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CHAPITE II : CADRE THÉORIQUE

2.2 Les pratiques enseignantes de soutien à la lumière de l’approche sociohistorico-

2.2.2 Le rapport entre le développement culturel et l’apprentissage scolaire

2.2.2.1 La zone de développement proximal

Comme nous l’avons vu, le processus de développement se fait par un mouvement dialectique : le développement a lieu à la suite de la contradiction entre les formes culturelles évoluées du comportement, avec lesquelles l’enfant entre en contact, et les formes primitives naturelles qui caractérisent son propre comportement (Vygotsky, 1930, cité dans Schneuwly, 2007). Le conflit entre ce que l’élève peut faire seul et ce qu’il doit faire, apprendre et exécuter crée une zone de développement proximal formée de deux niveaux : actuel et potentiel.

Le niveau de développement actuel correspond aux fonctions psychiques matures (Vygotsky, 1933a) et il est déterminé par les problèmes que l’élève résout seul (Vygotsky, 1933b). Le niveau de développement potentiel correspond aux fonctions psychiques immatures qui sont en train de mûrir (Vygotsky, 1933a). Il est déterminé au moyen de problèmes que l’élève résout avec l’aide d’un enseignant qui est plus compétent ou en coopération avec des camarades plus capables que lui (Vygotsky, 1933b). Dans cette perspective, l’élève apprend par interaction sociale avec un autre qui lui fournit le support et le soutien (Rogoff, 1995; Vygotsky, 1978). Il a plus de chances d’accomplir la tâche avec succès en collaborant avec un adulte (Tudge, 1990), tout en se servant d’un système d’outils propres à chaque culture

20 Dans le texte Analyse paidologique du processus pédagogique (Vygotsky, 1933a) que nous avons consulté, Vygotsky n’a pas utilisé le terme « zone potentielle ». Il a utilisé à la place « zone du développement le plus

(Kozulin, 2003). La distance entre les deux niveaux est la zone de développement proximal21

et Vygotsky la définit comme la distance entre ce que l’élève peut réaliser seul sans aide et ce qu’il peut acquérir avec de l’aide : « It is the distance between the actual developmental level as determined by independent problem solving and the level of potential development as determined through problem solving under adult guidance or in collaboration with more capable peers » (Vygotsky, 1978). En ce sens, la zone potentielle ne peut être mesurée comme étant une capacité individuelle (Wertsch, 1984). L’élève ne peut jamais atteindre seul le niveau potentiel. L’enseignement qui se fait dans la zone de développement proximal favorise le développement de nouvelles fonctions psychiques chez l’élève (Tharp et Gallimore, 1988; Vygotsky, 1933a).

Ainsi, une fonction psychique qui est à un moment au niveau potentiel parviendra au niveau actuel du développement, c’est-à-dire que ce que l’enfant est capable de faire aujourd’hui avec l’aide de quelqu’un, il sera capable de le faire demain par lui-même (Vygotsky, 1933b). Cela signifie que l’aide dans la ZDP est temporaire et, en ce sens, l’élève devient autonome et indépendant. Donc, en contexte de classe, l’enseignant qui soutient l’élève d’origine immigrante agit temporairement dans sa zone de développement proximal, puis il retire son soutien et l’élève termine son travail seul. L’action dans la zone de développement proximal est aussi contingente, puisque que l’interaction entre l’élève et l’enseignant n’aboutit pas nécessairement à un passage d’un niveau de développement à un autre plus élevé. L’interaction entre l’élève et l’enseignant ne favorise pas nécessairement l’acquisition d’une nouvelle connaissance chez l’élève.

De plus, Wertsch (1984) avance trois mécanismes qui décrivent les interactions entre l’élève et l’enseignant dans la zone de développement proximal : la définition de la situation; l’intersubjectivité et la médiation sémiotique. 1) La définition de la situation, qui est la manière dont les deux participants représentent ou définissent le contexte de l’activité entre eux. Au début de l’interaction, il se peut que la définition diffère entre les deux, chacun percevant différemment le but et l’objectif de l’activité. Ils ne savent pas ce que l’un attend de

21 Dans ses textes initiaux consultés, Vygotsky n’utilise pas les termes « zone de développement proximal ». Il le remplace par « zone du développement le plus proche ». Cependant, dans tous les autres textes traduits, nous trouvons la première appellation que nous utilisons dans notre texte.

l’autre. Une contradiction dans les perspectives peut se produire (Elbers, 2004). 2) L’intersubjectivité, atteinte après la négociation sur le sens de l’activité que Bruner (2008b) définit comme étant l’aptitude humaine à comprendre l’esprit d’autrui. L’enseignant et l’élève échangent pour arriver à un consensus. Ainsi, ils sont tous deux engagés dans un échange pour créer un consensus sur la tâche que l’élève doit accomplir (Cheyne et Tarulli, 2005). Elbers (2004) considère que l’intersubjectivité se produit lorsque les participants d’un dialogue réussissent à dépasser leurs mots et à créer un vocabulaire commun de façon temporaire. L’activité jointe entre l’élève et l’enseignant dans la zone de développement proximal permet à l’élève de coconstruire le sens de l’activité avec l’enseignant. Tout le bagage culturel des participants et leurs expériences culturelles entrent en jeu pour construire l’activité. Au moment de l’interaction, le dialogue et la négociation aident à établir cette intersubjectivité. Cependant, une asymétrie en ce qui a trait au savoir caractérise l’action dans la zone de développement proximal (Frawley, 1997, cité dans Nassaji et Cumming, 2000). L’enseignant est plus capable que l’élève en ce qui concerne le savoir à expliquer à l’élève. 3) La médiation sémiotique facilite l’apprentissage par l’utilisation d’outils qui conviennent à la situation de l’élève, dont la langue.

Dans le même sens que Wertsch (1984), en contexte scolaire, dans une tâche donnée, des chercheurs ont décrit les interactions entre l’élève et l’enseignant dans la zone de développement proximal. Certains ont insisté sur le fait que l’action de l’enseignant dans la zone de développement proximal de l’élève, dite étayage, aide l’élève à passer d’un niveau cognitif à un autre plus développé (Baleghizadeh et al., 2011; Coltman, Petyaeva et Anghileri, 2010; de Guerrero et Villamil, 2000; Hobsbaum, Peters et Sylva, 1996; Kozulin, 2003; Nassaji et Cumming, 2000; Nassaji et Swain, 2000). Nous reviendrons sur ce concept dans la section suivante. Baleghizadeh et al. (2011) ainsi que Nassaji et Swain (2011) soulignent l’importance de la quantité et de la nature du soutien fourni dans la zone de développement proximal, c’est- à-dire qu’au moment de l’interaction entre l’élève et l’enseignant, la prise en contrôle de la réalisation de la tâche est réglée par l’enseignant selon les besoins de l’élève et son apport. Nassaji et Swain (2011) insistent aussi sur l’aspect dialogique de l’interaction qui se développe selon les besoins de l’élève et qui s’opère dans la zone de développement proximal. Des échanges prennent place entre les deux, permettant à l’élève de s’exprimer, de négocier et

de poser des questions, et à l’enseignant de s’ajuster selon son apport. La zone de développement proximal varie d’un élève à l’autre et chez le même élève d’une tâche à l’autre (Newman et al., 1989, cité dans Bliss, Askew et Macrae, 1996). L’enseignant travaille ainsi avec plusieurs zones et il ne peut pas agir au-dessous ni au-delà de la zone de l’élève. Cette diversité de situations suppose une flexibilité et une interprétation de la part de l’enseignant quant à la planification de son travail (Courally, 2007), ce qui veut dire que l’enseignant n’agit pas de façon mécanique ou totalement prédéterminée. Il ne suit pas seulement les prescriptions, bien au contraire, il interprète chaque situation en cours d’action (Nielsen, 2008), dans le sens qu’il s’ajuste continuellement selon le contexte et les apports des élèves. Il identifie les besoins de l’élève à partir de sa zone de développement proximal et ajuste ses pratiques et les outils utilisés selon la situation ou, encore, selon la réaction de l’élève, ses paroles, ses attitudes et sa progression. Par conséquent, il choisit la quantité de soutien en ajustant son intervention, si nécessaire (Rodgers, 2005). L’enseignant fait donc des choix et prend des décisions au sujet des conditions de soutien qu’il met en place selon les difficultés que rencontre l’élève (Courally, 2007). L’action de l’enseignant dans la zone de développement proximal n’est donc pas mécanique. C’est un processus dynamique interactif qui dépend de l’apport de l’élève dans l’action. L’action dans la zone de développement proximal est dite étayage. Nous développons davantage ce concept dans ce qui suit.