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CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE

1.3 Le travail des enseignants en contexte hétérogène

1.3.1 Soutenir l’élève immigrant dans la langue d’enseignement : un travail

1.3.1.1 Valoriser la langue maternelle de l’élève

Pour accélérer la maîtrise de la langue scolaire dans un contexte éducatif, des auteurs soulignent que l’élève d’origine immigrante a besoin de stratégies d’enseignement portant sur les ressources linguistiques dans les deux langues : sa langue maternelle et celle de l’enseignement (Armand, 2012; Armand et al., 2008; Collin et Allen, 2011; Collin et al., 2011; Cummins, 2001; Datta, 2007; Fleury, 2013). Armand (2012) mentionne que la langue maternelle et les autres langues du répertoire plurilingue de l’élève sont des outils importants dans son apprentissage d’une nouvelle langue. Cummins (2001) considère que la privation des élèves de leur langue maternelle à l’école est un phénomène d’assimilation. C’est ainsi que se fait la distinction entre le bilinguisme additif et le bilinguisme soustractif. Dans le premier cas, le développement de la langue d’origine se poursuit et la culture est valorisée, en même temps que l’apprentissage d’une deuxième langue alors que dans le second cas, la deuxième langue se développe au détriment de la langue d’origine. En effet, les stratégies d’apprentissage d’une langue sont souvent communes. Il y a des compétences communes sous-jacentes (common underlying proficiency) (Cummins, 2001) que l’élève peut utiliser en apprenant les deux langues : la langue maternelle et la langue du pays d’accueil. Sur ce point, les auteurs postulent que l’exploitation des compétences linguistiques dans la langue d’origine favorise le

développement de capacités métalinguistiques chez l’élève allophone et le transfert des connaissances et des compétences entre les langues (Armand, 2012; Collin et Lévesque, 2012; Cummins, 2001; Fleury, 2013; Hoa Le, 2011; Veilleux, 2011). Par exemple, Hoa Le (2011) considère qu’une des pratiques qui permet aux élèves allophones de saisir le sens des expressions métaphoriques québécoises est de traduire en langue maternelle le sens littéral et le sens métaphorique des expressions et de les comparer. Veilleux (2011) souligne l’importance d’intégrer le langage vernaculaire en classe pour développer la compétence en compréhension à l’oral de l’immigrant. Selon cet auteur, les élèves seront exposés aux dimensions d’oralité de la langue, comme elles ont lieu dans les interactions quotidiennes à caractère informel.

Ces textes ont en commun de considérer que le soutien linguistique offert en classe repose sur la prise en compte, dans la classe, de la langue maternelle de l’élève, ce qui lui permet de faire des transferts linguistiques mais aussi de valoriser sa langue et sa culture d’origine. Toutefois, ces textes n’ont pas exploré la mise en œuvre in situ du soutien linguistique dans le contexte réel de la classe. Considérant le travail prescrit de l’enseignant en classe, entre autres, le programme scolaire, les évaluations, les plans d’intervention des élèves, les textes que nous avons recensés n’ont pas apporté d’avancement quant à la manière de gérer ces prescrits pour qu’il puisse mettre en œuvre le soutien linguistique. En outre, les écrits ont peu évoqué la manière dont un enseignant du primaire peut composer avec plusieurs répertoires linguistiques en classe, autrement dit, avec plusieurs élèves de différentes langues maternelles, surtout dans les classes à forte concentration d’élèves issus de l’immigration. Ils n’éclairent pas la façon dont l’enseignant peut fournir plusieurs ressources linguistiques pour répondre aux besoins des élèves d’origine immigrante et mettre cette ressource linguistique au profit des autres élèves de la classe pour répondre aussi à leurs besoins.

Considérant la limite d’un enseignant à prendre en compte et à valoriser la langue maternelle de chaque élève dans le contexte de la classe, nous soulignons, dans la même veine que le soutien linguistique à travers la valorisation de la langue d’origine, la tentative de certaines commissions scolaires de prendre la responsabilité d’offrir des programmes supplémentaires d’enseignement de la langue d’origine, en plus de ceux offerts par le gouvernement en dehors

de l’horaire scolaire (Armand, 2005; Benes et Dyotte, 2001). En effet, des cours de langues d’origine ont été introduits en 1978 dans le secteur scolaire public. Ces cours sont regroupés à l’intérieur du programme d’enseignement des langues d’origine (PELO) qui consiste à fournir à l’élève d’origine immigrante des activités dans sa langue maternelle. Ces cours sont offerts en dehors des heures réservées au programme et touchent les élèves placés directement en classe ordinaire et non en classe d’accueil (Armand, 2005).

D’une part, ce programme soulève l’intérêt manifesté par ces commissions scolaires pour le soutien linguistique des élèves issus de l’immigration et, d’autre part, le consensus sur l’importance de s’appuyer sur les acquis en langue maternelle pour favoriser l’apprentissage d’une langue seconde. Pourtant, le programme n’est pas prescrit; il reste optionnel et la direction de l’école prend la décision de le mettre ou non en place. En plus, les élèves qui passent de la classe d’accueil à la classe ordinaire ne bénéficient pas de ce programme. Donc, les enseignants des classes ordinaires ne profitent pas nécessairement de ce programme comme service de soutien offert par l’école pour les élèves d’origine immigrante.

Nous avons signalé précédemment que le soutien en langue se fait aussi à travers la valorisation des cultures d’origine des élèves et leur sensibilisation à la diversité culturelle. C’est ce que nous verrons dans ce qui suit.

1.3.1.2 Valoriser la culture d’origine de l’élève et le sensibiliser à la diversité culturelle

L’apprentissage d’une langue ne se limite pas à une connaissance orthographique, syntaxique, phonémique et grammaticale enseignée à l’école et transférée de la langue d’origine. Des auteurs soulignent que l’acquisition de la langue seconde par l’élève dépend, entre autres, de son intégration culturelle dans le nouveau contexte scolaire (Akkari et Gohard-Radenkovik, 2002; Armand, 2012; Armand et al., 2008; Courally, 2007; Piquemal et Bolivar, 2009). Ceux- ci rattachent le soutien dans la langue d’enseignement à la valorisation de la culture d’origine de l’élève par l’enseignant. Dans le même sens, ils considèrent que le défi de l’apprentissage de la langue seconde auquel est confronté l’élève d’origine immigrante dans la classe semble relié au défi de son intégration culturelle. D’autres prétendent que l’ouverture culturelle influence le développement et l’apprentissage de l’élève (Oers, 2008), sa socialisation

(Cloutier, 1983, cité dans Bouchamma, 2009) et que si les différences culturelles ne sont pas bien comprises et respectées par les enseignants, elles peuvent nuire à la cohésion et aux apprentissages des élèves (Collin et al., 2011). Dagenais (2008) considère que les élèves d’origine immigrante risquent l’échec scolaire quand leurs pratiques langagières et leurs connaissances culturelles ne sont pas prises en considération par l’école. Dans le même sens, Godbout (1984) souligne que les élèves se sentent insécurisés si l’enseignant ébranle, même involontairement, des valeurs culturelles auxquelles ils sont attachés. L’auteur souligne que les échanges interculturels développés dans une classe hétérogène entraînent des attitudes positives dans le groupe d’élèves et le désir de communiquer, et développent également un climat motivant pour l’enseignement et l’apprentissage scolaire. Dans le même ordre d’idées, certains chercheurs indiquent que la culture et la langue de l’élève peuvent être perçues par l’enseignant comme ressource valorisée et appréciée et que les histoires personnelles des élèves, leur culture et leur langue sont considérées par l’enseignant comme des atouts (Datta, 2007; Declercq, 2007). Ainsi, un enseignant peut considérer la culture de chaque élève comme un atout et comme point de départ de sa progression scolaire. Dans un tel contexte, chaque élève est exposé à des expériences et à des vécus qui lui sont nouveaux. Tout élève est ainsi placé dans un processus d’acculturation qui lui permet de s’ouvrir à toutes les cultures, d’accepter et de respecter l’autre. Ces échanges rehaussent l’estime de soi de l’élève et facilitent le processus d’enseignement-apprentissage.

Ces textes ont fourni un éclairage sur l’importance de l’intégration culturelle de l’élève pour améliorer son intégration linguistique et scolaire. Ils soulignent aussi l’importance pour l’enseignant de valoriser la culture d’origine de l’élève et de tenir compte de la diversité culturelle en général. Cependant, à quel point un enseignant du primaire peut-il connaître les particularités des cultures des élèves provenant de plusieurs pays, notamment dans les écoles montréalaises et dans certaines banlieues, pour les soutenir dans l’apprentissage de la langue seconde ? Les textes recensés n’ont pas évoqué la manière dont l’enseignant peut valoriser la culture de chaque élève en pratique, dans la salle de la classe, surtout s’il appartient à une culture différente de la plupart des élèves de la classe. Il a besoin, le cas échéant, de fournir des ressources adaptées à la culture de chaque élève d’origine immigrante.

Pour pouvoir fonctionner dans un tel contexte hétérogène, des chercheurs soulignent l’importance que l’enseignant possède des compétences interculturelles pour promouvoir une éducation interculturelle (Amireault et Bhanji-Pitman, 2012; Armand, 2013; Steinbach, 2012). Armand (2013) signale que les compétences interculturelles renvoient à la capacité de l’enseignant de s’engager dans une démarche d’ouverture à la diversité par le moyen d’une approche interculturelle. Autrement dit, il s’agit d’être capable de composer avec les différences culturelles et linguistiques. Dans cette perspective, un enseignant qui possède la compétence interculturelle favorise un climat de compréhension mutuelle dans la classe qui permet d’inclure de façon pertinente des éléments interculturels et des activités à charge culturelle (Amireault et Bhanji-Pitman, 2012). Troadec (2009) considère que, dans une approche interculturelle comme celle adoptée au Québec, l’enseignant prépare l’élève à valoriser la différence culturelle, les échanges et le métissage culturel afin de construire son identité individuelle et collective. Cela se fait au sein d’un environnement d’apprentissage interactif et communicationnel dans lequel l’enseignant et les élèves s’expriment mutuellement, parce qu’ils arrivent à un consensus sur le sens de la difficulté de l’élève pour pouvoir la surmonter. Dans ce sens, le développement des compétences interculturelles chez les élèves est considéré comme nécessaire pour les aider à surmonter les défis linguistiques et pour favoriser chez eux un sentiment d’appartenance à la société francophone, tout en valorisant leur culture d’origine.

Ces analyses ont apporté un éclairage sur l’importance que les enseignants possèdent des compétences interculturelles pour savoir fonctionner, c’est-à-dire fournir et utiliser des ressources multiculturelles dans un contexte où on leur demande de valoriser la langue et la culture d’origine des élèves. Cependant, à quel point ces analyses touchent-elles, d’une part, la réalité de la classe et, d’autre part, la réalité des enseignants qui ne possèdent pas nécessairement ces compétences interculturelles ? Comment, en classe, inciter les enseignants à apporter des changements dans leur façon de faire et développer chez eux le sens de l’éducation interculturelle ?

Devant les limites de développer des compétences interculturelles chez les enseignants et considérant leur défi pour valoriser la culture de chaque élève en classe, nous présentons le

programme ÉLODIL14 qui leur propose des activités d’ordre multiculturel. En effet, le

gouvernement de Québec a adopté, en 2002, au sein de la réforme des années 1990, le programme d’Éveil aux langues ELODIL (Armand et al., 2008). Ce programme a pour objectif de développer la compétence langagière des immigrants allophones en leur proposant des activités de réflexion sur les diverses langues et cultures (Maraillet, 2005), sans se limiter à des activités centrées seulement sur la culture de la société d’accueil. Le programme a aussi comme objectif de développer chez tous les élèves des attitudes positives quant à la diversité linguistique et culturelle (Armand et al., 2008). Ainsi, des chercheurs suggèrent des balises pour l’enseignement en langue seconde centrées sur l’ouverture culturelle. Par exemple, mettre en place des activités qui visent la valorisation du français tout en laissant une place à la diversité linguistique, comme élargir le champ lexical scolaire aux références culturelles des élèves (Fleury, 2013). Amireault et Bhanji-Pitman (2012) suggèrent l’organisation de jumelages linguistiques entre des élèves issus de l’immigration et des Québécois francophones qui sont utiles pour le développement de la compétence de la communication interculturelle en général et qui permettent de mettre l’accent sur des éléments linguistiques et culturels travaillés en classe. Armand (2012) propose certaines activités adoptées en classe pour favoriser l’intégration linguistique et culturelle de l’élève d’origine immigrante, comme la production de textes identitaires bilingues et plurilingues, l’exploitation des livres bilingues ou plurilingues, l’exploitation de livres évoquant les autres langues et cultures, la différence, l’altérité, les clins d’œil plurilingues en salle de classe comme chanter en plusieurs langues pour l’anniversaire d’un pair.

Ce programme fournit aux enseignants des ressources diverses, comme les activités multiculturelles qui visent l’intégration linguistique et culturelle des élèves d’origine immigrante. Soulignons que la langue fait partie de la culture de chaque individu (voir la définition de la culture au début de ce chapitre). Connaître une nouvelle langue, c’est connaître une nouvelle culture et vice versa, dans le sens que la reconnaissance de certains traits d’une culture facilite la maîtrise de la langue faisant partie de la même culture. Le programme ÉLODIL contribue, d’une certaine manière, à sensibiliser les enseignants à la diversité et à développer chez eux les compétences interculturelles. Ainsi, il semble que la connaissance par

l’enseignant des différences culturelles des élèves lui permet de les aider à exploiter des traits culturels, dont la langue, dans leur apprentissage du français langue seconde. Le programme vise aussi la sensibilisation des élèves à la diversité linguistique et culturelle. Pourtant, nous nous questionnons : jusqu’à quel point un enseignant du primaire est-il capable de gérer son travail et de composer avec les caractéristiques de la classe et les exigences du programme scolaire de façon à intégrer les ressources fournies par le programme ? Bien que le programme offre une gamme d’activités, il reste que, dans sa classe, l’enseignant tient compte de plusieurs facteurs contextuels ce qui influe sur ses choix de soutien. En effet, rares sont les recherches qui ont exploré la manière d’intégrer ces activités multiculturelles au travail réel de l’enseignant en classe. Ces activités multiculturelles n’exigent pas seulement une gestion du temps et du programme scolaire, mais aussi un savoir enseignant sur les différentes langues et cultures évoquées dans les activités.

Dans cette section sur le soutien dans la langue d’enseignement, la recension des textes sur le travail de l’enseignant en classe en ce qui concerne le soutien linguistique nous permet de ressortir deux enjeux. Le soutien et l’apprentissage en français reposent sur la valorisation de la langue maternelle des élèves allophones et sur celle des cultures d’origine des élèves et leur sensibilisation à la diversité culturelle. Donc, l’intégration linguistique accompagne l’intégration culturelle. En effet, les textes recensés mettent beaucoup en valeur l’importance de considérer le répertoire linguistique et culturel de chaque élève d’origine immigrante en classe et de sensibiliser tous les élèves à la diversité culturelle et linguistique. Ils mettent aussi en valeur les compétences interculturelles des enseignants. Des auteurs ont aussi proposé des activités et des moyens pédagogiques pour le soutien linguistique qui sont fondés sur des ressources dans la langue et la culture d’origine. Pourtant, cela demeure d’ordre prescriptif, car ces textes ont laissé peu de place à la description des pratiques développées par les enseignants in situ. En plus de cette limite, quatre autres ressortent de ces textes en ce qui a trait au travail de l’enseignant dans le contexte réel de la classe. La première limite de l’enseignant du primaire est de prendre en compte la langue maternelle et la culture d’origine de tous les élèves d’origine immigrante provenant de plusieurs pays et de leur fournir les ressources nécessaires. La deuxième limite est de mettre ces ressources au profit des autres élèves de la classe. La troisième limite est de fournir ces ressources, tout en tenant compte des facteurs du contexte,

des exigences du programme scolaire et du travail prescrit. Enfin, la quatrième limite est que l’enseignant n’est pas nécessairement formé pour développer des compétences interculturelles qui lui facilite les fonctions en classe en ce qui concerne la gestion de classe et de temps, la réinterprétation du programme scolaire et l’implantation des activités multiculturelles diverses. Nous avons mentionné antérieurement que les élèves d’origine immigrante qui s’intègrent dans la classe ordinaire peuvent accuser un retard dans le développement des compétences disciplinaires par rapport aux élèves de la classe ordinaire dans laquelle ils sont intégrés à cause de la différence dans le programme scolaire entre la classe ordinaire et la classe d’accueil, surtout s’ils ont séjourné longtemps dans cette dernière. Par conséquent, l’enseignant est appelé à soutenir l’élève récemment immigré dans l’ensemble de ces compétences disciplinaires.

1.3.2 Soutenir l’élève immigrant dans l’apprentissage des compétences disciplinaires