• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III : MÉTHODOLOGIE

3.4 Les instruments et la collecte de données

3.4.3 L’entrevue individuelle

3.4.3.2 L’entrevue spécifique

Rappelons que notre but était aussi de comprendre le rôle des participantes dans le processus de soutien en classe par l’intermédiaire de l’explicitation et de l’explication de leur pensée sur

des tâches précises. En nous référant à l’approche sociohistorico-culturelle pour analyser les pratiques de soutien et en considérant le rôle actif que cette approche accorde à l’individu dans la coconstruction du sens au moment des situations interactives avec autrui, nous trouvions important de comprendre le point de vue de l’enseignante et celui de l’élève en tant qu’actrices actives des interactions à visée de soutien se déroulant entre les deux. Nous voulions également comprendre les motifs des décisions des enseignantes en action; les décisions qui les ont poussées à agir de telle ou telle manière lors des interactions avec les élèves.

À cet effet, nous avons mené des entrevues spécifiques parallèlement à l’entrevue semi- structurée, afin de permettre aux participantes d’expliciter leurs actions, d’identifier les procédures qu’elles ont employées, d’exprimer leur point de vue et aussi d’expliquer ce qu’elles ont fait, de donner les raisons de leurs décisions. Des questions sur le « comment » et sur le « pourquoi » des actions ont donc été privilégiées, plus particulièrement, lors de l’entrevue avec l’élève qui favorisait également un espace ouvert pour pouvoir répéter la tâche avec elle.

Entrevue individuelle spécifique avec les élèves

Rappelons que par l’entrevue spécifique avec l’élève, notre but était de demeurer à proximité de l’élève pour répéter la tâche avec elle, concevoir ses processus cognitifs, comprendre la façon dont elle s’est prise pour faire la tâche avant et après le soutien apporté en classe par l’enseignante, appréhender ses points de vue sur le soutien offert et comprendre ses besoins et ses difficultés. À cet effet, nous nous sommes inspirée de l’entrevue cognitive à visée d’apprentissage (Perraudeau, 2002a, b; Perraudeau et Pagoni, 2010) basée elle-même sur l’entrevue critique de Piaget (Perraudeau, 1998, 2002a, b; Perraudeau et Pagoni, 2010).

En outre, nous anticipions que faire des entrevues avec des élèves du primaire serait un défi. Ces dernières pourraient interagir avec nous selon leur expérience de vie avec les autres adultes en contexte scolaire. Book et Putnam (1992, cités dans Boutin, 2000) postulent que c’est le rapport à l’autorité qui va marquer la relation de l’élève avec l’adulte. En plus, l’élève pourrait ne pas voir l’intérêt de répondre à des questions ou de raconter des événements à une personne qui vient de l’extérieur de la classe. Ce qui est aussi particulier dans notre contexte,

c’est que les élèves à interviewer sont des élèves d’origine immigrantes qui vivent encore une certaine discontinuité culturelle avec la société d’accueil. Ainsi, nous avons été vigilante pour ne pas jouer le rôle d’inquisitrice à leur égard (Boutin, 2000) afin de ne pas les démotiver ni influencer négativement leur intégration socioculturelle. Considérant cette réalité, nous avons décidé d’adopter l’entrevue cognitive à visée d’apprentissage qui nous situait dans une situation d’accompagnement par rapport à l’élève. Comme mentionné auparavant, cette entrevue s’inspire de l’entrevue clinique de Piaget. Qu’avons-nous adapté des deux types d’entrevue à notre contexte de recherche ?

L’entrevue cognitive à visée d’apprentissage est un dialogue individualisé en classe mis en place par un enseignant pour comprendre les procédures cognitives de l’élève afin de pouvoir l’accompagner dans sa difficulté (Perraudeau et Pagoni, 2010). Il s’agit donc d’un dispositif clinique de verbalisation, car il permet à l’enseignant de comprendre les procédures cognitives de l’élève et de l’aider dans son apprentissage. Il permet aussi à l’élève de prendre conscience de ses procédures et de s’ajuster. Cette entrevue est inspirée de la méthode clinique critique utilisée par Piaget pour comprendre le développement de la pensée de l’enfant devant des tâches de résolution de problèmes (Perraudeau, 1998, 2002a et b; Perraudeau et Pagoni, 2010). En lien avec l’entrevue cognitive pour solliciter les propos de l’élève, nous empruntions de l’entrevue clinique l’utilisation des contre-suggestions pour déstabiliser le raisonnement de l’élève (Piaget, 1972, cité dans Perraudeau et Pagoni, 2010). Comme nous travaillons avec des élèves d’origine immigrante qui pourraient éprouver des difficultés à s’exprimer, nous visons, par les contre-suggestions, à sensibiliser l’élève sur d’autres points de vue et sur d’autres avis, afin qu’il exprime mieux ses besoins et ses difficultés.

Transférée dans un contexte de recherche entre élève et chercheuse, l’entrevue cognitive a été utilisée pour accompagner l’élève, sans nous inscrire dans un but d’apprentissage direct, qui n’est pas le but de la recherche. Pour ce faire, nous avons posé des questions qui visent un discours d’explicitation et d’explication. Les entrevues sont préparées in situ, mais certaines questions étaient prévues. Nous demandions à l’élève de décrire et d’expliquer le soutien offert par l’enseignante et ce qu’elle avait fait dans la tâche. Nous avons posé d’autres questions, selon la particularité de chaque tâche, mais aussi selon les apports de l’élève dans

l’entrevue. Dans certaines entrevues, nous avons échangé de façon différente de ce qui avait été prévu, à cause des réponses de l’élève. En effet, notre porte d’entrée pour échanger avec l’élève était sa production écrite ou son travail écrit dans la tâche. C’est à partir de la production de l’élève et de son accomplissement dans la tâche que nous la questionnions. Ayant sa production écrite entre ses mains, nous faisions un rappel à l’oral de la tâche pour l’élève. Si possible, l’entrevue commençait par une répétition de la tâche avec elle, ce qui n’était pas possible dans les tâches d’écriture, car ce n’était pas une tâche ponctuelle qu’elle pourrait terminer dans un temps précis et que nous pouvons répéter avec elle. La répétition de la tâche avec l’élève nous orientait vers les motifs de sa difficulté.

Pour la conduite des entrevues, la plupart se sont réalisées rapidement après le déroulement de la tâche en classe, parfois le même jour. Toutes sont enregistrées en audio et la durée de certaines ne durant que quelques minutes. Nous avons adapté l’entrevue à la réalité de l’élève : limiter le temps de l’entrevue à un maximum de 10 minutes; utiliser un vocabulaire simple; ne pas avoir un délai entre le déroulement de la tâche en classe, objet de l’entrevue, et l’entrevue; demander à l’élève de choisir le lieu de l’entrevue. En fait, dans les deux premières semaines passées en classe, nous avons établi de liens significatifs avec les trois élèves (salutations et discussions informelles...), ce qui nous a aidée ultérieurement. Les élèves n’ont pas été interviewées sur toutes les tâches retenues. Le temps et le contexte de la collecte de données nous ont limitée. Six entrevues spécifiques ont été réalisées avec Jana, élève de 6e année. Pour les élèves de 3e année, trois entrevues ont été réalisées avec Windy et cinq avec Tina (voir tableaux VII et VIII).

Tableau VII

Entrevues spécifiques et chronologie du déroulement : premier cas

Entrevues et chronologie

Tâches Carla Jana

1) Évaluation et apprentissage en

mathématiques (4 octobre) 11 octobre 1 4 octobre 1 2) Appréciation (trois textes écrits pour

apprécier des romans lus) (11 octobre, 5 et 26 novembre) 1er novembre 15 novembre 29 novembre 3 22 octobre 5 novembre 28 novembre 3 3) Résolution d’un exercice en

mathématiques (soutien en deux moments, en classe et en récupération) (18 et 22 octobre) 1er novembre 1 22 octobre 25 octobre 2 (une après la récupération) 4) Écriture sur le Père Noël (accord du

mot « bizarre ») (3 décembre) 20 décembre 1 Pas d’entrevue

Total des entrevues spécifiques 6 5 (1 après la

récupération)

Tableau VIII

Entrevues spécifiques et chronologie du déroulement : deuxième cas

Tâches Entrevues et chronologie

Sophie Windy Tina

1) Évaluation et apprentissage en

lecture (22 octobre) 30 octobre 1 24 octobre 1 24 octobre 1 2) Écriture sur son personnage

préféré (7 novembre) 20 novembre 1 12 novembre 1 13 novembre 1 3) Grammaire (sens du mot

« avantage ») (13 novembre) 13 novembre 1 Aucune 13 novembre 1 4) Écriture sur un sujet de son

choix (21 novembre) 26 novembre 1 26 novembre 1 26 novembre 1 5) Écriture sur le Père Noël

(11 décembre) 18 décembre 1 Aucune 11 décembre 1

Entrevue individuelle spécifique avec les enseignantes

Le but des entrevues spécifiques avec les enseignantes était de comprendre leur point de vue sur les pratiques de soutien mobilisées au cours de la tâche observée ainsi que les raisons qui déterminent les décisions qu’elles ont prises pour mettre en place le soutien. Il s’agissait donc de recueillir des indices de l’activité cognitive et métacognitive de l’enseignante au moment de l’action (Gravel et Tremblay, 1996) et aussi de comprendre les interactions avec l’élève au cours du soutien, le plus tôt possible après leur déroulement. Nous nous inspirions de l’entrevue du rappel stimulé (Gravel et Tremblay, 1996; Tochon, 1996; Trudel, Haughian et Gilbert, 1996) en utilisant les enregistrements audio réalisés.

Le rappel stimulé est une technique qui permet de recueillir des données sur ce que la participante, notamment l’enseignante, a pensé au moment de l’action (Gravel et Tremblay, 1996) et de comprendre la logique des actions de l’enseignante, les raisons et les décisions prises sur place au sujet de soutien ainsi que le sens qu’elle accorde aux actions au moment du soutien. La verbalisation du rappel stimulé se fait après la tâche (Tochon, 1996). En effet, c’est une technique de collecte de données fondée sur la rétroaction vidéo ou sur des enregistrements audio pour stimuler la pensée de l’acteur pour qu’il puisse se souvenir de ses pensées et les rapporter au chercheur (McConnell, 1985, cité dans Tochon, 1996). Il s’agit d’enregistrer une tâche ou un événement spécifique, puis d’interviewer l’acteur à ce sujet. Pour notre part, nous avons retenu la technique suivante : comme nous n’avons pas de vidéos, nous avons utilisé, notamment, les enregistrements audio pour stimuler la pensée des enseignantes, mais aussi un rapport oral descriptif de la tâche et les pratiques de soutien sur lesquelles nous voulions poser des questions. Chaque enseignante a été rencontrée après le déroulement de la tâche retenue en classe. Il s’agit de six entrevues avec Carla et de cinq avec Sophie. Nous avons fait le rapport descriptif à l’enseignante et nous lui avons présenté, le cas échéant, les enregistrements audio de la tâche.

Le déroulement d’entrevue se faisait in situ, mais le sujet des deux thèmes de l’entrevue était prévu en général. Les questions différaient d’une tâche à l’autre. Le premier thème concernait les actions de l’enseignante au moment du soutien, les raisons et les décisions qu’elle a prises

avant et dans l’action. Le deuxième portait sur le point de vue de l’enseignante sur les difficultés de l’élève dans la tâche et ses actions au moment du soutien.

En plus des questions spécifiques sur les actions, nous posions des questions générales sur la tâche, comme son objectif et son but. L’ordre des questions ouvertes était ajusté selon le discours des participantes et leur apport (Lamoureux, 2006; Merriam, 1988). Les entrevues ont pris de 3 à 20 minutes, pour une durée moyenne de 12 minutes.

Pour clore cette partie, les tableaux IX et X donnent respectivement un aperçu des tâches de l’ensemble des instruments et la collecte de données.

Tableau IX Aperçu des tâches

Tâches d’observations Unités retenues Entrevues spécifiques avec enseignante Entrevues spécifiques avec élève Carla Jana  Évaluation et apprentissage en mathématiques 2 1 1

 Appréciation (trois textes écrits pour

apprécier des romans lus) 4 3 3

 Résolution d’un exercice en mathématiques (soutien en deux moments : en classe et en récupération)

2

(1 hors-classe) 1 2

 Écriture sur le Père Noël (accord du mot

« bizarre ») 1 1 Pas

6 tâches 9 6 6

Sophie Windy Tina

 Évaluation et apprentissage en lecture 3 1 1 1

 Écriture sur son personnage préféré 4 1 1 1

 Grammaire (sens du mot « avantage ») 1 1 1

 Écriture sur un sujet de son choix 4 1 1 1

 Écriture sur le père Noël 1 1 1

5 tâches 13 5 3 5

Total des deux cas : 11 tâches 22 11 14

125

Tableau X

Aperçu des instruments et la collecte de données

École É1/Rive sud /6e année, primaire É2 / Rive sud /3e année, primaire

Participantes Enseignante : Carla Élève : Jana Enseignante : Sophie Élève : Windy Élève : Tina

Nombre de jours observés

20 jours d’observation formelle (1er octobre-mi-décembre) –

environ 55 heures

19 jours d’observation formelle (1er octobre-mi-décembre) –

environ 62 heures

Matières Français, Mathématiques, Univers social, Arts Français, Univers social

Unités d’observation

initiales et retenues

41 unités initiales d’observation dont la durée est variable. 9 sont retenues : 2 pour l’évaluation en mathématiques, 2 pour le concept d’arrondissement, 4 pour l’appréciation et 1 pour la grammaire

55 suites d’observation dont la durée est variable. 13 sont retenues : 3 pour l’évaluation en lecture, 4 pour l’écriture sur son personnage préféré, 1 pour la grammaire (mot

avantage), 4 pour l’écriture sur un sujet de son choix et 1 pour l’écriture sur le conte de Noël

Tâches retenues

1. Évaluation et apprentissage en mathématiques 2. Appréciation (trois textes écrits pour apprécier des

romans lus)

3. Résolution d’un exercice en mathématiques

4. Soutien en deux moments, en classe et en récupération 5. Écriture sur le Père Noël (accord du mot « bizarre »)

1. Évaluation et d’apprentissage en lecture 2. Écriture sur son personnage préféré 3. Grammaire (sens du mot « avantage ») 4. Écriture sur un sujet de son choix 5. Écriture sur le Père Noël

Entrevues

Carla

 2 générales (début et fin de la collecte)

 6 spécifiques après les tâches

Jana  Générale

 5 spécifiques après les tâches, à l’exception de celle d’écriture sur le Père Noël (1 après le soutien en récupération) Sophie  2 générales (début et fin de la collecte)  5 spécifiques

après les tâches

Windy  Générale  3 spécifiques après l’évaluation en lecture, l’écriture sur le sujet de son choix et sur son personnage préféré Tina  Générale  5 spécifiques après les tâches En résumé :

 2 classes; 2 enseignantes et 3 élèves; 2e et 3e cycles

 2 mois et demi d’observation; 11 semaines d’observation; 117 heures  9 tâches retenues en français et en mathématiques

126

École É1/Rive sud /6e année, primaire É2 / Rive sud /3e année, primaire

 96 unités d’observation initiales et 22 ont été retenues  32 entrevues avec les participantes