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CHAPITE II : CADRE THÉORIQUE

2.1 Les pratiques enseignantes de soutien à la lumière du cadre de l’analyse

2.1.2 Le travail réel

La prise en compte du travail prescrit et du travail flou de l’enseignant suppose ainsi de considérer le travail des enseignants comme composite (Tardif et Lessard, 1999). En ergonomie, on parle du travail réel qui réfère à l’activité, à ce que l’acteur fait en situation (Lessard, 2010). Pour comprendre le travail réel, il faut comprendre le travail que l’enseignant redéfinit à partir des prescriptions primaires et secondaires (Courally, 2007). Le travail réel ou l’activité se distingue de l’activité réalisée ou de l’action. L’activité imprescriptible, soumise à plusieurs contraintes (Amigues et Lataillade, 2007), ne se réduit pas à la réalisation d’une action prescrite (Amigues, 2003; Lantheaume, 2007), mais elle se développe pour réaliser la prescription (Amigues et Lataillade, 2007). Si l’action vise la réalisation d’un but dans des conditions données (Amigues, 2003), l’activité est « le reflet et la construction d’une histoire : celle d’un sujet actif qui arbitre entre ce qu’on lui demande et ce que ça lui demande » (Amigues et Lataillade, 2007, p. 8). C’est dans ce sens qu’un enseignant œuvrant en contexte hétérogène interprète et analyse les prescriptions selon les facteurs de la classe avant de les mettre en action. L’activité est liée au milieu où elle s’exerce (Amigues, 2003). C’est donc le travail redéfini à partir du travail prescrit et autoprescrit avec ce qui émerge dans le contexte réel de la classe. Ainsi, l’enseignant tente de s’adapter à toute nouvelle situation qui émerge en classe tout en tenant compte des facteurs du contexte. Ce faisant, l’enseignant cherche à éviter les coûts et à obtenir des bénéfices (Malo, 2010) à partir des choix qu’il fait dans l’action.

Dans le même sens, en lien avec l’ergonomie mais dans un autre cadre théorique qui s’appuie sur la didactique professionnelle, le travail réel se définit selon un modèle dit modèle des gestes professionnels (Brudermann et Pélissier, 2008; Bucheton, 2009; Bucheton et Soulé, 2009). Le geste enseignant correspond à son action et à l’actualisation de ses préoccupations (Bucheton et Soulé, 2009). Les gestes professionnels renvoient aux actions de communication inscrite dans une culture partagée du contexte scolaire (Bucheton, 2009). Ce modèle fait appel à la notion d’ajustement professionnel. L’enseignant, considéré comme l’exécuteur du travail en classe, se dote de stratégies pour déjouer les contraintes de l’activité (Bucheton, 2009). L’enseignant compétent lit rapidement les situations, les interprète et agit en conséquence (Tardif et Lessard, 1999). Bucheton (2009) considère que les gestes d’ajustement de l’enseignant dans l’action et dans la situation constituent la professionnalité de l’enseignant.

Selon cette même auteure, ces ajustements sont structurés par des logiques d’arrière-plan, voire planifiées. L’ajustement est la manière dont l’agir langagier et corporel de l’enseignant se règlent sur la situation spécifique de la classe (Bucheton, 2009). C’est une réponse à l’apport et aux besoins de l’ensemble des élèves de la classe; aux imprévus et aux événements inattendus en classe (Bucheton, 2009). Cet ajustement est soit pré-planifié, soit il a émergé in situ. Par exemple, nous supposons que l’enseignant ajuste ses pratiques de soutien en début d’année scolaire à la suite de son analyse du niveau scolaire et linguistique de la classe. Il décide de mettre en place des outils de soutien particuliers, de se centrer sur certaines compétences, d’alléger le programme, etc. In situ, un enseignant fait face à une demande d’aide imprévue d’un élève, il s’ajuste pour répondre à son besoin sans négliger les autres élèves de la classe. Chaque enseignant a donc sa propre manière d’intégrer les prescriptions tout en les adaptant au contexte réel de la classe. L’enseignant ajuste ses pratiques, ses planifications et mobilise ses compétences pour pouvoir gérer les imprévus, les situations et les attitudes inattendues en classe selon ses interprétations des situations. Il arrive quand même que certaines prescriptions soient mises de côté. Tel que déjà mentionné, l’enseignant cherche à maintenir son adaptation à la situation tout en gérant, selon son point de vue, le rapport coût-bénéfice (Malo, 2010).

Dans notre recherche, le travail prescrit consiste, entre autres, en un ensemble de politiques et d’orientations ministérielles visant l’intégration scolaire des élèves d’origine immigrante et la réussite de tous. En classe, l’enseignant interprète ces politiques afin de développer des pratiques de soutien répondant, d’une part, aux prescriptions ministérielles et à ses autoprescriptions et, d’autre part, au contexte de la classe et aux besoins diversifiés de l’ensemble des élèves, ce qui renvoie au travail réel ou composite. C’est dans ce cadre que nous situons les pratiques enseignantes de soutien auprès des élèves d’origine immigrante. Nous visons à comprendre les actions de l’enseignant en classe pour soutenir ces élèves. En lien avec le modèle d’ajustement professionnel de Bucheton (2009), le travail de l’enseignant consiste en des actions ajustées en fonction des conditions de la classe. Ces actions sont le résultat des décisions prises par l’enseignant avant et au moment des interactions avec les élèves. En ce sens, les pratiques enseignantes de soutien désignent tout ce que l’enseignant fait

dans le contexte réel de la classe pour soutenir les élèves d’origine immigrante, ce qui sera notre objet d’étude.

Pour compléter notre compréhension du travail réel, de la mise en place des pratiques de soutien dans le contexte de la classe, nous présentons, dans la partie suivante, la manière dont l’enseignant gère les différentes interactions en classe, plus particulièrement la gestion des interactions au moment de la mise en place des pratiques de soutien.