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Le séjour en classe d’accueil et la transition vers la classe ordinaire

CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE

1.2 La situation éducative des élèves d’immigration récente

1.2.1 Le séjour en classe d’accueil et la transition vers la classe ordinaire

Comme nous l’avons déjà mentionné, les politiques gouvernementales issues du modèle interculturel offrent des balises contribuant à l’intégration linguistique et culturelle des élèves issus de l’immigration. Par exemple, dans le but d’aider l’élève d’origine immigrante nouvellement arrivé d’améliorer ses compétences linguistiques en français, le système scolaire québécois lui demande de passer par une classe d’accueil avant de rejoindre les classes ordinaires.

Le gouvernement du Québec a laissé aux commissions scolaires l’organisation du travail dans les classes d’accueil. La durée du séjour des élèves d’origine immigrante dans les classes d’accueil, les liens avec les classes ordinaires, les types de classe d’accueil (classe fermée, ouverte ou partiellement fermée) et les modes de passage en classe ordinaire sont des caractéristiques qui varient d’une école à l’autre (Armand et al., 2010; Volcy et Lefebvre, 1996). La maîtrise du français et l’éducation à la citoyenneté sont les deux objectifs primordiaux de ces classes.

En général, l’élève séjourne en classe d’accueil le temps de développer une maîtrise suffisante du français pour pouvoir intégrer la classe ordinaire. De plus, la transition est ouverte toute l’année et ne se fait pas exclusivement au début de l’année scolaire, ce qui signifie que l’enseignant de la classe ordinaire peut accueillir un nouvel élève à n’importe quelle période de l’année, quelles que soient ses acquisitions au sujet des compétences disciplinaires. Cet enseignant doit assurer la réussite de l’élève nouvellement intégré comme celle des autres élèves de la classe et lui enseigner le même contenu scolaire.

Le programme scolaire des classes d’accueil se distingue de celui des classes ordinaires qui couvre l’ensemble des matières scolaires (Volcy et Lefebvre, 1996). Dans les classes d’accueil, le programme se concentre sur l’apprentissage de la langue d’enseignement et sur l’intégration sociale et scolaire des nouveaux arrivants. Plus de la moitié du programme est consacré à l’enseignement du français écrit et oral et à une initiation à la vie québécoise (65 %), 20 % sont voués à l’enseignement des mathématiques tandis que 15 % sont dédiés aux arts, à l’éducation physique et à la musique (Benes et Dyotte, 2001). Comme le mandat des classes d’accueil est de soutenir l’apprentissage en français, il n’y a pas de progression prévue dans le programme scolaire entre la première année en accueil et celui de la deuxième année (Allen, 2006), ce qui peut perturber la scolarité de l’élève. De plus, le profil des élèves de ces classes est fortement hétérogène. Sont regroupés au sein d’une même classe des élèves qui diffèrent, entre autres, en termes d’âge, de niveau de scolarité, de langue maternelle, de culture d’origine, ce qui fait que l’application d’un seul programme de français couvre difficilement les besoins de tous les élèves (Collin et al., 2011). Les classes d’accueil constituent une première étape dans le développement langagier des élèves allophones qui se poursuit dans les classes ordinaires (Collin et al., 2011) sous la responsabilité de l’enseignant. Autrement dit, les classes d’accueil contribuent à l’intégration linguistique des élèves issus de l’immigration, mais l’enseignant de la classe ordinaire est appelé à poursuivre le travail d’intégration.

Par ailleurs, les modes organisationnels des classes d’accueil sont en relation avec le nombre de nouveaux immigrants qui joignent le secteur et l’école chaque année. Au primaire, il est rare, surtout à Montréal, que des élèves immigrants récemment arrivés intègrent directement une classe ordinaire sans passer par une classe d’accueil (Armand, 2005). Au contraire, dans

les zones rurales, où le nombre d’immigrants est minime, le modèle d’accueil est remplacé par une intégration immédiate dans la classe ordinaire avec un soutien individuel offert aux élèves, soit en classe ou en dehors de la classe (Armand, 2005; Benes et Dyotte, 2001). D’autres écoles expérimentent un modèle qui consiste à intégrer l’élève progressivement dans la classe ordinaire durant l’année (Benes et Dyotte, 2001).

La durée de séjour des élèves en classe d’accueil, qui varie entre six mois et deux ans, peut avoir des répercussions sur le cheminement scolaire des élèves en classe ordinaire. Par exemple, une durée indûment prolongée de fréquentation des classes d’accueil pourrait avoir des effets négatifs sur le cheminement scolaire de ces élèves (Benes et Dyotte, 2001). Des recherches montrent aussi que les modalités de séjour en classe d’accueil peuvent avoir des effets sur le cheminement scolaire des élèves en classe ordinaire (Armand et al., 2010). Vatz Laaroussi et Steinbach (2010) mentionnent que les bénéfices et les désavantages sociaux et linguistiques des classes d’accueil fermées ont été soulevés dans plusieurs études qui ont recommandé un système plus flexible, avec un espace pour l’intégration sociale, dans le processus d’apprentissage de la langue pour les élèves issus de l’immigration.

Bien que le but de la mise en place des classes d’accueil soit d’assurer l’intégration linguistique, culturelle et sociale des élèves d’origine immigrante, le type de classe peut ne pas accomplir ce rôle. En effet, une classe d’accueil de type fermé est la forme la plus répandue dans les écoles primaires et secondaires, surtout pour la première année d’intégration (Armand, 2005; Armand et al., 2010). Ce modèle, où les élèves suivent tous leurs cours en classe (Volcy et Lefebvre, 1996), marginalise l’élève d’origine immigrante en limitant son interaction avec des pairs qui maîtrisent bien le français (Armand et al., 2010). Ces classes, considérées isolées des classes ordinaires tant sur le plan social que scolaire (Allen, 2006; Steinbach, 2010), peuvent entraîner un retard scolaire, surtout si l’élève fréquente la classe pour une durée prolongée (Benes et Dyotte, 2001).

Pour bien cerner les effets des classes d’accueil sur le cheminement des élèves, notamment leur intégration sociale et linguistique, Steinbach (2010), dans une étude effectuée auprès des

élèves du secondaire12 en classe d’accueil, en Estrie, montre, dans l’analyse des entrevues

faites avec les élèves, que ces derniers ont la perception que la langue française apprise en classe d’accueil n’était pas réelle, car ils n’ont jamais eu l’occasion d’interagir avec les élèves francophones. La chercheuse ajoute que les élèves sont déçus de ne pas pratiquer la langue avec des francophones et qu’ils se sentent mal outillés dans la communication en français, surtout qu’ils perçoivent cette difficulté comme le principal obstacle à leur intégration.

Dans le même sens, à partir d’entrevues faites auprès d’élèves du secondaire qui sont ou qui ont été en classe d’accueil, Allen (2006) a noté que la plupart des nouveaux arrivants considèrent le français comme un obstacle et non comme un moyen facilitateur de leur intégration sociale. Certains élèves ont mentionné qu’ils ont cumulé un retard de deux ans par rapport aux autres matières scolaires et qu’ils se sentent isolés des classes ordinaires et de la communauté scolaire.

Les résultats de ces recherches soulignent, du point de vue des élèves, que les classes d’accueil n’ont pas contribué à leur intégration sociale et linguistique. Ils rapportent l’importance de communiquer avec des pairs francophones pour avoir l’occasion de pratiquer la langue. Certains élèves considèrent que la classe d’accueil de type fermé a provoqué un retard scolaire et un sentiment de malaise envers le français, faisant en sorte qu’une fois intégrés dans une classe ordinaire, ils ne se sentent pas à l’aise d’échanger, d’apprendre et de communiquer en français. Dans ce cas, l’enseignant de la classe ordinaire est appelé à soutenir l’élève dans la langue d’enseignement, mais aussi à l’aider à valoriser le français, à se socialiser et à échanger avec autrui.

Dans le même ordre d’idées, une enquête sur les élèves en classe d’accueil, réalisée par le MEQ en 199613, montre que 29,4 % des élèves de la classe d’accueil de la cohorte de 1989 ont été identifiés comme ayant des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage en classe ordinaire dans l’une ou l’autre des années qui suivent leur séjour en classe d’accueil. Selon l’étude, environ 75 % des élèves arrivés à l’âge de cinq ans ne prennent pas de retard scolaire après

12 Les recherches sont rares en classe primaire et c’est pour cette raison que nous avons utilisé les données provenant de recherches effectuées en classe secondaire.

13 À ce sujet, les enquêtes sont rares et c’est pour cette raison que nous avons utilisé des données qui datent de 1996.

une année en classe d’accueil ou de francisation; au primaire, 37,6 % des élèves qui ont passé un an en classe d’accueil n’ont aucun retard scolaire contre 55,8 % de ceux qui ont bénéficié de mesures spéciales, voire de soutien linguistique en classe ordinaire (MEQ, 1996 cité dans Armand, 2005). Ces résultats démontrent que l’élève allophone intégré dans une classe d’accueil peut cumuler plus de retard dans les compétences linguistiques et dans les autres matières scolaires que les élèves allophones intégrés directement en classe ordinaire. En plus, les élèves qui arrivent jeunes au Québec ont plus de chance de ne pas cumuler de retard scolaire. Ainsi, comme nous l’avons constaté auparavant, il semble que le séjour en classe d’accueil ne suffit pas, à lui seul, pour préparer les élèves issus de l’immigration récemment arrivés à relever les défis d’intégration sociale et linguistique, donnant à l’enseignant de la classe ordinaire la responsabilité de l’intégration de l’élève.

D’après ce qui précède, nous constatons que la situation éducative des élèves d’origine immigrante qui transitent des classes d’accueil vers des classes ordinaires exige une remise en question et une réévaluation des enseignants de la classe ordinaire. Bien que les statistiques n’aient pas démontré que les élèves d’origine immigrante réussissent moins que les autres, certains élèves intégrés en classe ordinaire éprouvent des difficultés, surtout linguistiques. De plus, durant leur séjour en classe d’accueil, dépendamment des types de classe d’accueil et de la durée de séjour dans ces classes, certains élèves d’origine immigrante accumulent un retard dans certaines compétences disciplinaires et vivent un certain isolement social. Ces élèves, qui intègrent par la suite une classe ordinaire sans atteindre un niveau de maîtrise confortable en français, requièrent de l’enseignant des mesures de soutien et d’accompagnement, surtout dans les premières années de leur intégration. En outre, l’enseignant de la classe ordinaire est appelé à composer avec l’écart entre les compétences acquises par l’élève d’origine immigrante et ses pairs, tout en l’aidant dans son intégration sociale et culturelle. En ce sens, le travail des enseignants se complexifie et devient plus exigeant au regard de la prise en compte des besoins de l’ensemble des élèves de la classe. Dans ce contexte, les enseignants sont appelés à prendre en considération la diversité culturelle des élèves et à adapter leur pratique d’enseignement pour faciliter l’intégration scolaire, linguistique, sociale et culturelle des élèves immigrants et pour répondre aux besoins de la totalité des élèves de la classe. Pourtant, dans une autre perspective, et comme le préconisent les politiques éducatives du

Québec, l’arrivée des élèves d’origine immigrante, par le principe même de l’ouverture et de la tolérance à la culture d’autrui, apporte une richesse à la classe en donnant lieu à des situations favorables au développement citoyen que l’enseignant peut exploiter.

Jusqu’à présent, nous avons décrit le contexte social et scolaire québécois et la prise en compte de la diversité culturelle. L’immigration, qui a changé le visage démographique de la province, a incité le gouvernement à adopter l’interculturalisme comme modèle de gestion de la diversité pour conserver la culture francophone de la province. Ainsi, des mesures, des plans et des politiques ministériels élaborés augmentent la responsabilité des enseignants et les incitent à soutenir les élèves issus de l’immigration dans leur intégration linguistique, culturelle et sociale. Après avoir situé le travail des enseignants dans ce contexte social et scolaire hétérogène, nous avons décrit la situation éducative des élèves issus de l’immigration récente dans les classes d’accueil et leur transition dans les classes ordinaires pour comprendre le contexte de la classe où les enseignants exercent leur travail. Nous avons constaté que, dans ces classes, les enseignants sont appelés à poursuivre avec les élèves d’origine immigrante leur intégration linguistique. Nous explorerons, par la suite, le travail des enseignants dans ce contexte. Pour ce faire, nous nous pencherons sur des écrits qui évoquent le rôle des enseignants et le soutien qu’ils apportent aux élèves d’origine immigrante en classe, à la lumière du modèle interculturel et des différentes politiques ministérielles du Québec.