• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III : MÉTHODOLOGIE

3.1 Les fondements épistémologiques

Dans cette section, nous expliquons les fondements épistémologiques de la recherche en lien avec les cadres théoriques présentés dans le chapitre II, le cadre d’analyse du travail enseignant et le cadre de l’approche sociohistorico-culturelle.

Dans le chapitre 2, nous avons situé les pratiques de soutien dans le contexte du travail réel de l’enseignant. Cette classification, d’inspiration sociologique et ergonomique, nous a permis de montrer que les pratiques de soutien mises en place en classe sont régies, entre autres, par les prescriptions et par la réalité de la classe, y compris les actions des acteurs et le sens qu’ils donnent eux-mêmes à leurs actions. La classe est donc vue comme une unité sociale mobile riche en interactions dans laquelle les acteurs, selon Le Breton (2004), occupent un rôle actif. Dans cette optique, l’approche sociohistorico-culturelle suppose que l’apprentissage et le développement de l’élève se font par l’intermédiaire des interactions sociales et culturelles entre l’élève et l’enseignant. Chacun interagit en se basant sur les connaissances qu’il a sur le monde (Hewitt, 2007). Dans le contexte scolaire, chaque acteur, enseignant ou élève, possède ses propres connaissances qui proviennent de sa culture, de son vécu et de ses expériences familiales et qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre. Dans cette perspective, il est important de comprendre l’histoire sociale et culturelle de l’élève et de l’enseignant, afin de saisir le sens que chaque acteur donne au soutien, surtout dans le cas de l’élève d’origine immigrante qui appartient déjà à un monde culturel différent de celui de l’enseignant. Nous considérons donc qu’au moment de l’interaction en classe, le sens du soutien est transformé par les interprétations que chaque acteur donne à la situation. C’est au cours de l’interaction que les deux acteurs s’ajustent l’un par rapport à l’autre pour atteindre l’intersubjectivité. L’action de l’individu n’est pas ainsi déterminée a priori : elle est plutôt relative au contexte; elle s’ajuste et évolue en fonction de l’interprétation de la situation. C’est pourquoi nous tentons de nous positionner près des acteurs pour comprendre leurs actions et leurs raisons d’agir en tenant compte de leur apport dans le soutien.

En nous référant à nos objectifs de recherche et à notre cadre théorique, nous cherchons à analyser les pratiques enseignantes de soutien in situ dans la classe, dont la structure est établie selon des modes d’échange, de communication et de négociation entre les différents acteurs.

Selon l’approche vygotskienne (Cole, 1996; Tharp et Gallimore, 1988; Vygotsky, 1978 ; Wertsch, 1984, 1985b), chaque individu interagit avec les éléments sociaux et culturels (autrui et artefacts) et construit son univers de sens selon les interprétations qu’il donne à la situation. Ainsi, selon cette approche, le soutien est conçu comme une « pratique sociale » soumise aux interactions entre l’enseignant et l’élève et trouve son sens à partir des interprétations que les deux acteurs, l’élève et l’enseignant, donnent à la situation. Dans cette optique, une telle pratique ne peut pas être définie comme objective ou réelle du point de vue de l’un des acteurs sans considérer l’autre point de vue. C’est ainsi que nous essayons de comprendre et de tenir compte des deux points de vue et d’analyser leurs actions dans la situation.

Afin de comprendre le point de vue des acteurs, il nous faut, méthodologiquement, avoir accès à leur construction de sens, ce qui nous conduit à considérer une démarche de recherche qualitative et interprétative ainsi qu’une démarche inductive délibératoire qui nous permettent de rester près des acteurs. Nous recourrons en outre à l’étude de cas, car il est important de regarder les actions des deux acteurs et de comprendre leurs raisons d’agir dans le vif de l’action et également d’avoir accès, comme nous l’avons déjà mentionné, à leur histoire sociale et culturelle qui a un effet sur le sens qu’ils donnent à la situation. Cela nous permet de comprendre la manière dont se coconstruit la pratique enseignante de soutien dans l’action. Blumer (1984, cité dans Le Breton, 2004) réfute une méthodologie loin de la réalité des acteurs. Il dénonce l’approche hypothético-déductive qui porte, selon lui, sur des hypothèses prédéterminées qu’il faut vérifier. Il considère que dans le monde de sens et de valeurs, les hommes ne sont pas soumis à des rapports de causalité relevés de méthodes quantitatives. Pour être proche de la réalité des acteurs, nous visons à prendre en considération leur discours, leurs actions et les explications qu’ils en donnent. Notre méthodologie impliquera donc une relation directe avec les acteurs par l’intermédiaire d’entrevues, d’observations et de consultations des productions écrites par les élèves participantes.

3.1.1 La recherche qualitative interprétative

Comme nous l’avons dit, nous voulons nous positionner près de la réalité des acteurs pour comprendre leur apport et leur point de vue sur les pratiques de soutien. Nous visons également à comprendre les choix des enseignants et les raisons qui les déterminent. D’une

part, cette vision holistique et compréhensive de la situation de soutien et, d’autre part, le rôle que nous accordons aux interactions entre les acteurs font appel à une méthodologie de recherche qualitative interprétative (Savoie-Zajc, 2011).

Les méthodes qualitatives sont issues des sciences humaines qui recherchent, explicitent et analysent des phénomènes visibles ou cachés (Mucchielli, 1991). Lamoureux (2006) soutient que dans ce type de recherche, les données ne sont pas numériques, mais qu’elles sont des caractéristiques groupées selon des critères de classification. Cette méthode cherche à comprendre les événements de l’intérieur (Van der Maren, 1996), dans le milieu naturel des participants (Lamoureux, 2006; Savoie-Zajc, 2004), soit la classe. La méthode qualitative permet également de comprendre le sens que l’enseignant et l’élève donnent à leurs expériences (Savoie-Zajc, 2004) en agissant en fonction du sens qu’ils attribuent à la situation. Par exemple, l’enseignant se base sur ses expériences passées de soutien pour choisir les stratégies et les outils, pour évaluer ce qui est utile et inutile, pour mettre en place les règles de la gestion de la classe, etc. Par sa discussion avec l’élève au moment du soutien, il relève ce qui convient ou non compte tenu de la situation; par conséquent, il réajuste ses plans selon sa nouvelle interprétation de la situation.

Dans le cadre de notre étude, nous avons mentionné, dans le deuxième chapitre, qu’une pratique de soutien est formée des actions des acteurs, des outils, des formes et des objets de soutien. À cet effet, d’un point de vue méthodologique, nous distinguons le « comportement des acteurs » des « actions des acteurs ». Nous nous inscrivons dans la définition de l’action de Lessard-Hébert, Goyette et Boutin (1995, p. 27) qui la décrivent comme « le comportement physique plus les significations que lui attribuent l’acteur et ceux qui sont en interaction avec lui ». Dans notre recherche, l’observation des actions (ou comportements) des acteurs n’est pas une finalité en soi. À travers les observations, nous tentons de comprendre les différentes significations que les participantes donnent à leurs actions (ou comportements) au moment des interactions. Ainsi, nous ne supposons pas, à la manière des positivistes, une uniformité de relations entre la forme de l’action et sa signification (Lessard Hébert et al., 1995). Nous supposons une variabilité des relations entre les formes des actions et les significations que les acteurs leur attribuent à travers les interactions (Lessard Hébert et al., 1995). Comme nous

l’avons souligné, la création de sens par les participantes renvoie à une dimension sociale qui dépend, entre autres, du contexte social de la classe et de l’école et également d’un contexte social plus large que celui de la classe et de l’école, soit l’ensemble des normes de chaque participant qui pourra influencer ses interactions avec autrui. Situer les pratiques de soutien dans ces deux contextes sociaux (la classe et l’école) guide ultérieurement notre analyse des données et l’interprétation.

3.1.2 La démarche inductive délibératoire

Dans une étude de type qualitatif, les données recueillies consistent en des descriptions détaillées des situations, des événements, des participants, des interactions, des attitudes observées, des citations directes des gens à propos de leurs expériences, de leurs attitudes, de leurs croyances et de leurs pensées ainsi que des extraits de documents (Patton, 1980, cité dans Merriam, 1988). Cela signifie que le chercheur explorera et découvrira plusieurs pistes de recherche observables et non observables en mobilisant divers instruments. Dans une recherche qualitative, la démarche suivie est habituellement inductive. Le chercheur se met en contact avec les acteurs pour les comprendre et pour recueillir des données en lien avec les catégories rapportées dans la recherche. Toutefois, celui-ci n’arrive pas sur place sans idée préconçue. La question qui se pose alors concerne l’impact de l’intuition du chercheur, de ses propres interprétations, de ses intérêts et de son cadre théorique au moment de la collecte et de l’analyse des données.

Lessard, Goyette et Boutin (1990) mentionnent qu’il existe deux écoles de pensée sur la place qu’occupe l’induction dans la recherche qualitative. La première, typiquement inductive, consiste à rendre la collecte des données sur le terrain la plus intuitive et inductive possible, alors que la deuxième, dans laquelle nous nous situons, logique inductive délibératoire, considère qu’outre l’intuition et l’induction, la pensée déductive et la délibération agissent encore. Les défenseurs de cette école considèrent qu’un chercheur ne peut pas venir sur le terrain sans un cadre théorique, au moins implicite. Cependant, une troisième école de pensée, dite inductive modérée (Savoie-Zajc, 2004), maintient que le chercheur reconnaît l’influence du cadre théorique, mais les différentes dimensions exprimées sont mises de côté au moment

de la collecte et de l’analyse des données afin de laisser émerger les catégories provenant des acteurs (Savoie-Zajc, 2004).

Nous nous inscrivons aussi dans la pensée logique inductive délibératoire. Par le choix de la méthode de recherche qualitative, nous voulons recueillir les points de vue des acteurs en situation et comprendre leurs actions dans le soutien. Nous considérons ainsi les catégories provenant du contexte réel des acteurs, ce qui nous permet de comprendre la manière dont ces derniers ont négocié entre eux pour coconstruire la situation. En même temps, nous avons élaboré un cadre théorique qui nous sert de modèle de référence pour mieux comprendre les pratiques de soutien dans le contexte réel de la classe. Des catégories préliminaires sont donc élaborées.