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CHAPITE II : CADRE THÉORIQUE

2.2 Les pratiques enseignantes de soutien à la lumière de l’approche sociohistorico-

2.2.1 L’approche sociohistorico-culturelle : des principes théoriques

2.2.1.2 La médiation sémiotique et les outils

Dans le paragraphe précédent, nous avons vu que le développement culturel est un processus interactif basé sur la médiation sémiotique de l’autre. Transféré en contexte de classe, ce concept nous permet de comprendre le rôle de l’autre, voire de l’enseignant, dans le soutien de l’élève. Il nous aide aussi à dévoiler le rôle des outils mis en place par l’enseignant au moment du soutien.

En effet, le terme « médiation » réfère à l’action d’un intermédiaire (médiateur) dans le processus de développement de l’individu. Le terme « sémiotique », utilisé par Vygotsky, provient du mot semios ou signe (outil psychologique) auquel Vygotsky s’intéresse. Vause (2010, p. 11) définit la médiation sémiotique comme étant « le processus par lequel se développe la capacité intrapsychique de l’individu à travers l’interaction dans l’interpsychique. Cette transformation ne peut se faire qu’à l’aide d’outils et de moyens qui amènent le développement de l’activité et de la conscience ». Autrement dit, la médiation sémiotique correspond à l’interaction sociale de l’individu avec autrui par l’intermédiaire d’un outil aboutissant au développement d’une fonction psychique chez l’individu. Ces outils ou instruments culturels (inventés par l’homme) ainsi que les systèmes de signes externes comme le langage et les signes mnémoniques (apparus au cours de l’humanité) ont marqué le début du développement culturel (Vause, 2010). En plus, il y a des outils découverts à partir de ceux déjà inventés par les générations précédentes (Cole, 1996).

Tout comme Vause (2010), certains auteurs soutiennent l’idée que la médiation sémiotique se base sur le rôle de l’autre dans l’interaction. Ceux-ci considèrent que tout système de signes et

d’outils implique un processus d’aide et de guidage fourni par autrui (Coll et Marti, 2001; Wood, Bruner et Ross, 1976). Lidz et Gindis (2003) ont aussi insisté sur le rôle de l’autre dans la médiation en signalant que le développement des fonctions psychologiques émerge dans le cours même du processus des activités partagées avec un autre plus compétent. Il en va de même pour Lantolf (2000) qui considère trois formes de médiation qu’il a nommées « médiation sociale » : l’interaction avec un expert (par exemple, l’enseignant), avec un novice (par exemple, un autre élève) et la médiation avec des pairs18. En revanche, d’autres auteurs considèrent que l’interaction sociale de l’individu avec les produits de la culture (outils) n’exige pas nécessairement la présence directe de l’autre (Baleghizadeh, Timcheh Memar et Timcheh Memar, 2011). Selon eux, la médiation peut être indirecte par l’intermédiaire des outils socialement construits comme des livres, des cartographies, des diagrammes, mais à la condition que l’expert soit celui qui désigne le modèle de soutien. Dans le contexte de notre recherche, la médiation sémiotique correspond à l’intervention de l’enseignant auprès d’un élève dans le but de le soutenir par l’intermédiaire d’un outil. Nous clarifierons davantage cette idée plus loin.

D’inspiration marxiste, l’outil culturel est destiné à maîtriser les processus mentaux et les comportements de l’individu. Il s’interpose entre l’individu et son entourage ou entre l’individu et autrui au cours du cycle du développement humain.

Pour améliorer ses habiletés physiques, l’homme utilise des outils physiques ou technologiques appelés artefacts (instruments techniques) comme le marteau, le crayon ou le tableau pour agir sur la nature ou sur un autre objet d’action (Bodrova et Leong, 2012). Les outils technologiques sont des systèmes d’aide et de médiation pour résoudre une situation donnée, mais ils ne se situent pas dans le champ psychologique comme les signes (Santos et Lacomblez, 2007). Ils sont orientés vers l’extérieur (Vygotsky, 1930) et déterminent l’action de l’homme sur la nature (Santos et Lacomblez, 2007; Schneuwly, 1987). Ces outils s’interposent entre l’homme et la nature et agissent comme instruments de médiation qui permettent à l’homme non seulement de transformer la nature mais aussi d’agir sur lui-même.

Par exemple, un bûcheron qui utilise la hache pour couper un arbre modifie la nature et transforme également ses conditions de vie.

Par contre, les outils psychologiques comme le langage (nous y reviendrons plus tard), les systèmes pour compter, la technique mnémonique, le système de symboles algébriques, le travail d’art, l’écrit, le diagramme, la carte, le dessin et le signe conventionnel (Vygotsky, 1930) sont d’origine sociale et ne sont ni organiques ni individuels (Vygotsky, 1930). Ils sont orientés vers l’intérieur et permettent l’action de l’homme sur lui-même et sur les autres (Santos et Lacomblez, 2007; Schneuwly, 1987). Ils dépendent des expériences et des générations précédentes (Schneuwly, 1987). Pour cette raison, certains sont universels et d’autres sont propres à chaque culture (Kozulin, 2003).

Donc, les outils facilitent l’accomplissement d’une action en maximisant les capacités de l’individu (Bodrova et Leong, 1996). Chez l’humain, ils favorisent le contrôle de sa propre conscience et de son psychisme, et le rend autonome : ils transforment son propre fonctionnement psychique en agissant sur les fonctions psychiques inférieures et en construisant de nouvelles fonctions psychiques (Schneuwly, 2007). À travers ces outils, l’homme transforme le monde qui l’entoure et se développe selon un mouvement dialectique : « Man differs from animals in that he can make and use tools. These tools not only radically change his conditions of existence, they even react on him in that they effect a change in him and his psychic condition » (Luria, 1928, cité dans Cole, 1996, p. 108). Autrement dit, l’outil agit sur l’homme et lui permet de faire un développement psychique, puis l’homme poursuit son développement, il agit sur l’outil, le change et le fait évoluer et agit, par conséquent, sur tout ce qui l’entoure. C’est donc un mouvement dialectique qui aboutit au développement de l’individu mais aussi de l’humanité tout entière. En contexte de classe, c’est ce qui gouverne les interactions entre l’élève et l’enseignant qui se font par l’intermédiaire d’outils : les deux interagissent, ils s’ajustent l’un par rapport à l’autre et à l’outil. Le développement de l’élève et son apprentissage n’auront pas lieu sans ce cycle d’interactions avec l’enseignant, d’où la difficulté pour un élève d’origine immigrante d’interagir avec un outil qui appartient à une culture différente de la sienne. Mais comment s’approprier l’outil pour développer son psychisme ?

L’appropriation des outils

Tout au long de sa vie, l’homme s’approprie les outils culturels acquis par le groupe social avec lequel il vit (Vause, 2010). Pourtant, l’outil n’est pas seulement un objet physique ou psychologique (langue, signe...) isolé de son contexte social et que l’individu assimile à son entourage. Il s’approprie également des expériences de vie, des valeurs, des normes et d’autres produits de la culture (Wells, 2000). L’outil comme produit culturel qui s’ancre dans le social n’est pas nécessairement perçu, utilisé et interprété de la même façon par les individus. Il est sujet à des interprétations basées sur des expériences personnelles.

Ainsi, chaque société a un système d’outils, de pratiques et d’instruments spécifiques qui permettent à l’individu de former collectivement ses fonctions psychiques supérieures (Schneuwly, 1985). En effet, la culture crée un nombre croissant d’instruments externes pour soutenir les processus psychologiques des individus (Ivic, 1994). Dans les sociétés homogènes, les écoles peuvent emprunter des outils de la culture et de la langue commune à tous. Cependant, dans un système hétérogène, le système éducatif a le défi de répondre aux différences culturelles, linguistiques et sociales des élèves (de Abreu et Elbers, 2005). Dans une telle société, les outils existants peuvent être insuffisants pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants. Un nouveau système plus riche en outils est considéré comme nécessaire pour médiatiser l’apprentissage des élèves d’origine immigrante et les aider à progresser dans leur scolarité (Kozulin, 2003). En d’autres termes, les outils déjà inventés et utilisés dans une culture donnée évoluent pour répondre aux besoins de la société hétérogène accueillant des immigrants porteurs d’autres cultures. En classe multiethnique, la culture majoritaire structure le programme scolaire et influence le fonctionnement de la classe. Les normes de la classe ne correspondent pas nécessairement aux normes d’un élève d’origine immigrante, ce qui fait que sa façon de percevoir l’outil est différente des autres élèves de la classe. En ce sens, Bodrova et Leong (1996) considèrent que l’outil utilisé par l’enseignant pour enseigner à l’élève doit avoir un sens spécifique pour ce dernier et non pas seulement pour l’enseignant.

En lien avec les défis de l’appropriation de l’outil, de la particularité de l’outil et des normes de la classe qui font partie de la culture majoritaire et qui affectent l’utilisation de l’outil par l’élève, nous introduisons la section suivante portant sur les trois niveaux de médiation.

L’outil n’est pas simplement un objet physique isolé de son contexte social et son appropriation est automatiquement faite et elle relève, entre autres, du sens que l’individu donne à l’outil, du contexte de déroulement de la médiation sémiotique et des interactions, entre autres.

Les trois niveaux de médiation

Dans sa théorie de médiation, Cole (1996), inspiré par Wartofsky (1973), propose trois niveaux hiérarchisés d’utilisation des outils par l’individu (artefacts et langue). de Abreu et Elbers (2005) postulent trois niveaux de médiation qui s’intègrent dans les trois niveaux de Cole (1996). Les auteurs parlent de l’utilisation directe des outils, de l’influence d’autrui et de ses représentations sur la compréhension des outils, de l’impact des institutions sociales et des représentations culturelles sur la compréhension des outils. Selon nous, cette hiérarchisation permet de mieux comprendre la médiation en classe multiethnique, les outils dans leur contexte social, d’utilisation et d’appropriation par les élèves d’origine immigrante. Autrement dit, la théorie de médiation nous fournit un éclairage sur le processus de coconstruction du sens de soutien entre l’élève et l’enseignant. Dans ce qui suit, nous décrivons les trois niveaux. 1) Le niveau primaire correspond à l’utilisation directe des outils dans la production de la vie

matérielle et sociale, par exemple, l’utilisation des objets physiques, des mots, des livres et même d’autrui.

2) Le niveau secondaire comporte les représentations sur les outils primaires et sur leur mode d’utilisation dans l’action. Les outils secondaires incluent les croyances, les normes et les prescriptions qui règlent les interactions entre les individus. Ils jouent un rôle important dans la conservation et dans la transmission des modes d’action et de croyances.

3) Le niveau tertiaire est formé de représentations culturelles autonomes comme l’art et les sciences qui, d’une manière ou d’une autre, influencent la perception de la réalité et la relation avec le monde actuel et avec les autres. C’est l’impact de la structure sociale et institutionnelle sur la manière dont les individus comprennent et utilisent les outils (de Abreu et Elbers, 2005).

Ce qui précède nous permet de faire ressortir des points qu’il faut considérer. Les trois niveaux sont dépendants l’un de l’autre, ce qui signifie que l’appropriation d’un outil par l’élève d’origine immigrante n’est pas un processus mécanique isolé du contexte social et culturel de la classe. C’est le produit d’un système de normes, de valeurs, de croyances et d’expériences relatives à une culture donnée. Il ne suffit pas que l’outil soit présent pour que l’élève l’utilise en classe et en bénéficie. Au cours des interactions entre l’élève et l’enseignant, il se peut que chacun donne un sens différent à l’outil.

Par ailleurs et comme nous l’avons vu, les outils produisent des transformations cognitives chez l’individu, c’est-à-dire le développement de ses fonctions psychiques d’ordre supérieur. Pour commenter ces transformations produites au moment de la médiation sémiotique grâce aux outils, nous présentons maintenant la loi de développement de Vygotsky.