigmatisé, ne sachant pas comment il va être accueilli, ignorant la catégorie dans laquelle il sera classé, pourra développer des sentiments d’incertitude, d’insécurité, voire d’infériorité ou d’angoisse, ou, moins fréquemment, pourra afficher un air sûr parfois même agressif. Ces diverses réactions produiront du côté de la personne normale un sentiment de flottement, de déséquilibre que l’auteur formule de la manière suivante : « Tout ce qui peut être pour lui [l’individu stigmatisé] source de désagréments tandis que nous [les normaux] sommes avec lui se transforme ainsi en quelque chose dont nous percevons qu’il est conscient, conscient que nous en sommes

conscients, voire conscient de notre conscience de sa conscience » (p. 30). Aussi se crée-t-il un malaise dans ce type d’interaction mixte. Et l’auteur de préciser : « Donc, dans les situations sociales où se trouve un individu dont on sait ou dont on voit qu’il est affligé d’un stigmate, nous risquons de nous livrer à des catégorisations déplacées et, en outre, de partager avec lui un sentiment de malaise » (pp. 31-32).

3.8. S YNTHÈSE

L’intégration, concept flou et polysémique, est à présent déclinée en quatre modalités, dont les deux dernières, intégration et inclusion, présentent un aspect interactif, faisant appel chez la personne en situation de handicap et chez la personne dite normale, à une conscience plus fine des interactions vécues de part et d’autre.

C HAPITRE 4 : L A FORMATION DES ENSEIGNANTES ET DES